Page images
PDF
EPUB

aux repas d'appareil, que du bouilli & du rôti, avec quelques fauces a part; le gibier fut longà temps réfervé pour les grands jours. La magnificence des feftins confiftoit fur-tout dans la fomptuofité du rốt, comme aujourd'hui aux noces de village on y fervoit des fangliers & des bœufs entiers & remplis d'autres animaux (a).

[ocr errors]

:

Aujourd'hui la cuifine françoife, la plus habile, la plus agaçante, la plus mortelle de l'Europe, a trouvé l'art de nous faire amplement dîner avec les entrées. Le fervice du rôt eft prefque entiérement retranché dans les repas ordinaires, il y a feulement quelques plats de rôti, mêlés avec l'entremets. On mange peu de roti; on mange un peu d'entremets pour boire. Au deffert, l'on boit ou l'on fait femblant de boire.

:

Tant qu'on voudra manger, on ne laiffera pas les entrées pour le rót : quand on voudra vivre, on en reviendra au bouilli & au rôti.

(a) » Des viandes bouillies ou rôties, affaifonnées avec beaucoup de fel, d'herbes aromatiques, d'aulx & d'oi»gnons; des poiffons préparés dans le même goût, quel»ques légumes farineux, très-peu de racines & de lé» gumes herbacés, des fruits, du lait, du beurre & du » fromage, du pain levé ou fans levain, des gâteaux pé» tris au miel, au lait & au beurre; tels étoient les al» mens ordinaires des François. La rareté du vin en ré» duifoit la plupart à boire de l'eau pure ou mêlangée du »fuc de quelques fruits : l'eau-de-vie leur étcit à peine » connue & l'on ignoroit prefque jufqu'au nom des liqueurs. La frugalité étoit un devoir impofé par la né» ceffité, & la fomptuofité des repas ne confifta long» temps que dans l'abondance des mets «. Mémoire de M. Maret, Secrétaire de l'Académie de Dijon, concernant l'influence que les mœurs des François ont fur leur fanté: Ouvrage couronné par l'Académie d'Amiens en 1771.

[ocr errors]

Ruftaud, Ruftre.

GENS fort ruftiques, qui ont toute la rufticité ou toute la gróffiéreté & la rudeffe des gens de la campagne de rus, campagne. Les deux finales aud & tre marquent également la grandeur, la plénitude du défaut, l'excès de groffiéreté.

Ruftaud ne s'applique qu'aux gens de la campagne ou du peuple qui ont confervé tout l'air & les manieres de leur état, fans aucune éducation. Ruftre s'applique même aux gens qui, ayant reçu de l'éducation & ayant vécu dans un monde bien élevé, ont néanmoins des manieres femblables à celles du payfan ou de la populace qui a manqué totalement de culture. Le manant eft ruftaud ou ruftre le bourgeois ou autre eft ruftre & non ruftaud.

Ainfi c'eft faute d'éducation, faute d'ufage qu'on eft ruftaud : c'est par humeur, par rudeffe de caractere qu'on eft ruftre. Un gros franc paysan a l'air ruftaud, la mine ruftaude: un homme farouche & bourru a l'air ruftre, la mine ruftre.

:

Le ruftaud ne fe gêne point; il eft hardiment ce qu'il eft: le ruftre ne ménage rien; il est rudement ce qu'il eft. Les manieres du ruftaud choquent, heurtent les manieres du ruftre vous choquent, vous heurtent. Les manieres du ruftaud font fes formes les manieres du ruftre font fes mours. Le ruftaud l'eft en action: le ruftre l'eft foncierément.

:

Cette distinction, facile à obferver dans l'usage,

a peut-être quelque fondement dans la terminaifon des mots. Ter en latin, tre en celte, très en françois, marquent la multitude, l'élévation, l'étendue indéfinie, le fuperlatif : ainfi le latin magifter, en françois maître, fignifie littéralement trois fois grand, trois fois fçavant, c'est-à-dire, très-grand, très-fçavant. Mais les mots ter, tre, tra, tro, &c., prennent fans ceffe des couleurs triftes & fombres pour exprimer les idées de violence & de deftruction, celles de piquer, percer, traverfer, rompre, brifer, broyer, détruire. Entre divife deux objets ; contre les oppofe l'un à l'autre ; outre perce par-delà. Quoique monftre ne fignifie proprement qu'une chofe faite pour être remarquée, nous lui donnons le fens le plus odieux. Traître femble porter à l'oreille toute l'horreur de la chose. Ainfi la finale tre défignera fort bien un vice fombre, un défaut choquant, une qualité odieufe, une chofe fâcheufe & mauvaise.

La terminaifon aud eft le celte aud; od, ot, ud, qui marque la hauteur, l'élévation, l'orgueil, la hardieffe, l'audace. Employée injurieufement, elle doit naturellement défigner non feu lement le haut degré du vice ou du défaut reproché, mais encore le vice ou le défaut librement manifefté, ouvertement déclaré, hardiment expofé, effrontément foutenu. Ainfi le maraud eft un infolent gueux ou un fieffé coquin; le lourdaud, un perfonnage fort lourd & fort mal-adroit qui s'abandonne à toute fon incurie; le nigaud, un grand niais qui porte la bêtife fur fa figure; le ribaud, un franc & effronté libertin, &c.

S

Sacrifier, Immoler.

Sacrifier fignifie rendre facré, fe dépouiller d'une chofe pour la confacrer à la Divinité, la dévouer de maniere qu'elle foit perdue ou tranfformée. Immoler fignifie offrir un facrifice fanglant, égorger une victime fur l'autel, détruire ce qu'on dévoue : ce mot vient de mola, nom de la pâte facrée qu'on mettoit fur la tête de la victime avant de l'égorger.

Il y a différentes fortes de facrifices; l'immolation eft le plus grand des facrifices. On facrifie toute forte d'objets: on n'immole que des victimes, des êtres animés. L'objet facrifié est voué à la Divinité: l'objet immolé eft détruit à l'honneur de la Divinité. Le facrifice a généralement pour but d'honorer; & l'immolation a pour but particulier d'appaifer.

Les Perfécuteurs du Chriftianifme naiffant obligeoient les Chrétiens à facrifier aux faux Dieux, non en leur faisant immoler des animaux, mais feulement en exigeant d'eux un acte de culte, comme de brûler de l'encens, de goûter des viandes confacrées.

pas.

Il ne

Jephté facrifie fa fille & ne l'immole l'immole pas, puifqu'elle va dans les bois avec fes compagues pleurer fa virginité : il la facrifie en la

dévouant à l'état de vierge, à la stérilité, infame chez les Juifs.

Iphigénie fut facrifiée & non immolée fur l'autel de Diane en Aulide : c'eft-à-dire qu'elle fut confacrée au culte de cette Déeffe ; & c'eft le miniftere qu'on la voit enfuite exercer en Tauride. Homere, Iliad. IX, dit expreffément qu'Agamem non l'avoit laiffée à Mycènes. Ainfi les mots expliqués, tout s'explique; & de tant de débats fur les contradictions prétendues des anciens Auteurs, il ne refte fouvent qu'une preuve de notre préfomptueufe ignorance.

Je me garderai donc bien de croire que toutes les fois que l'Histoire ancienne nous préfente des hommes facrifiés, ces hommes furent immolés. Je craindrois de calomnier la nature humaine; & ne mérite t-elle pas déjà trop de reproches ?

Chez les Gaulois, le mot établi pour exprimer le facrifice, fignifioit offrande du gâteau. Ne paffe-t-il pas généralement pour conftant, felon le témoignage de Cicéron (a), que l'ufage ordinaire de ces peuples étoit de facrifier des victimes humaines? Cependant lifez Céfar: quels hommes immoloient-ils fur leurs carn ou autels? Des criminels condamnés à la mort par les Druides, tout ensemble Prêtres & Juges. Ainfi ce que vous faites dans la place publique, ils le faifoient devant leurs Dieux, pour donner aux actes de la juftice la fanction impofante de la Religion. Pour vous qui croyez légitime la mort d'un criminel, n'eft-il pas vrai que l'horreur de ces prétendus facrifices dif

(a) Orat. pro Marco Fonteio. 21.

« PreviousContinue »