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<< sans pouvoir jamais être troublé pour des causes posté<< rieures à cette même transcription, ni pour des causes << antérieures dont la connaissance lui aurait été dérobée. « L'effet de l'inscription est d'assigner au créancier le rang <«< invariable qu'il doit tenir, et de lui donner la certitude << que, sur l'immeuble qui lui est engagé, il ne sera préféré << à aucun créancier que celui qu'il a su à l'avance être ins<< crit antérieurement à lui.

<< Voilà, dans toute sa simplicité, mais aussi dans son << énergie, la théorie de la loi de Brumaire an VII. »1

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41. La discussion qui s'engagea au Conseil d'Etat à la suite de ces rapports fut longue et très intéressante; nous y signalerons notamment les discours de M. Tronchet en faveur du système coutumier, de M. Treilhard en faveur de la loi de Brumaire, et enfin du premier Consul, qui présida les deux séances des 12 et 19 Pluviôse an XII, dans lesquelles fut discutée la théorie de la publicité des hypothèques. Le système éclectique proposé par le premier Consul triompha, et le Conseil d'Etat admit le principe de la publicité des hypothèques en général, mais en même temps la dispense d'inscription pour les hypothèques légales, système dont nous aurons plus tard à apprécier la valeur. Voici le passage du discours du premier Consul où ce système est exposé: << Le premier Consul dit qu'il aperçoit ici trois systèmes << différents :

<<< Celui des lois romaines, qui n'admet ni publicité ni spé<<< cialité ;

<< Celui de l'édit de 1774, qui admet la publicité sans spé<< cialité :

<<< Celui enfin de la loi du 14 Brumaire an VII, qui admet << également et la publicité, et la spécialité.

<< Le Consul ajoute que, d'après ce qu'il vient d'entendre, «<le système du droit romain lui paraît plus dans la nature << et dans les principes de la justice civile, en ce qu'il donne << la garantie la plus entière pour les hypothèques légales. 1 Fenet, XV, p. 286-287.

« L'édit de 1774 leur est moins favorable, puisqu'il exige, << pour les maintenir, la formalité de l'opposition.

<< Mais la loi du 11 Brumaire an VII les anéantit dans leurs << effets, car les femmes et les mineurs ne les obtiennent << que dans le cas où il a été formé inscription à leur profit. « Serait-il impossible de concilier ces divers systèmes ? << Ne pourrait-on pas laisser subsister la nécessité de << l'inscription pour toutes les hypothèques, hors les hypo<thèques légales; car la loi doit défendre celui qui ne peut «se défendre lui-même ? On n'a point répondu à cette ques<«<tion or la femme, le mineur sont incapables de veiller « à leurs intérêts ; et cependant, dans l'état actuel des cho«ses, il ne faut que l'omission d'une formalité pour leur << enlever l'hypothèque que la loi a entendu leur assurer. »1 C'est au cours de cette discussion, dans la séance du 42 Pluviôse an XII, que le premier Consul prononça ces paroles souvent citées;

<< Depuis qu'il entend discuter le Code civil, il s'est sou«vent aperçu que la trop grande simplicité dans la légis<< lation est l'ennemie de la propriété. On ne peut rendre << les lois extrêmement simples sans couper le nœud plutôt << que de le délier, et sans livrer beaucoup de choses à l'in<< certitude de l'arbitraire. >>

42.- En même temps que le Code, tout en adoptant le principe de la loi de Brumaire an VII sur la publicité des hypothèques en général, y apportait un grave échec quant aux hypothèques légales, il se séparait plus complètement encore du système de la loi de Brumaire relativement à la transcription des actes à titre onéreux. Après avoir substitué la transcription à l'insinuation pour les donations de biens susceptibles d'hypothèque, les rédacteurs du Code devaient, à plus forte raison, l'admettre pour les transmissions de propriété à titre onéreux, pour lesquelles l'admettait la loi de Brumaire ; d'ailleurs, comme le faisait très bien remar

1 Fenet, XV, p. 301.

quer M. Réal dans le rapport que nous avons cité plus haut,' le système de la loi de Brumaire n'est complet que par la réunion de ces deux idées, publicité des mutations de propriété par la transcription obligatoire à l'égard des tiers, publicité des hypothèques et des privilèges par la nécessité de l'inscription: par ce double moyen le crédit immobilier est assuré, tous les intéressés connaissent les mutations de la propriété immobilière et les charges qui la grèvent.

Cependant il est certain, et la jurisprudence reconnut bien vite, après la promulgation du Code, que la nécessité de la transcription n'était point conservée, et que la propriété des immeubles se transférait entre les parties comme à l'égard des tiers, par le seul effet du contrat d'aliénation : ce résultat était-il, comme le dit M. Troplong et comme semblent le faire croire, il faut bien le reconnaître, les travaux préparatoires, le résultat « d'une inadvertance ou d'un escamo«<tage, ou au contraire les rédacteurs du Code ont-ils voulu supprimer la transcription obligatoire de la loi de Brumaire? La question présente assez peu d'intérêt, du moment où il est certain que, volontaire ou involontaire, cette suppression est certaine.

43. La première modification au régime du Code fut apportée par le Code de procédure, dans les articles 834 et 835. Du moment où la transmission de propriété s'opérait ergà omnes par la seule force du contrat, le cours des inscriptions d'hypothèque devait être arrêté du jour de la vente des immeubles, et, à partir de ce moment, ceux des créanciers hypothécaires du précédent propriétaire qui n'avaient pas encore pris inscription ne pouvaient plus utilement s'inscrire.

Il y avait dans cette situation un danger réel pour le crédit hypothécaire, les créanciers pouvant se trouver privés de l'hypothèque à eux conférée par l'aliénation précipitée de l'immeuble qui formait leur gage. C'est à ce danger que les articles 834 et 835 apportèrent un remède, en décidant 1 1 Suprà, n° 40.

que les créanciers hypothécaires du vendeur pouvaient prendre inscription même après la vente, et au plus tard dans la quinzaine qui suivait la transcription de l'acte de vente. Cette modification au système du Code civil, très favorable aux créanciers hypothécaires, était assez peu logique, car, du moment où la transmission de la propriété s'effectue par le seul effet de la convention, il est difficile d'admettre qu'un créancier hypothécaire puisse prendre inscription sur un immeuble qui, vis-à-vis de lui comme vis-à-vis de tous, n'est plus dans le patrimoine de son débiteur : en le décidant ainsi, le Code de Procédure donnait le pas à l'utilité pratique sur l'application juridique des principes relatifs à la transmission de la propriété d'après le Code civil.

A un autre point de vue, la modification des articles 834 et 835 du Code de Procédure mérite d'être signalée : elle constitue, en fait, un premier pas vers le système de la transcription obligatoire, le nouveau propriétaire ayant désormais le plus grand intérêt à transcrire son titre pour faire courir le délai de quinzaine, après lequel seulement il sera assuré de ne pas voir apparaître d'inscriptions du chef de son vendeur.

44. Dès l'origine, le système hypothécaire du Code fut l'objet de critiques très vives: jurisconsultes, publicistes, membres des assemblées politiques, tous s'unirent pour demander qu'on modifiât le régime du Code et qu'on adoptât un système complet de publicité, notamment en ce qui concerne les hypothèques des incapables.

Le 16 avril 1836, à la Chambre des Députés, à l'occasion d'une pétition demandant la révision du titre des hypothèques et l'application du principe de la publicité, le ministère déclara que le Gouvernement allait faire préparer un projet de loi sur cette matière, et cinq ans plus tard, le 7 mai 1841, le Garde des sceaux, M. Martin, du Nord, envoyait une circulaire à la Cour de cassation, aux Cours d'appel et aux Facultés de droit, pour demander leur avis sur la révision du régime hypothécaire de 1804 :

<«< La réforme du régime hypothécaire, dit cette circu<< laire, a été depuis plusieurs années l'objet d'études sé<<rieuses de la part des jurisconsultes et des économistes. << Quelques-unes de leurs vues ont déjà été réalisées par la << législation des nations voisines.

<< Le Gouvernement, attentif à ce mouvement des esprits, << frappé des résultats qu'il a déjà produits, convaincu d'ail<«<leurs que l'augmentation toujours croissante du nombre. << et de l'importance des transactions rend nécessaires cer<«<taines modifications à la partie du Code civil qui est con<< sacrée aux privilèges et aux hypothèques, a décidé qu'un << projet de loi sur cette importante matière serait préparé << et soumis aux Chambres dans la prochaine session, si << cela est possible. »1

La circulaire indique ensuite les principaux points sur lesquels devra porter l'examen des Cours et des Facultés consultées. Elle signale d'abord, avec une grande exactitude, la nécessité de régler, en même temps que le régime hypothécaire, la transmission de la propriété foncière :

<< Le mode de transmission de la propriété foncière est << lié par une étroite connexité avec le régime hypothécaire. << Il n'est pas possible de s'occuper de l'un sans toucher à << l'autre ; il faut, dans un projet de loi sur les hypothèques, << se prononcer entre le système du Code civil, qui donne << au consentement seul le pouvoir de transférer la propriété <«<et les autres droits réels, et celui de la loi du 11 Bru<< maire an VII, qui exigeait la transcription des contrats, << afin d'avertir les tiers et de rendre manifeste pour tous << l'événement qui fait passer la propriété ou ses démembre<<ments d'une personne à une autre. »*

La question de savoir si l'on peut donner aux titres hypothécaires une forme qui permette de les transférer par endossement, le principe de la publicité ou de la non-publicité des hypothèques des incapables, l'opportunité de l'ins'Documents relatifs au régime hypothécaire, I, p. ccxIx. Op. et Loc. citat., p. ccxxi.

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