Page images
PDF
EPUB

nels, mais il les garda sous sa main comme un épouvantaй contre Rome, leur permettant, pendant la négociation, de s'agiter à leur aise et de tenir un concile, puis répondant aux observations de Consalvi par une plaisanterie : « Que voulez-vous ! quand on ne s'arrange pas avec le bon Dieu, on s'accommode avec le diable. » Le Concordat conclu, il leur fit un signe; ces hommes de fer plièrent avec une docilité parfaite et se dispersèrent sans mot dire; ils emportaient la promesse de n'être pas oubliés dans la répartition prochaine des sièges épiscopaux.

C'était, tout à la fois, la récompense du service rendu et la concession que Bonaparte crut devoir aux instances de ses conseillers et au système de fusion. qu'il avait adopté entre les différents partis issus de la Révolution. En vain Rome protesta contre une exigence tardive que rien ne lui avait fait prévoir. En vain demanda-t-elle au moins que les sujets choisis se soumissent à une rétractation complète. Le Premier consul n'avait pas le sens de l'humilité chrétienne. Il affecta de ne pas comprendre que le Pape ne pouvait, sans trahir son devoir, élever aux premières dignités de l'Église dont il était le chef des rebelles qui ne voulaient même pas demander l'amnistie. Il y eut alors (avril 1802) des scènes pénibles qui furent une grande humiliation pour le légat Caprara et une grande douleur pour Pie VII. Quant à Grégoire, il ne fut pas, comme on dirait aujourd'hui, compris dans le mouvement. Il expia l'approbation qu'il avait donnée au 21 janvier et dut se résigner à demeurer toute sa vie évêque schismatique in partibus. Un voyageur anglais qui le visita au

commencement du siècle le trouva tout mélancolique et attribua cette mélancolie à sa peine de n'être plus chef d'Église. Bonaparte avait pourtant profité de ses leçons de théologie.

Les quatre articles et tout l'arsenal des lois gallicanes avaient été ajoutés subrepticement au Concordat; 1802 copiait servilement 1682, et le grand homme qui rêvait de Charlemagne s'était arrêté à M. de Pontchartrain. C'est, en effet, le Chancelier de Louis XIV qui revivait dans Portalis. Depuis 1802, nous avons en France renversé plusieurs gouvernements et changé bien des fois de système politique; mais M. de Pontchartrain est toujours resté ministre des cultes.

CHAPITRE III

LES NÉGOCIATEURS ET LES PREMIÈRES DISCUSSIONS

L'abbé Bernier. Son rôle dans la guerre de Vendée.

[ocr errors]
[blocks in formation]

tions violentes dont il est l'objet. Son rôle dans la négociation religieuse. Instructions de Spina.

mandée.

Réserve qui lui est com

Opinion de Rome sur les demandes contenues dans

L'ancien clergé de France.

la lettre de Martiniana. Ses vertus. Efforts du Pape pour ne point déposséder les évêques de leurs sièges. Naissance de la Petite-Église.

[ocr errors]

Aussitôt après son entrevue avec le Premier consul, Spina vit arriver dans sa chambre d'auberge l'homme de confiance du gouvernement français, le délégué avec lequel il traita quotidiennement pendant plusieurs mois et qui fut la cheville ouvrière de toute la négociation. C'était un prêtre trapu, louche et laid, qui rachetait la vulgarité de ses traits par un air extrêmement intelligent et une parole fort séduisante l'abbé Bernier, docteur en théologie, ancien curé de Saint-Laud d'Angers. Il s'était rendu célèbre dans toute l'Europe par le rôle important qu'il avait joué dans la guerre de Vendée et, tout récemment, dans la pacification menée à bonne fin par le général d'Hédouville.

Déjà en 1800, le caractère de Bernier était fort discuté. Il n'a pas cessé de l'être depuis et la guerre des blancs et des bleus se poursuit autour de cette mé

moire avec l'ardeur de toutes les discussions historiques qui touchent à la Révolution et aux passions qu'elle soulève encore. Cruel, faux, libertin, mercenaire, c'est ainsi que les bleus et une partie des blancs qualifient l'ancien curé de Saint-Laud. D'autre part, Mgr Freppel, un jour qu'il était en veine de charité, s'écriait « Bernier est un des grands calomniés de l'histoire!» Il est probable que la vérité, comme cela arrive souvent, se trouve entre les deux extrêmes: ni tigre, ni colombe. Bernier n'avait pas la férocité de l'un et il manquait encore plus de la simplicité de l'autre. Il n'a pas renouvelé contre un gentilhomme angevin le crime de David contre Urie; il n'est nullement démontré qu'il ait poussé Stofflet à fusiller Marigny, qu'il ait trahi Stofflet lui-même et que plus d'une fois il ait tué de sa main des soldats républicains. Ce qui est certain, au contraire, c'est qu'il a, pendant plusieurs années, mené la vie d'aventures héroïques qui fait pour toujours la gloire et l'auréole poétique de la Vendée. J'avoue que je n'ai pu voir sans émotion, dans un vieux château des Mauges, la chambre qui lui servait de chapelle, le calice avec lequel il disait la messe et le balcon d'ou il haranguait les soldats paysans massés dans la grande avenue. Il n'y a qu'une voix pour louer ses talents :

«De toutes les personnes qui se sont mêlées des affaires pendant la guerre civile, aucune peut-être n'avait plus d'esprit que l'abbé Bernier. Il avait une admirable facilité à écrire et à parler; il prêchait toujours d'abondance. Je l'ai souvent entendu parler deux heures de suite avec une force et un éclat qui

entraînaient et qui séduisaient tout le monde... Son zèle était toujours renaissant et jamais il ne perdait courage... Il donnait de bons conseils aux généraux et savait se prêter à l'esprit militaire, sans déroger à son caractère ecclésiastique; il dominait au conseil supérieur par la promptitude de son esprit et de ses rédactions; il était encore plus cher aux soldats par ses prédications et son ardeur pour la religion. Aussi, en peu de temps, l'abbé Bernier prit un ascendant universel et il n'était question que de lui1. »

Il a donc contribué pour sa grande part à sauver la religion en France, puisque c'est l'exemple de la Vendée qui a convaincu le Premier consul de la nécessité de la restaurer. Nous avons sur ce point le témoignage officiel de Talleyrand :

Le gouvernement de la République a été éclairé par dix années de la plus fatale expérience... Il a dù se convaincre, par la rapidité et l'étendue de l'insurrection de l'Ouest, que l'attachement de la grande masse de la population française aux idées religieuses n'était pas une chimère. Il a sagement compris que, de ce sentiment bien constaté, naissaient des intérêts et des droits que les institutions politiques devraient respecter 2.

[ocr errors]

Il y a des hommes qui, poussés par les circonstances vers une carrière qui ne semble pas convenir à leur caractère, s'en tirent pourtant avec honneur et font des choses qui ne leur ressemblent pas. Bernier appartenait à cette catégorie. C'était un politique égaré dans l'héroïsme et qui chercha de bonne heure

1 M. de La Rochejaquelcin, Mémoires, t. I, p. 193.

по

2 Instructions données à Cacault, 19 mars 1801.

« PreviousContinue »