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la loi du 24 ventose an VII, et qui est tenu sous le nom de chaque grevé, un répertoire dans la même forme tenu par immeuble porté sur les registres de la conservation.

35 VI. Mais, après avoir rendu hommage aux progrès que réaliserait ce Projet, nous devons nous demander si ces progrès sont suffisants, et s'il ne serait pas possible, à l'heure actuelle, de faire plus, et, dans notre pensée, de faire mieux.

L'Exposé des motifs reconnaît très loyalement que ce projet est inspiré surtout par les travaux de l'Assemblée législative en 1850:

<< Nous nous sommes particulièrement inspirés, dit cet « Exposé, des idées émises dans le rapport fait par M. de << Vatimesnil, représentant du peuple, au nom de la Commis<<sion chargée d'examiner le projet de loi présenté en 1850 << par le gouvernement sur les privilèges et hypothèques. »

Or, tout en reconnaissant, comme nous l'avons déjà fait,1 combien les travaux de l'Assemblée nationale ont été importants en cette matière, et sont utiles aujourd'hui encore à consulter, nous croyons que depuis un demi-siècle l'expérience de ce qui se passe autour de nous a montré qu'il fallait aller plus loin, et changer les bases de la publicité des transmissions de propriété et des hypothèques. Nous croyons, et nous essaierons de le démontrer,' que la réforme hypothécaire doit avoir pour base définitive la création d'un livre foncier, sur lequel seront groupées, par immeuble et en quelques mentions brèves, toutes les mutations de la propriété de ces immeubles et l'indication des charges qui la grèvent; nous ajoutons que, dans notre pensée et par des raisons de divers ordres que nous indiquerons, cette réforme ne doit pas être immédiate, et qu'on doit la préparer par une loi transitoire, organisant complétement le système de la publicité, en attendant que la révision du cadastre et la nécessité de se procurer des ressources financières permettent de créer le Livre foncier.

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Mais c'est maintenant ou jamais que la question doit se poser: allons-nous rester inféodés à un système de publicité imparfait, compliqué, rempli d'obscurités et de pièges pour les tiers, nécessitant l'emploi d'intermédiaires et provoquant sans cesse des difficultés judiciaires? Ou bien allons-nous marcher résolument vers l'adoption d'un système simple, clair, où chacun pourra soi-même veiller à ses intérêts, et qui est de nature à fortifier le crédit immobilier, qui en a grand besoin?

A ce point de vue, le Projet ne nous paraît pas répondre à ce que demandent les besoins de notre époque.

55 VII. Nous plaçant maintenant sur le terrain des réformes restreintes du Projet, nous croyons qu'il appelle notamment les observations critiques suivantes.

Les hypothèques légales des mineurs et des femmes mariées doivent être inscrites, et spécialisées soit quant au chiffre des créances, soit quant aux biens grevés; après avoir fait cette innovation que nous approuvons, mais qui est grave pour les intérêts des incapables, quelles précautions le Projet prend-il pour assurer cette inscription? Aucune qui soit efficace; pour la femme, un avertissement donné par le notaire lors de la lecture du contrat de mariage et l'autorisation d'inscrire donnée à la femme et à quelques parents et alliés; pour le mineur et l'interdit, une obligation imposée au tuteur et au subrogé tuteur.

En ce qui concerne le droit d'inscrire donné aux parents et alliés de la femme, il importe de se rappeler les observations si judicieuses de M. Bethmont en 1850:

<< L'intimité de la vie conjugale, disait il, l'affection exclu«sive qu'elle inspire et qu'elle commande, sans briser les liens de la parenté, en énervent les droits. Les parents << d'un caractère grave seront les premiers à sentir que leur «<immixtion à la défense des intérêts de la femme, utile «peut-être quant aux biens, est nuisible quant au bon<< heur; ils seront arrêtés. »

Il nous semble pourtant qu'il serait assez facile d'arriver

à faire faire l'inscription de ces deux hypothèques, inscription sans laquelle les droits de ces incapables seront absolument sacrifiés, et cela par les moyens suivants.

55 vII. Pour le mineur ou l'interdit, la loi belge du 16 décembre 1851, après avoir indiqué quelles sont les personnes qui peuvent ou doivent faire prendre l'inscription, ajoute, dans l'article 63, qu'il sera tenu au greffe de chaque justice de paix, « sous la surveillance du juge et la responsabi«lité personnelle du greffier, » un état de toutes les tutelles du canton, avec la date des inscriptions qui auront été prises ou la mention des causes pour lesquelles il n'en a pas été pris. Cet état est transmis au procureur du roi, et celui-ci, dans le mois de janvier de chaque année, le transmet au tribunal qui statue « ce que de droit », tant d'office que sur les réquisitions du procureur du roi. « L'exécution sérieuse « de ce texte, dit avec raison M. Laurent, est la meilleure << garantie des droits des mineurs. » Il est évident, en effet, que la première mesure que prendra le tribunal sera de provoquer l'inscription de l'hypothèque de l'incapable, si elle ne l'a pas été.

Nous croyons même, avec M. Martou,' que l'on pourrait emprunter au Rapport de M. de Vatimesnil un moyen à la fois plus simple et plus efficace, celui d'obliger le greffier de la justice de paix à prendre inscription en résultance de la délibération du conseil de famille, sous la surveillance du juge de paix et le contrôle du procureur de la République :

<< Il peut arriver, dit très bien M. de Vatimesnil, que le << tuteur, par intérêt personnel, ne prenne pas l'inscription, << et que le subrogé-tuteur ou la personne commise s'abs<«<tienne, soit par incurie, soit par une déférence mal en<< tendue envers le tuteur, de remplir les devoirs que le << projet lui impose. L'action d'un officier public est plus << sûre, parce qu'elle est plus indépendante et que sa res<< ponsabilité est plus étroite. En outre, l'obligation impo'XXX, n° 307.

* Des Privilèges et Hypothèques, II, n° 830.

«sée par le projet soit au subrogé tuteur, soit à la personne « désignée par le conseil, de prendre inscription, peut de<< venir un ferment de discorde dans les familles. Personne, << au contraire, ne saura mauvais gré au greffier du juge de « paix d'avoir rempli un devoir que sa charge lui impose. »1

D'après le projet de la Commission dont M. de Vatimesnil était le rapporteur, le greffier était passible d'une amende, et, suivant les cas, de la destitution, s'il ne prenait pas l'inscription. De plus, il devait justifier au juge de paix de la remise des bordereaux au conservateur, et, de son côté, le juge de paix devait envoyer périodiquement au procureur de la République des états justifiant de l'accomplissement de ces formalités.

Il nous semble qu'il serait très utile de recourir, soit au moyen employé par l'article 63 de la loi belge, soit surtout au moyen indiqué dans le Rapport de M. de Vatimesnil, pour assurer l'inscription de l'hypothèque des mineurs et des interdits.

IX.

551x. En ce qui concerne l'hypothèque de la femme mariée, on pourrait, à notre avis, en assurer l'inscription en en chargeant le notaire qui a reçu le contrat de mariage, sous peine d'amende, de dommages et intérêts des parties, et de plus grandes peines, s'il y échet, sous le contrôle des procureurs de la République, auxquels les notaires devraient envoyer des états périodiques des contrats de mariage reçus par eux avec la date des inscriptions par eux prises en exécution de ces contrats.

Ce procédé nous paraît à la fois simple et efficace; et, en fait, la responsabilité qu'il imposerait aux notaires ne serait pas très lourde, car ces officiers ministériels sont habitués à faire prendre des inscriptions en exécution des actes qu'ils reçoivent, notamment en matière de prêts hypothécaires, et ils n'omettraient pas plus de le faire pour les contrats de mariage qu'ils ne l'omettent pour les prêts.

1 Moniteur universel du 26 avril 1850.

55x. Le Projet supprime l'hypothèque judiciaire, avec raison, selon nous, car cette hypothèque, telle qu'elle est organisée dans le Code civil, sert fréquemment à consacrer des injustices, étant, comme on l'a dit souvent et comme le rappelle avec raison l'Exposé des motifs, le prix de la course.

Mais fallait-il s'en tenir à cette suppression pure et simple? Nous ne le croyons pas. Si la suppression de l'hypothèque judiciaire a l'avantage d'empêcher des inégalités entre créanciers, elle a le grave inconvénient de laisser l'ensemble des créanciers à la merci du débiteur qui pourra, en passant des conventions avec tel ou tel d'entre eux, en consentant une dation en paiement, une hypothèque conventionnelle, réduire les autres à l'impossibilité de se faire payer. Or, n'y a-t-il pas un moyen d'éviter ce grave inconvénient?

Le système des oppositions, pratiqué dans plusieurs législations étrangères, paraît le fournir, et le projet de la Commission de 1850 l'adoptait dans les termes suivants :

Article 2463. «Tout créancier porteur d'un jugement << de condamnation pourra former, au bureau de la conser<<vation des hypothèques, opposition sur les immeubles de << son débiteur, pourvu que le montant de la condamnation <«< soit liquide, ou, s'il ne l'est pas, que le tribunal ait pro<< visoirement fixé la somme jusqu'à concurrence de la<«< quelle il sera loisible de faire opposition.....

<< L'opposition portera sur tous les immeubles présents « et à venir du débiteur situés dans l'arrondissement du << bureau. Son effet sera d'empêcher qu'aucune inscription << ne soit prise et aucun prix de vente payé au préjudice de << l'opposant. »

Peut-être y aurait-il lieu d'élargir ce projet et de décider que l'opposition profitera non-seulement au créancier opposant, mais à tous les créanciers. Dans tous les cas il nous semble impossible de les laisser désarmés, comme ils le seraient par la suppression pure et simple de l'hypothèque judiciaire.

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