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pour concerter avec lui les mesures à prendre en vue de l'attaque du lendemain.

Gauthier entra au Conseil des Anciens en 1797 et fut réélu en 1798.

Après le 18 Brumaire il fut nommé juge au tribunal de première instance de Paris, en devint vice-président en 1811, et occupa cette place jusqu'en 1815. Ayant signé l'Acte additionnel et ayant été nommé conseiller à la Cour de Paris, il fut compris au retour des Bourbons parmi les trente-huit conventionnels exceptés de la loi d'amnistie.

Il se réfugia à Bruxelles comme la plupart de ses collègues. Ils ne tardèrent pas à y être pourchassés par la diplomatie qui faisait semblant d'avoir peur de quelques vieillards impuissants. On obtint leur expulsion du gouvernement des Pays-Bas, et ils reçurent l'ordre de quitter son territoire avant le 15 février 1816.

On raconte ainsi à Bruxelles comment cet ordre fut révoqué :

Gauthier (de l'Ain), forcé de quitter le pays où il avait espéré se faire un établissement définitif, était assis dans le coin le plus retiré du Parc, sur un banc, se demandant en quel lieu du monde il pourrait bien abriter le reste de sa vie contre les fureurs ineptes mais toutes puissantes qui le traquaient. Ses traits accusaient une telle détresse, son attitude un si absolu désespoir qu'ils émurent un promeneur, lequel vint s'asseoir près de lui, crut pouvoir et devoir le questionner sur les causes de son chagrin, d'un air touché, ménageant toute susceptibilité et appelant toute confiance. Le proscrit dit sa situation avec une éloquence sombre et fut écouté avec une sympathie croissante. On lui conseilla de s'adresser au Roi des Pays-Bas, accessible à tous à un jour et à une heure déterminés.

Gauthier secouant la tête, son interlocuteur prit congé en disant qu'il parlerait lui-même.

- Ce promeneur était Guillaume d'Orange, Guillaume Ier dit le Têtu; il comprit qu'on lui avait fait faire une iniquité et sut la réparer. L'exilé, rentré, vit arriver un chambellan lui annonçant que ses compagnons et lui pouvaient rester à Bruxelles.

Gauthier obtint de rentrer en France sous le ministère Martignac, en 1828. Il se retira dans l'Isère où il s'était marié. On l'a revu à Bourg après 1830; il y parla du passé à un magistrat dont les souvenirs ont pu être utilisés ici.

Il est mort en 1834 à 84 ans. (Son collègue Jagot est décédé nonagénaire. La génération à laquelle ces hommes appartenait était forte.)

Aux yeux du parti royaliste ici, ce n'était pas Javogues, ce n'était pas Desisles qui était le bouc émissaire chargé du crime de la Révolution, c'était Gauthier. J'y vois plusieurs raisons.

Des adversaires qu'on a, ceux qu'on hait le plus, ce ne sont pas les plus violents; ce sont les plus sages, ceux-ci étant bien en fin de compte les plus dangereux.

Puis Gauthier a été le premier ennemi. Il a commencé ici la bataille, et les coups assénés par lui portent. La blessure qu'il a faite ne s'est jamais tout à fait cicatrisée.

Il a ruiné, en prenant Lyon, la grande espérance de ses adversaires et ajourné leur revanche de vingt-deux années.

Desisles n'a duré que trois ans, Javogues n'a duré que trois jours. Gauthier a, de fait, gouverné ici dix ans, et il a vécu quatre-vingt-quatre ans.

Les ennemis morts sentent bon. Les ennemis qui survivent si longtemps, non. Ils ont tous les vices, ont commis

tous les crimes. Un royaliste reproche à Gauthier sa figure.

Reconnaître que c'est à ce juge de Louis XVI que les 360 détenus de Bourg ont dû de ne pas voir, par la fenêtre de leur geôle, la guillotine debout à la porte attendant leurs têtes, - que c'est sa politique qui, en nous envoyant Méaulle, a fini ici la Terreur deux mois avant Thermidor, ce serait de la clairvoyance et de la probité. Les ambitions et les jalousies masquées des uns, les haines ouvertes des autres en étaient incapables. Et beaucoup, devant leur vie ou celle de leurs parents à Gauthier, l'ont poursuivi jusqu'à sa mort, même plus tard, de leur inepte et ingrate invective.

Brillat eut presque tous les dons et, pour les perfectionner, une excellente éducation. La nature paraît avoir été avare pour Gauthier. Le premier est un sceptique brillant et charmant; le second un croyant rigide qui se fait surtout estimer. Tous deux ont eu l'ambition de gouverner leur pays. Brillat, qui a pris le vent et tourné avec lui, a régné dix mois. Gauthier, qui a barré droit, a régné dix ans ; et il est mort sans avoir amené son pavillon maintes fois foudroyé. N'est-ce pas pour un homme de cette trempe qu'Horace épicurien, ne pouvant refuser son admiration, dictait le Justum ac tenacem propositi virum.....

JARRIN.

LE TORCHON MOUILLÉ.

Il était un petit garçon

Que ses parents aimaient à la folie

Et comblaient de toute façon :

Billes, chevaux de bois, ballon, cerceau, toupie;
Il avait le secret de se faire donner

Tout ce qui lui faisait envie.

Et ce secret?... tâchez de deviner...

Vous brûlez, vous gelez!.. Eh bien, il était sage
Tout bonnement, sage comme une image,
Soumis, affectueux, obéissant, si bien
Que ses parents ne lui refusaient rien.
Mais un matin que son bon ange
Dormait encore (ils dorment quelquefois),
L'enfant eut un caprice étrange,

Désobéit, grossit sa voix,

Frappa du pied comme un âne en colère !
Même on m'a raconté qu'il se roula par terre !
Réveillé par tous ce fracas,

Le bon ange pleurait tout bas.

Savez-vous la fin de l'histoire ?

Maman mit les jouets au fond de son armoire,
Papa prit un torchon mouillé

Et fouetta doucement l'enfant déshabillé

Qui s'écriait : « Grâce! tu m'estropies!

Tu ne m'aimes donc pas, puisque tu me châties ? » - Le père répondit : « C'est quand on aime bien, Mon garçon, qu'on corrige bien. >>

Décembre 1879.

REPENTIR DE LUCY.

Lucy n'ayant pas été sage,
Petite mère l'enferma.
D'abord, Lucy fit du tapage,
Frappa du pied, cria, hurla,
Battit la porte de colère,
Bien que la porte, assurément,
N'eût rien à voir en cette affaire.
Maman ne s'émut nullement,
Maman se garda de répondre

Et laissa l'enfant se morfondre.
Bientôt la colère tomba,

Lucy comprit ses torts, pleura

Non plus de rage mais de hontę,
- Douces larmes que Dieu nous compte !
Puis essuyant ses yeux rougis,
Roulant entre ses doigts contrits
Son mouchoir encore tout humide,
Elle s'en fut d'un pas timide
Vers sa mère : « Pardonne-moi,
J'ai le cœur si gros loin de toi!
Ne détourne pas ton visage,
Toujours, toujours je serai sage!
Pour te prouver mon repentir,
Je veux moi-même me punir :
Tu sais bien la belle poupée
Si pimpante, si bien drapée
Dans son manteau de satin blanc
Qu'on m'a donnée au jour de l'an?
Dès ce soir, pour ma pénitence,
Je veux la donner à Clémence... »

- Ah! dit la mère, en l'embrassant,
J'ai donc retrouvé mon enfant!..

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CL. P.

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