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le veut, c'est une situation à Rome que d'être Français. Puisse la France le vouloir toujours! Il faut pourtant bien constater que, pour des raisons qu'il est trop facile d'apercevoir et trop pénible de développer, ce prestige, cette situation privilégiée de notre pays, cette influence acquise par des siècles de sage politique, sont aujourd'hui menacés et que le ministère de la place Beauveau travaille inconsciemment contre celui du quai d'Orsay. C'est à nous, je le crains, que pensait un diplomate spirituel qui disait dernièrement dans un salon du Corso : « On prétend qu'un peuple a toujours le gouvernement qu'il mérite. Je ne le crois pas; mais il y a certainement en Europe des gouvernements qui ont des ambassadeurs qu'ils ne méritent pas. »

CHAPITRE V

L'ULTIMATUM ET LE DÉPART DE CONSALVI POUR PARIS

Continuation de la guerre en Italie et changement de procédés de la France à l'égard du Pape. Le projet de Bonaparte devant les cardinaux. - Le Sacré Collège et les Congrégations romaines. - Discussions du projet dans la congrégation particulière. — Le projet romain. Procédés et explications en vue de le faire agréer. Retards forcés. Impatience du Premier consul. Envoi de l'ultimatum. Erreur des hommes d'État. courage du Pape. Rôle honorable de Cacault. — Il obtient le départ de Consalvi pour Paris.

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Refus et

Tandis que Spina négociait à Paris, la guerre continuait en Italie, où la France, victorieuse à Marengo, poursuivait ses succès contre les Autrichiens et les Napolitains. Pendant les derniers mois de l'année 1800, l'Etat pontifical, ruiné par les passages de troupes et par des réquisitions de toutes sortes, souffrit d'une horrible misère, et la cour de Rome fut livrée à des angoisses continuelles. « Le blé et l'argent nous manquent également, écrivait Consalvi à Spina, et on ne sait où les trouver... Il n'y a pas de force publique. Les vols et les assassinats sont si fréquents que c'est une horreur et une honte... Dans le palais pontifical, même dans la chambre du Saint

Père, on brûle de l'huile, faute de pouvoir payer des chandelles en cire. >>

Les ennemis de la France exploitaient contre elle cette situation lamentable en la lui attribuant. Pour eux, le Français c'était nécessairement l'impie, le jacobin, le spoliateur, et il ne fallait voir que duplicité et mauvaise foi dans les assurances pacifiques de Bonaparte et ses offres de négociations. Nos soldats justifiaient parfois ces craintes par des inconvenances et des manifestations du vieil esprit révolutionnaire dont beaucoup étaient encore animés, Bonaparte n'ayant pas eu le temps de les en guérir. C'est ainsi que, pendant un armistice, deux officiers, mal stylés par le général Dupont, vinrent à Rome réclamer en termes menaçants l'expulsion de plusieurs émigrés: Willot et quelques Corses, qu'ils prétendaient être enrôlés dans l'armée pontificale. Or Willot n'avait jamais mis le pied à Rome, et le Pape n'avait à sa solde aucun Corse, pour l'excellente raison qu'il n'avait pas encore d'armée. Consalvi se justifia donc sans peine, mais les deux officiers, His et Dupin, n'avaient pas pris le vent et manquèrent de

tact.

<< Ils exagèrent beaucoup, écrivait le ministre d'Autriche Ghislieri, la force et l'invincibilité de leur armée. Ils disent sans mystère que l'armée française viendra elle-même chasser les émigrés français et corses, si le Pape ne le fait pas. Ils reçoivent chez eux et traitent familièrement les patriotes romains; ils affectent de faire voir au spectacle et aux promenades leurs uniformes et leurs panaches, malgré tout ce que le secrétaire d'Etat leur a représenté sur

la mauvaise impression que la cocarde tricolore pouvait faire sur l'esprit des Romains. Ils suivent enfin le système de Basseville, de Duphot, pour exciter une révolte et avoir par là un prétexte pour traiter hostilement l'Etat du Pape. » Pie VII avait déjà pris la résolution de s'enfuir devant une seconde invasion française, ne fût-elle, en apparence, qu'une occupation pacifique. Même quand cette crainte fut dissipée, il était navré de voir son peuple épuisé par les réquisitions au point, dit Consalvi, « que, dans son désespoir, il déclara un jour qu'il allait mettre la clé sous la porte plutôt que de se faire le bourreau de ses sujets et de leur sucer le sang jusqu'à la dernière goutte». Cependant l'incident des deux officiers n'eut pas de suites et les événements ultérieurs démontrèrent que Ghislieri nous calomniait. Bonaparte ne cessait de recommander à ses généraux de respecter le territoire pontifical. « Paix et considération pour le Pape », écrivait-il le 9 octobre 1800 à Brune.

Au commencement de 1801, Murat reçut l'ordre d'exiger des Napolitains l'évacuation de l'État romain pour laisser le Pape maître chez lui, et de marcher contre eux en cas de refus. Mais le général «< doit traiter la cour de Rome comme une puissance amie. Il doit témoigner dans toutes les occasions que le gouvernement a beaucoup d'estime pour le Pape ». Les Napolitains ne se hasardèrent point à la lutte et s'empressèrent de conclure un armistice qui se changea bientôt en paix provisoire. Murat avait compris. Il allégea de son mieux les charges du passage des troupes, traita les prélats avec affabilité et vint à

Rome, où sa belle prestance et ses manières séduisantes lui conquirent des sympathies durables. Les dépêches de Consalvi le qualifient alors d'ottimo generale Murat. A la même époque, Bonaparte disait à Lucchesini, ministre de Prusse à Paris : « La République française est la seule puissance qui prenne quelque intérêt à l'existence politique du chef de l'Église catholique. » Tout le monde sait enfin que, dans son audience de congé, Cacault lui ayant demandé comment il fallait agir avec le Pape, il répondit par ce mot superbe : « Traitez-le comme s'il avait deux cent mille hommes ! »

Au printemps de 1801, la France avait donc accentué, dans sa politique extérieure, l'attitude nouvelle qu'elle avait prise, après la bataille de Marengo, vis-àvis du Pape, auquel, de son côté, ses devoirs de pontife et ses intérêts de prince temporel commandaient également de traiter avec elle. Cacault avait toute chance d'être écouté en négociant au nom de l'homme extraordinaire dont le prestige grandissait chaque jour, qui venait de conclure la paix avec l'Autriche, qui tenait dans ses mains le sort de l'Italie et déjà parlait en maitre dans une grande partie de l'Europe.

A la fin du xvIe siècle, saint François de Sales écrivait de Rome : « Rien ne se fait ici qui n'ait été pesé et contre-pesé par MM. les Cardinaux. » L'observation est restée juste, et le Sacré Collège forme toujours le grand conseil d'État de l'Église, mais un conseil d'Etat dont la jurisprudence n'est point contingente,

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