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APPENDICES

ET

PIÈCES JUSTIFICATIVES

I

LA CASUISTIQUE DU CONCORDAT.

DEMANDE D'UN JEUNE HOMME QUI A ÉTÉ ORDONNÉ PRÊTRE MALGRÉ LUI PAR UN ÉVÊQUE schismatiquE

N... sortit du collège à l'âge de dix-sept ans, pénétré des principes religieux que lui avaient inspirés des prêtres recommandables son père qui était fortement entiché des principes révolutionnaires voulut savoir si ceux de son fils répondaient aux siens; pour cela il lui fit quelques questions, ses réponses ne lui ayant pas plu, il le traita durement le jour même de son arrivée du collège. Quelques jours après, le père de N... se déclara formellement et dit à son fils qu'il voulait qu'il se fit prêtre, et qu'il se fit ordonner par l'évêque constitutionnel; le fils observa à son père qu'il ne pouvait lui obéir; cette réponse lui attira la défense de la maison paternelle. N... en resta pendant fort longtemps éloigné à la distance de deux lieues, sans oser rentrer qu'en l'absence de son père pour consoler sa mère de tout le chagrin que lui occasionnait cette division.

Enfin, le père de N... conseillé par des hommes adroits, parut changer de sentiment et fit proposer à son fils de continuer ses classes et d'aller faire la philosophie dans la capitale du diocèse. N... y consentit, ne soupçonnant aucun stratagėme sous cette conduite qui ne paraissait dictée que par

l'amour paternel, mais il se trompait bien. A peine eut-il fait quelque séjour dans la capitale du diocèse où la Logique était enseignée par un vicaire constitutionnel de l'évêque, qu'il commença à être tracassé de nouveau: on le sollicita de toutes les manières possibles à se faire prêtre, on le pria, on le flatta; voyant qu'on ne pouvait pas l'émouvoir, on lui fit connaître des lettres écrites par le curé constitutionnel de la paroisse de son père, d'après lesquelles ce dernier menaçait son fils de toute sa sévérité s'il ne lui obéissait.

N... si fortement assailli, se voyant sans ressources et sans appui, perdit la tête et promit en maudissant mille fois son existence de se rendre à l'ordination, bien intentionné cependant de n'obéir qu'extérieurement, et se réservant que son cœur ne prendrait pas de part à cette démarche. Tout cela se passa la veille des jours consacrés aux ordinations, et trois jours après N... fut ordonné prêtre ayant passé par tous les ordres dans l'espace de trois jours.

N... fut ordonné prêtre en 1793 et n'était âgé que de dix-huit ans; il n'avait aucune notion de la science ecclésiastique.

N... étant bien fermement intentionné de ne pas consentir à tout ce qui se faisait, toutes les fois que, dans les cérémonies de l'ordination, l'évêque prononçait des paroles qu'il croyait capables de l'engager, il disait constamment à voix basse, à la vérité, Nolo; aussi il sortit de l'ordination, persuadé qu'il n'était pas prêtre. Dans la nuit allant du vendredi au samedi, dernier jour de l'ordination, le dénommé qui devait être fait prêtre ce jour-là, eut une grosse indisposition qui l'obligea de boire beaucoup d'eau dans la matinée, il profita de cette circonstance pour observer à l'évêque que cette raison devait le dispenser de se présenter à l'ordination; l'évêque lui répondit qu'il n'était pas nécessaire de communier, effectivement le dénommé ne fit pas la communion.

Pendant la cérémonie N... s'étant trouvé très incommodé, s'éloigna à plusieurs reprises du rang des ordinands, et pendant le temps qu'il en était séparé, l'évêque fit deux cérémonies auxquelles il n'assista pas dans l'une, l'évêque et un autre prêtre imposaient les mains l'un après l'autre; dans

l'autre, l'évêque mettait le calice entre les mains de l'ordinand et prononçait quelques paroles.

N... observe que, dès le premier jour de l'ordination, l'évêque avait prévenu tous les ordinands qu'il ne leur ferait pas faire de vœux, et qu'en effet il ne lui fut pas demandé d'avancer le pied, enfin il observe que, pendant toute la cérémonie et la messe qui eut lieu, il fut absolument muet, et qu'il ne prononça aucune parole.

Quoique N... fût persuadé qu'il n'était pas prêtre, parce qu'il ne croyait pas qu'on pût lui imprimer un caractère contre sa volonté bien décidée, cependant il fut si affligé de sa démarche dont tout l'affreux se représenta dans le moment de la réflexion, que huit jours après, l'occasion s'étant offerte de s'enrôler, il partit pour l'armée de la Vendée, où il servit pendant sept à huit mois. Au bout de ce temps, la troupe dont il faisait partie étant rentrée, il se retira chez son père. Quelque temps après, le curé constitutionnel de la paroisse où habitait N... avec son père étant mort, ce dernier disposa si bien tout avec ses amis qu'il le fit nommer, dans les élections, curé de cette même paroisse, où il a exercé pendant quatre mois seulement, mais toujours avec de telles dispositions que jamais il ne prononça de paroles sacramentelles que dans l'administration du baptême, Pendant son exercice qu'il fit sous l'autorité paternelle, N... administra ou simula une fois seulement, le sacrement de la pénitence à un mourant. Il disait la messe le plus rarement possible, et jamais il ne prononça les paroles sacramentelles toujours persuadé qu'il n'était pas prêtre.

Dans cet intervalle, arriva l'époque de la Révolution, à laquelle les prêtres qui abandonnaient leur état suivaient les vues du gouvernement, N... profita de cette circonstance pour secouer le joug de l'oppression: il déclara à son père, qui ne put refuser de l'entendre, qu'il voulait abandonner ses fonctions, ce qu'il fit et depuis il ne les a pas reprises (il est bon d'observer que N... n'a jamais eu des lettres de prêtrise ni autres). A cette même époque, l'évêque qui l'avait ordonné, et qui depuis longtemps prêchait l'irréligion, puisque dès 1792 il publiait ses doutes sur différents articles de croyance, dans un journal qu'il rédigeait, déclara en public que jamais il n'avait eu intention de faire des

prêtres, et qu'il regardait comme non avenu tout ce qu'il avait fait; au surplus il se maria et donna d'autres sujets de scandale.

N..., d'après cet aveu de l'évêque qui l'avait ordonné et sa propre conscience, était si convaincu qu'il n'était pas prêtre qu'un jour, dans une assemblée publique, il fit part aux assistants de la satisfaction qu'il éprouvait de se voir dégagé et

libre par le propre aveu de l'évêque. Il se comporta comme

tel, et se maria avec une demoiselle douée de mœurs irréprochables et qui ne consentit à cette alliance que parce qu'elle croyait bien fermement que N... n'était pas prêtre. Le mariage fut fait républicainement et sans se présenter à l'église, il n'y avait pas alors un prêtre libre d'exercer: Robespierre régnait. Mais lorsque le calme fut revenu, les mariés s'étant présentés pour se faire réhabiliter, on leur opposa le prétendu caractère de prêtre de N... ; l'un et l'autre furent fort surpris. Ils sont restés quatre ans ensemble; la femme mourut dans le mois de mai 1798; il provint un enfant de leur mariage. Ce mariage ne fit pas de sensation dans le public, il n'y fut pas sujet de scandale. S'il est permis de le dire, tout le monde avait pris part aux malheurs de N... et personne n'ignorait l'aveu de l'évêque sur ses propres faits; et dans le moment actuel même on ne doute pas que, si les autorités prononcent, ce ne soit pour le rendre libre. Au reste N... expose qu'il a des certificats de douze personnes ses voisines qui l'ont connu dès l'enfance et dont la probité est avérée, qui attestent les vexations de son père avant son ordination ou sa propre conduite pendant qu'il exerçait, et annonçait bien clairement qu'il était tenu à cette place par force, et qu'il n'avait pas oublié les bons principes qu'on lui avait connus. Huit même de ces personnes supplient les autorités de rompre les chaînes qu'il ne reçut que par force. N... a encore une déclaration de son père, attestée de deux témoins, dans laquelle il reconnaît avoir forcé son fils à se faire prêtre en usant de toute son autorité, et en le menaçant de sa disgrâce s'il n'obéissait, il avoue que jamais il ne se serait décidé s'il n'avait été violemment contraint par lui, il déclare de plus que, pendant qu'il exerçait, il lui témoigna son éloignement pour cet état.

Enfin N... expose que, depuis qu'il a quitté ses fonctions, il n'a pas voulu être porté sur le tableau des prêtres pensionnés par le gouvernement: il aurait cru voler impunément l'argent qu'on lui aurait donné.

Le tout bien considéré, N... croit très fermement que son ordination est nulle; cependant, comme le témoignage de sa conscience ne lui suffit pas, il supplie très humblement les autorités de prononcer.

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