Page images
PDF
EPUB

XI.

55.- Le Projet dont nous parlons comporterait beaucoup d'autres observations, mais qui ne rentrent pas dans le cadre nécessairement restreint de ce Traité.

Mais on nous permettra, à ce propos, d'émettre un vœu. A défaut d'une section de législation du Conseil d'Etat, dont le rétablissement serait, à notre avis, bien utile pour la préparation de nos lois, ne pourrait-on pas, du moins, faire étudier et préparer les projets de révision de nos lois civiles par une commission technique, peu nombreuse, qui serait nommée par le Garde des sceaux, et qui aurait pour mission de préparer les projets de lois dus à l'initiative du Gouvernement, en se conformant aux idées générales du ministre compétent, et d'étudier, avant leur discussion, les projets dus à l'initiative parlementaire? La Cour de cassation, le Barreau et la Faculté de Paris, la Chambre des notaires et celle des avoués en fourniraient les membres, et il nous semble que les projets y gagneraient beaucoup en ampleur, en science, en clarté, en homogénéité, et qu'ils seraient mieux appropriés aux besoins et aux mœurs de l'époque.

C'est ainsi que les choses se passent en Belgique, et les travaux de la Commission de révision du Code civil, dans laquelle nous avons l'honneur de compter des amis, et dont nous suivons attentivement les publications, fait une grande œuvre de science et de pratique.

Nous croyons qu'il est à souhaiter que les choses se passent de même chez nous, et nous désirons que ces lignes. tombent sous les yeux de quelque législateur assez autorisé pour amener la réalisation de ce vou.

CHAPITRE II

DES PRIVILÈGES ET HYPOTHÈQUES EN DROIT COMPARÉ.

56. — Dans l'étude que nous allons faire des lois hypothécaires en droit comparé, nous n'examinerons pas le régime hypothécaire de toutes les législations contemporaines un volume entier suffirait à peine à cette étude, et, d'ailleurs, nous ne prétendons pas faire œuvre d'érudition en droit comparé, mais seulement rechercher, dans l'étude des législations étrangères, les idées qui peuvent être utiles pour la réforme de nos lois hypothécaires françaises Nous nous bornerons donc à l'examen des législations qui, par leur importance ou leur originalité, méritent d'appeler l'attention du jurisconsulte.

De plus, nous n'allons étudier en ce moment que l'organisation d'ensemble de ces législations : le détail de leurs dispositions trouvera sa place, au cours de ce traité, par le rapprochement que nous en ferons avec les dispositions correspondantes du Code civil.

57. M. Besson, dans sa très intéressante étude sur Les livres fonciers et la réforme hypothécaire, a divisé en trois groupes les législations bypothécaires : les législations dérivées du système français, les législations se rattachant au régime germanique, et les législations dont l'Act Torrens, promulgué dans l'Australie du Sud en 1858, a été la base ou le modèle.

Nous suivrons cette division, qui nous paraît bonne, car ces trois groupes sont séparés par des différences fondamentales.

Le trait caractéristique du régime français, c'est l'organisation de la publicité des actes de transmission de la propriété foncière et des charges qui la grèvent d'après la personne du propriétaire des immeubles c'est contre la personne de ce propriétaire que sont prises les inscriptions. de privilège et d'hypothèque, et c'est au nom de la personne des propriétaires que sont délivrés les états sur transcription.

Le système germanique et le système de l'Act Torrens, qui n'est qu'un dérivé du système germanique, se différencient du système français en un point capital: la publicité des transmissions de propriété et des hypothèques y est organisée d'une manière réelle, non pas en suivant la personne du propriétaire de l'immeuble, mais en prenant pour base l'immeuble lui-même. Un registre, le registre foncier, individualise les immeubles et en donne l'histoire juridique; il fait connaître leurs différents propriétaires et toutes les charges réelles qui les grèvent.

Mais, dans le système germanique, l'inscription d'un droit au registre foncier ne donne pas au titulaire de ce droit un titre irréfragable: si le contrat inscrit au registre est annulable ou résoluble, il pourra être radié, sous la réserve des droits des tiers de bonne foi. Au contraire, dans le système de l'Act Torrens, l'inscription au registre foncier est définitive et donne un titre absolu au titulaire du droit dont l'acte est inscrit ; tous les titres et tous les droits antérieurs au sien, et qui ne figurent pas au registre foncier, sont abolis. D'un autre côté, dans le système germanique, l'immatriculation au registre foncier des actes de transmission de propriété ou de création de droits réels est obligatoire ; par suite, on a pu y établir les registres fonciers dans l'ordre du cadastre, et en suivant les numéros de toutes les parcelles qui y figurent. Dans le système de l'Act Torrens au conGUIL. Privilèges, 1.

7

traire, l'inscription au registre foncier est facultative, et les feuillets fonciers, qui ne peuvent être établis en suivant le cadastre, sont classés par ordre chonologique avec des registres auxiliaires pour faciliter les recherches.

Il y a donc, entre ces trois groupes, des différences nettement tranchées, et voilà pourquoi il importe de les distinguer.

58. Dans le premier groupe, dérivé du système français, nous étudierons la loi belge, la loi italienne, et le régime transitoire de l'Alsace-Lorraine.

Dans le second groupe, celui du système germanique, nous étudierons les législations de la Prusse, de l'Autriche, de la Suède, de l'Espagne et du Portugal.

Enfin, à propos du régime de l'Act Torrens, nous examinerons les lois de l'Australie et de la Tunisie.

Nous n'étudierons pas, comme on le voit, la législation russe, malgré l'importance qui s'attache, aujourd'hui plus que jamais, à ce grand et magnifique empire: c'est que, comme l'indique M. Lehr,' le Code civil russe actuellement en vigueur ne contient pas une loi hypothécaire proprement dite, et les garanties immobilières qui peuvent être créées d'après le droit russe ne ressemblent ni à nos hypothèques ni à nos privilèges. La législation russe, assez imparfaite sur ce point, est en ce moment l'objet d'études en vue d'un remaniement complet du régime hypothécaire ; et la Commission chargée d'élaborer un nouveau Code civil russe a détaché de ce projet la partie relative aux hypothèques, qui va être présentée, si ce n'est déjà fait, au Conseil de l'Empire. Ce projet a pour base les principes posés par un avis de ce Conseil en date du 19 mai 1881, approuvé par l'Empereur, et cette réforme, inspirée par le régime hypothécaire de l'Allemagne et par l'organisation du livre foncier germanique, placera la Russie dans le groupe du

Éléments de Droit civil Russe, p. 335.

Besson, Les livres fonciers et la réforme hypothécaire, p. 316.
Annuaire de Législation étrangère, 1882, p. 685.

système germanique. Mais, comme on le voit, dans l'état actuel de cette législation, il n'y a aucun enseignement à tirer de son étude.

Il en est de même de la législation anglaise : ni la transmission de la propriété, ni la constitution de droits réels au profit d'un créancier ne se rapprochent de la transmission de la propriété ou de la création des privilèges ou hypothèques, telles que nous les comprenons en France. Le droit de propriété immobilière se divise en franc-ténement, free and common socage, freehold, condition de l'immeuble qui relève directement du souverain, et en villenage, copyhold, condition de l'immeuble qui relève d'un seigneur; et, au lieu de l'hypothèque, la loi anglaise ne reconnaît qu'un mortgage, qui, comme le mort-gage de notre ancien droit,' n'est autre chose qu'une vente à réméré. On comprend que l'étude de cette législation, organisée en cette matière sur des bases toutes différentes de la nôtre, et l'exposé des moyens à l'aide desquels on a essayé, depuis quelques années, d'y rendre publiques les mutations de propriété ou les contrats de mort-gage, ne peut être d'aucun secours pour l'amélioration de notre propre législation.

1 Suprà, n' 11.

* Voir Glasson, Histoire du droit et des institutions de l'Angleterre, VI, § 297, p. 385 et suiv.; Lehr, Éléments de droit civil Anglais, no 502 et suiv.

« PreviousContinue »