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heures du soir, et, le tuyau étant crevassé, gagna le plafond, le perça, déborda dans la pièce au-dessus habitée par Mme de Léal. A minuit, Matifaux rentrant et regardant par habitude les fenêtres de la jeune femme les vit briller d'une lueur aveuglante; au-dessus, la cheminée était couronnée d'une aigrette de feu.

Il accourut, brisa du poing la porte vitrée du rez-dechaussée, monta un degré d'instinct, força une autre porte, et, à travers une chambre pleine de flammes et de fumée, enleva de son lit et emporta dans ses bras, le cœur pantelant, la jeune femme évanouie de terreur. Il l'emporta, pour l'éloigner le plus possible de l'incendie, au bout du jardin, dans ce pavillon qu'il habitait. Là, il la déposa sur son lit, et, comme elle restait sans connaissance, pour la rappeler à la vie, il la couvrit de caresses ardentes...

Elle frémit, rouvrit les yeux, respira longuement, pria le soldat en pleurant - Oh! les belles larmes ! - de s'occuper enfin de sa mère. Il obéit... un peu tard...

Mme Servien, ayant pris le soir un narcotique, ne s'éveilla que quand une partie du plafond s'effondra; elle ne fut pas atteinte, mais elle eut une peur affreuse, fit effort pour se lever et tomba frappée d'apoplexie.

Denise resta malade des événements de cette nuit, la plus terrible de sa vie et la plus pleine d'imprévu. Elle refusa plusieurs fois, avec une émotion singulière, de recevoir son sauveur. Ce refus fit jaser. Si elle l'eût reçu, on eût glosé autant ou plus. Elle céda à l'envie de savoir jusqu'à quel point elle était malheureuse. L'entrevue qui suivit dura cinq minutes, assez pour la renseigner, hélas ! Au premier regard intolérable de ce soldat, à quelques mots sur la mort de Mme Servien, mal dits et assaisonnés d'un sourire étrange, aux consolations qu'il osa faire

entrevoir, l'infortunée comprit ce que cet homme valait — et que son malheur était complet.

Stupéfait du silence écrasant, de la figure indignée qu'il rencontra, l'officier s'en alla désarçonné, doutant de son mérite. (Cette modestie lui dura peu.) A un mois de là, son bataillon dut partir pour la Flandre. L'hiver suivant, on apprit à Montbeney qu'il épousait une riche héritière de Saint-Amand.

Mme de Léal, plus malade, alla consulter un célèbre médecin de Lyon. Il lui ordonna, paraît-il, de changer d'air, car elle vendit ce qu'elle possédait et alla, à ce qu'on croit, habiter Cannes. Toutefois, au premier tour que je fis en Suisse, en 1835, je crus la reconnaître à Interlaken. Elle habitait, me dit-on, un chalet au bord du lac de Thoun et avait une petite fille d'environ quatre ans, aux yeux bruns et aux cheveux d'or.

Matifaux, vers les quarante-cinq ans, était obèse et absolument abêti; cela ne l'empêcha pas cependant de faire la campagne de Crimée et l'aida à obtenir des épaulettes de colonel. Veuf dix ans après, il se remaria avec une dame d'honneur de l'Impératrice, qui lui apporta en dot le brevet de Général de brigade et lui donna une petite fille (arrivant avant terme d'un mois ou deux) qui fut nommée Napoléone par son auguste parrain. C'est le général marquis de Sévelinge qui fit, en 1870, cette fameuse campagne où il ne perdit que dix-sept hommes. Il fut promu à l'un de nos grands commandements militaires ; il a fait exécuter, en 1873, dans sa capitale, une messe en musique de sa composition, qui a eu bien du succès. DÉMOCRITE.

NOTE STATISTIQUE

SUR LA DIVISION ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE DU DÉPARTEMENT DE L'AIN

pendant la Révolution.

Il nous est tombé sous la main un opuscule de vingthuit pages, ayant pour titre : Observations adressées à l'Assemblée nationale par Claude-Marie GroscassandDorimont, prêtre, citoyen de Treffort, sur la division actuelle du département de l'Ain en districts et cantons, avec un plan de nouvelle division, d'après laquelle les neuf districts que comprend ce département seraient réduits à quatre, et ses quarante-neuf cantons à trente-cinq. Ce titre indique nettement l'objet du mémoire. Par ce temps où l'histoire de la Révolution est plus que jamais à l'ordre du jour, il nous a paru utile d'en extraire quelques renseignements statistiques.

Et d'abord, deux mots de l'homme. Groscassand-Dorimont a joué chez nous un certain rôle. Pendant quelque temps curé de La Chapelle-du-Châtelard, avant la Révolution, il s'était retiré à Treffort, où M. Philibert Le Duc nous le montre, en 1790, officier municipal, en démêlé avec le curé de la paroisse. Plus tard il embrassa la cause de la Révolution et se maria. « En 1799, dit une note obligeamment communiquée par M. Jarrin, le Directoire voulant sauver l'institution républicaine ouvertement menacée crut devoir sortir de la légalité : de là le 18 fruc1880. 2e livraison.

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tidor. L'administration départementale de l'Ain, accusée par Joubert de favoriser la désertion, par d'autres de radier des émigrés et de tolérer le culte des réfractaires à Bourg même, fut révoquée. Ceux qui avaient tenu les premiers rôles aux époques antérieures étaient morts ou s'effaçaient. Pour nous refaire une administration républicaine, on recourut à des personnages de second ou troisième ordre. Groscassand remplaça Riboud comme commissaire de l'exécutif au Département. Les élections de mai 1798 furent orageuses ici comme partout. On se battit dans la salle électorale. On allait faire une élection double, comme dans nombre de départements. Groscassand intervint et empêcha par son influence cette sottise. Il fut lui-même élu ».

Dans ses Observations publiées vers la fin de 1789 ou le commencement de 1790, avant que la division de l'Ain fût devenue définitive, Groscassand critique la division proposée à l'Assemblée et qui fut adoptée. Il lui reproche d'exiger de trop nombreux fonctionnaires ou magistrats et d'être trop dispendieuse.

On sait que l'Assemblée Constituante, après avoir partagé la France en 83 départements, divisa chaque département en districts, cantons et communes.

Les autorités administratives ou judiciaires, toutes issues de l'élection, étaient :

1o Dans le département, un conseil de 36 membres déléguant à un directoire de département, composé de huit de ses membres, l'administration active et le contentieux administratif, un procureur général syndic,

criminel avec le jury;

un tribunal

2o Dans le district, un conseil de douze membres déléguant l'administration active à un directoire de district

composé de quatre de ses membres, un procureur-syndic, - un tribunal de district, composé de cinq juges élus pour six ans parmi les citoyens actifs âgés de trente ans et ayant été pendant cinq ans juges ou hommes de loi (1); 3o Dans le canton, subdivision purement judiciaire, un juge de paix élu pour deux ans ;

4o Dans la commune, subdivision purement administrative, un Corps municipal composé du maire et des officiers municipaux. Un nombre double de notables élus s'adjoignait dans les grandes circonstances au Corps municipal pour former le Conseil général de la commune. y avait en outre un Procureur de la commune.

Il

Cette organisation qui subsista jusqu'à la constitution de l'an II, c'est-à-dire pendant les cinq années les plus orageuses de la Révolution (2), avait pour base l'élection à deux degrés. Etait électeur primaire tout citoyen actif, c'est-à-dire payant une contribution égale à la valeur de trois journées de travail (soit dans l'Ain 36 sols), âgé de 25 ans et domicilié depuis un an. Les citoyens actifs réunis en assemblée primaire, choisissaient les électeurs parmi ceux d'entre eux payant une contribution égale à la valeur de dix journées de travail (soit six livres). Les

(4) Les tribunaux de district siégeaient généralement au cheflieu de district; cependant les districts de Pont-de-Vaux, Châtillon et Saint-Rambert avaient leurs tribunaux à Saint-Trivier, Pont-deVeyle et Ambérieu.

(2) La loi du 4 décembre 1793 qui organisa le gouvernement révolutionnaire supprima le Conseil général et le Procureur général syndic, mais conserva le Directoire de département. Le Procureur syndic du district fut remplacé par un agent national. Le conseil du district fut exclusivement chargé de surveiller l'exécution des mesures du gouvernement, à la charge d'en rendre compte tous les dix jours au Comité de salut public. Cette loi fut rapportée lors de la réaction thermidorienne.

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