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Se Tapir, fe Blottir.

Tap, tab, fignifie étendre, couvrir; se tapir, c'eft proprement fe cacher, mais derriere quelque chofe qui vous couvre, & en prenant une posture. raccourcie & refferrée. En tapinois ne fignifie autre chofe que fecrétement, fans faire du bruit. M. de Gébelin penfe que blottir vient de lat, portant l'idée de cacher & de couvrir : en bas-breton, blada, le tapir; en irlandois, bladaire, tromper, &c. Je croirois que ce mot vient plutôt de la racine bol, pol, d'où bol, bloc, pelote, boule, ce qui fe met en rond, en peloton, en tas: il exprimeroit ainfi proprement l'action de s'accroupir, de fe ramaller, de fe rouler fur foi-même.

On fe tapit derriere unbuiffon ou dans un coin, pour n'être point vu : on dit qu'un enfant eft tout blotti ou couché en rond dans fon lit, & il n'a pas eu l'intention de fe cacher. Le froid fait tout naturellement qu'on fe blottit, fans avoir le deffein de fe tapir.

Je crois donc que l'idée principale de fe tapir eft de fe cacher; & que la maniere n'eft qu'une idée fecondaire; au lieu que cette maniere de fe ployer en deux ou de fe ramaffer en un tas, eft l'idée premiere de fe blottir, & que celle de fe cacher n'eft qu'une idée acceffoire. M. de Gébelin dit luimême que fe tapir, c'est se cacher; & se blottir, fe mettre en deux pour fe cacher.

Lelievre fe tapit, fe renferme dans fon gîte: la perdrix fe blottit, fe pelotonne, pour ainfi dire, devant le chien couchant.

J

Se blottir ne fe dit que dans le fens de fe ramaffer, felon le ftyle des chaffeurs. Se tapir s'employe dans le fens reftreint de fe renfermer, comme l'a fait un ancien Poëte :

Qui veut fe tapir chez foi,

Eft libre comme le Roi.

Tapifferie, Tenture.

Tap, tab, fignifie couvrir, étendre pour couvrir; je viens de le dire: ainfi le tapis couvre. Tan ten défigne l'action de tendre, d'étendre ; je l'ai déjà dit: ainfi une tente eft une toile tendue..

La tapiferie eft donc faite pour couvrir quelque chofe; & la tenture, pour être tendue fur quelque chofe. La terminaifon du premier de ces mots défigne un genre particulier de travail ou de chofes; la terminaifon du fecond, le réfultat d'une action ou d'une opération. La tapifferie eft ainfi un genre d'étoffe ou d'ouvrage en canevas, en tissu, destiné à couvrir les murs d'une chambre & à la parer : la tenture est un tiffu, un objet quelconque, employé à être tendu fur ces murs & à produire le même effet. La tapifferie eft tenture en tant qu'elle eft placée, étendue fur le mur: la tenture est tapifferie en tant qu'elle revêt & pare le mur.

La tapifferie eft proprement un genre particulier de fabrication ou de manufacture: on dit les tapifferies de Flandre, de Bergame, d'Aubuffon, des Gobelins. La tenture défigne vaguement tout ce qui eft employé au même ufage on dit des

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tentures de tapifferie, des papiers-tentures, &c. On dit une piece de tapiferie, & une tenture de tapisserie. La tenture renferme toutes les pieces employées à meubler une chambre.

Il n'y a plus à choifir entre plufieurs fortes de tentures; on a de ces riches tapifferies dans lesquelles il entre les lits de plufieurs centaines de milliers de pauvres; ou de ces papiers dont l'économie, telle que celle des pauvres, confifte à dépenser peu à la fois, pour dépenfer plus fouvent & en total beaucoup davantage. Après le luxe, il n'y a rien de fi difpendieux que la pauvreté : tout coûte cher au pauvre.

Nos aïeux, avec leurs groffes tapifferies, meubloient leurs maifons & leurs châteaux pour leur poftérité: nos tentures brillantes de foie meublent les appartemens pour quelques années. L'efprit & les mœurs des fiecles fe peignent par-tout. Ces bonnes gens-là léguoient à leurs enfans les fruits & le goût d'une noble économie : on legue aujourd'hui aux fiens des dépenfes & le goût d'un fafte

ruineux.

Les Italiens, riches en peintures, au lieu de tapilferies, couvrent les murs de leurs fallons, de tableaux tant bons que mauvais. Pauvres en ce genre, il femble que nous ayons voulu les imiter

par

des boiferies, des couleurs, des vernis & des dorures fort légeres, qui nous difpenfent assez avantageufement des tentures, à certains égards.

Fleury ne croit ne croit pas que les Ifraélites euffent des tapifferies dans leurs maifons; & l'on n'en use guere dans les pays chauds où l'on aime à conferver la fraîcheur des murs. Ce dernier avantage eft affez confervé par nos tentures de papier, qui d'ailleurs

d'ailleurs donnent aux appartemens un air de rure & de gaîté.

pa

Nos Dames qui travaillent beaucoup à tromper l'ennui & à perdre le temps, font quelquefois de la tapifferie, mais pour couvrir quelques fiéges: c'eft affaire à des Pénélopes & à toutes ces petites Reines de l'antiquité, qui travailloient fi bourgeoifement & de fi bonne foi pour le ménage, à entreprendre l'ameublement entier d'un palais en tapifferie. La tenture d'un fallon feroit, pour nos Dames, l'ouvrage de plufieurs vies ; & elles riront de la femme forte qui fait, chaque année, de fes propres mains, deux paires d'habillemens complets pour chacun de fes domestiques (a).

Tarder, Différer.

LA racine tar, qui défigne la force, la violence, là grandeur, a naturellement fervi à indiquer la longueur du temps, ce qui fait trouver le temps long: idée propre de tard & tarder; tarr, en hébreu, tarder; tarh, en chaldéen, différer, arrêter, retarder; tario, tarder, demeurer. Tard veut dire après le temps néceffaire, déterminé, convenable, ordi naire, accoutumé ; & il emporte quelque chofe de défavorable. Différer, latin differre, est un compofé de ferre, porter ; c'eft littéralement 'porter loin, porter ailleurs, reculer; & par une application particuliere, nous le difons à l'égard du temps.

(a) Proverb. 31.
Tome IV.

Y

L'idée propre de tarder, eft celle d'être, de demeurer long-temps à venir, à faire ; & l'idée de différer, celle de remettre, de renvoyer à un autre temps, à un temps plus éloigné. Tarder ne fignifie pas feulement différer à faire une chofe, comme le difent des Vocabuliftes; c'eft, comme l'Académie l'a dit, différer, en forte que ce qu'il y a à faire ne fe faffe pas à temps ou à propos, dans le temps convenable. Tarder ne défigne que le fait fans aucune raifon du retard: différer annonce une résolution de la volonté qui détermine le délai. Enfin on tarde, en ne fe preffant pas de faire ou en faifant lentement, fans prendre un certain terme on differe, en renvoyant, en rejettant la chofe à un autre temps, ou fixe ou indéterminé.

Ne tardez pas à cueillir le fruit, s'il est mûr: s'il n'eft pas mûr, différez. Il eft quelquefois fage de différer; il est toujours imprudent de tarder.

En tout, il y a le temps ou le moment: différez

pour l'attendre; mais ne tardez point, car il n'attend pas. On perd du temps à tarder; on en gagne quelquefois à différer. Il réfulte de là qu'il convient de dire tarder, lorfqu'on a tort de différer.

Il n'y a pas à différer, quand la chofe preffe. Pendant que vous tardez, l'occafion eft paffée.

La diligence confifte à choisir le temps & à le mettre à profit. Or celui qui tarde fait toujours, & celui qui differe fait fouvent tout le contraire. On fçait bien le prix de la diligence; mais on goûte la douceur de la pareffe.

Ne tardez point à vous rendre à cette affemblée où vous êtes attendu : ceux qui attendent, difoit Defpréaux, ne fongent qu'aux défauts de ceux qui fe font attendre. Il est malheureux que vous ayez

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