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avec des matériaux ayant déjà servi. En voilà trois preuves déjà, si je compte bien.

Mais nous ne sommes pas au bout de nos renseignements :

Le 8 thermidor (26 juillet), la commune fait une dernière allocation de 2,800 livres pour le parachèvement du monument.

Et la fontaine de Montaplan fut parachevée avant l'hiver 1794. Elle a coûté, non 6,800 livres, comme Albitte l'avait statué, mais presque le double. Les architectes avaient déjà de mauvaises habitudes en ce temps-là.

A l'activité avec laquelle cette entreprise fut conduite, il y eut d'ailleurs une raison qui n'est dite nulle part. C'est la nécessité où l'on était de donner du travail aux ouvriers du bâtiment. Ils s'étaient multipliés ici depuis le milieu du XVIII° siècle, grâce à la construction de petits hôtels élégants, de la Halle, du Théâtre, de l'Hôtel de Ville, de l'Abattoir, puis de l'Hôpital. (Le même motif fut pour quelque chose dans la reconstruction du clocher du Temple de la Raison, l'an d'après.)

Cependant le petit obélisque de Challes, devenu le cénotaphe de Marat, faisait toujours figure à la porte de notre Hôtel de Ville.

La réaction thermidorienne n'eut garde d'attaquer immédiatement le culte de l'Ami du peuple. Le 5o jour complémentaire de l'an III (21 septembre 1794), la Convention ordonna le transfert de ses «< cendres »>, du Carrousel au Panthéon d'où elles chassèrent celles de Mirabeau.

La commune de Bourg prit une mesure identique. Elle décida que le cénotaphe élevé par Desisles, à sa porte, serait transporté sur la place de la Fédération. Ce trans

port suivit immédiatement; il ne coûta que 839 livres ; ce chiffre sur lequel il y a à imputer, outre le transport, la démolition et la réédification de l'édicule, implique absolument qu'il avait des proportions fort modestes. (9 ventôse an III, 27 février 1795.)

La commune de Thermidor, composée en partie de Girondins, voulant abolir la mémoire de la fête sécessionniste du 30 juin 1793, que les inscriptions de Desisles rappelaient, en fit composer d'autres consignées dans ses registres. Ces inscriptions existent, non entièrement gravées, sur quatre plaques de marbre noir, conservées longtemps dans les caves de l'Hôtel de Ville, placées aujourd'hui sur l'escalier du Musée. Leur dimension aussi prouve que le monument qui devait les recevoir était de petites proportions.

Les cendres de Marat furent jetées dans un égout le 8 février 1794. Celles des rois de France n'avaient pas été traitées beaucoup mieux et toutes les reliques finissent à peu près de même. Sur le terre-plein du Bastion, dans l'axe de la rue Crève-Cœur, deux tilleuls, plus jeunes que les autres, indiquent encore la place occupée un moment par l'obélisque de Challes. Je n'ai pas cherché à quelle époque précise il a été détruit. Il me suffit d'avoir établí que la pyramide de Montaplan était debout et parachevée avant l'hiver 1794, qu'à cette date l'obélisque existait encore sur la Place, et que s'il l'a quittée en février 1794, ce fut pour être transporté sur le terre-plein du Bastion.

Il me reste à dire comment la fontaine de Montaplan est devenue la pyramide Joubert, et à indiquer d'où sort la légende qui la confond malignement avec l'obélisque de Challes.

Le général bressan, en trois jours, avait démoli le petit

état de nos vieux maîtres, et détrôné la sœur de Louis XVI « l'auguste Clotilde ». Ceci causa à Bourg, dans quelques familles, autant d'émotion que le 21 janvier. Joubert devint la bête noire du parti royaliste, et son héroïque mort à Novi passa pour une punition divine.

Le 3 novembre 1799, le Conseil des Cinq-Cents vota «l'érection, au chef-lieu de l'Ain, d'une pyramide au héros que la République regrette ». Ce vote resta lettre morte. Bonaparte, à son passage ici, le 9 avril 1805, en marqua de l'étonnement. On lui dit que l'argent manquait. Il donna 20,000 francs. On les détourna simplement de leur destination. Il y avait d'ailleurs à Montaplan une pyramide faite depuis onze ans. On trouva ingénieux de la consacrer à Joubert. Cela se fit à petit bruit et à peu de frais. Il restait à Brou un marbre noir qui avait couvert la tombe des Gorrevod. On y scia trois dalles minces qui furent boulonnées aux parois de la fontaine de Montaplan et reçurent les inscriptions votives. La Restauration, fidèle à ses colères contre le destructeur du trône de Madame Clotilde, enleva ces marbres. 1830 les a remis à leur place.

La légende qu'on vient de démolir est une autre vengeance des Blancs contre un Bleu. Quand on l'inventa, vers 1816, bien des témoins eussent pu la contredire; ce n'eût pas été prudent. L'échafaud de Savarin, dressé par la Cour prévôtale, nous a remplis de prudence pendant quinze ans.

Le parc de Challes a été dépecé et le château démoli sous la Restauration, par un spéculateur hardi, le même qui a créé un quartier neuf dans le jardin de Varenne. Des matériaux qu'il ne put vendre, ce spéculateur a construit deux jolies maisons du faubourg Saint-Nicolas, non dépourvues de style.

L'avenue de Challes subsiste entre ses deux canaux

bourbeux. Des platanes magnifiques ont remplacé ses peupliers. Sur l'emplacement du château s'élèvent trois petites maisons de plaisance. Dans l'une, un pavillon au toit aigu peut remonter au XVIIe siècle. Une autre conserve quelques portraits provenant de l'ancienne galerie où il y en avait, dit-on, deux cents. Les pentes de la colline, du côté de la ville, sont couvertes par les jardins de ces trois villas; il peut y rester quelques arbres du temps du Comte. Le plateau est occupé à l'Est et au Nord par trois exploitations toutes rurales, au Nord-Ouest par le cimetière de Bourg dont la Ville a acheté le terrain vers 1830.

L'enceinte du Petit Parc est debout presque entière.

Dans le Grand Parc il ne reste plus rien d'autrefois, sauf dans le pli de terrain où s'étendait le lac, la magnifique source qui l'alimentait. La butte qui avoisinait cette fontaine et où j'ai fait, dans mon enfance, des bouquets de bruyère, a été rasée. Le chemin de fer de Lyon à Besançon coupe en deux, diagonalement, le paysage méconnaissable. Et une maison d'aliénés remplace par là l'Arc des loyaux amants et aussi le Cabinet défendu.....

JARRIN,

LE PAUVRE.

Chaque fois qu'un pauvre venait,
Blanchon, de Marboz, lui donnait
Tantôt une assiette de gaude
Bien appétissante et bien chaude,
Tantôt une tranche de pain;
Nul ne s'éloignait ayant faim.
Et Blanchon disait à sa fille,
Une blondine de cinq ans :
« Dieu bénira notre famille
Si nous donnons aux mendiants. »
Or, un matin, la ménagère
Lavait son linge à la rivière;
La servante chauffait le four;
Jacques partit pour son labour,
Laissant la petite Jeannette
(C'était le nom de la fillette)
Seule au logis avec son chien,
Un vieux barbet qu'elle aimait bien.
Arrive, courbé sous la bise,
Un mendiant à barbe grise;
Il demande la charité
Et s'éloigne désappointé
En ne voyant dans la cuisine
Que le barbet et la blondine;
Heureusement que nos amis
Sans se parler s'étaient compris ;
Jeannette court ouvrir la huche
Si promptement qu'elle en trébuche,
Tandis que le chien, d'un seul bond,
Rattrape le vieux vagabond,

Le saisit par sa blouse bleue,

De l'œil, de la voix, de la queue,

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