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anankè et restent debout sous sa main de fer. Faisons comme eux. Notre science, d'accord avec leur religion, nous montre bien que la fatalité est la loi du monde. Où est mon crime?... Mais entre ce qui nous reste de' christianisme et la science libératrice combattue par le dogme qu'elle détrône, oh ! qu'il y a place pour bien d'inénarrables, incurables douleurs !... Enfin, si j'étais croyant, j'aurais peur du diable et de moi-même. Quelle lumière et quelle force cela me donnerait-il pour la lutte; quel remède contre ma blessure? Laissons-là les rêves. Voyons les choses comme elles sont.

« Qu'est-ce que le monde ? une succession d'êtres qui » se suivent, se poussent et disparaissent. Nous nous >> promenons entre des ombres, ombres nous-mêmes pour » les autres et pour nous. Le monde est éternel pour » vous, vous l'êtes pour l'éphémère qui ne vit qu'un » jour... Cependant nous passerons tous. L'espèce hu» maine n'est qu'un amas d'individus plus ou moins » malades... Out! Out! brief candle... Triste flamme, >> éteins-toi... >>

Les sept lignes de prose sont peut-être de Diderot, les quatre mots d'anglais sont de Hamlet; et leur traduction est de Ruy-Blas.

Quand M. Salvetat revit sa femme, il lut dans son regard désespéré, mais froid et calme, qu'elle n'avait manqué ni à elle-même ni à lui. Il lui dit : « Nous voilà seuls sur la terre. Il faut nous aimer ». Elle répondit : « Je ne peux plus... >>

Il partit pour la Louisiane où il avait des intérêts, afin d'occuper sa vie. L'Ohio qui le portait ayant forcé son feu pour dépasser la Delaware, sauta devant Memphis. Il périt avec les deux cents passagers.

Faustine resta un temps courbée sous la douleur. La nuit, en rêve, Salvetat lui reprochait, l'œil morne, d'avoir mal conduit leur enfant... Léo, lui-même, lui disait en cachant sa plaie au sein, mais d'une voix amère : « Le sourire que vous adressiez à cet étranger m'a trompé...» Elle en répétait quelque chose au D' Fonteyne qui savait sa vie et qui avait enseveli le pauvre Léo. Le docteur lui disait : « Nous ne gouvernons pas notre mémoire, cet instrument que nous avons forgé. Nous ne nous gouvernons pas nous-même davantage. L'éducation que vous avez donnée à votre fils est la suite et la conséquence de celle que vous avez reçue. Ces pauvres sourires qui ont navré le malheureux enfant, c'était la floraison dernière, inconsciente, de votre jeunesse sobre et conservée. Il n'y aurait pas là sujet de se repentir, admis que le repentir serve à quelque chose. Fatiguez-vous à cultiver vos roses pour avoir des sommeils sans rêves.

- Quel emploi de la vie me proposez-vous là? cher bon docteur.

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Je vous propose là un exercice hygiénique simplement. Quant à l'emploi de votre vie, choisissez : ou d'épouser M. d'Ularre; il vous aime, l'une dans l'autre, votre fortune et vous. Vous régnerez trois ou quatre ans sur le Haut-Rhône. Ce régime a encore trois ou quatre ans dans le ventre; ou de gouverner ce royaume peuplé de cinquante habitants qui vous reste. Cela consiste à faire l'école aux enfants, à porter de la quinine aux fiévreux, des bas de laine aux vieilles gens. Si vous prêtez mille francs à Jean qui est dans les dettes, si vous laissez Jacques qui n'a pas de bois vous voler un fagot, vos métayers et vignerons grossir indûment leur moitié et amoindrir la vôtre de quelques gerbes de blé ou barailles de vin, ces gens sont

capables de vous aimer... Vous irez à Aix l'été, pour changer d'air, voir des figures, et entretenir la haine que vous avez du monde!... >>

Elle s'arrêta au second parti. A Aix elle revit son premier adorateur N..., tout jeune avec soixante printemps, se disant capable de l'épouser. Elle n'en voulut rien croire. Toutefois comme N... était devenu un écrivain grave, avait gravi de l'Académie des Sciences morales à l'Académie des Inscriptions et frappait à la porte auguste de l'Académie française; comme il était de la Cour, du Sénat, de la Société protectrice des animaux, elle ne refusa pas d'entrer en correspondance avec lui. N... lui a raconté avec de bons détails le déclin du régime impérial et sa chute. Cela s'imprimera quelque jour.

Cette année elle a rencontré le peintre D..... au Casino. Il s'est converti. Il lui a dit : « Je fais des madones et j'enseigne le catéchisme à ma fille. C'est le plus sûr. »

N.... donnait le bras à Mme Salvetat. Il a répondu : « C'est tout-à-fait sûr. Toutefois, Eve qui avait appris le catéchisme du Bon Dieu a flirté avec le Serpent, et a mal élevé son fils aîné. »

A La Peyrière sa vie est fort unie. Le matin elle arrose ses rosiers, coupe les fleurs fanées, en apporte de fraîches sur la tombe de Léo. Elle met son courrier à jour, tient ses comptes. Vers midi elle visite son royaume qui a une lieue de tour, y semant la joie. A quatre heures, elle se repose sur un banc de gazon, dans le jardin de l'école parfumé de seringas, ou à côté de la fontaine de l'ouvroir. qu'enveloppe un noyer de son ombre. A côté d'elle se couche Tobie, le lévrier de Léo, dont l'œil tendre ne la quitte pas. Elle ressemble au grand ange sombre d'Albert Dürer, instruit et las des choses. Un pli vertical plisse son

beau front, mais son sourcil est moins dur que celui de « l'oiseau divin ». Elle retrouve un sourire quand M. Jean (élève d'Hofwil) lui amène les petits garçons, groupe folâtre, arrivant avec une étonnante gravité, fuyant avec cris en se culbutant quand elle a baisé le plus sage. Après quoi Mme Jean amène l'essaim propret et rose des petites filles; elles font à Madame une révérence et lui montrent leur ouvrage : Madame donne à la plus habile quelque dé d'argent ou des ciseaux fins; alors elles s'éparpillent dans l'enclos, s'arrêtant près des groseilliers. Depuis la mort de son fils, la mère emploie son cœur à l'école ou à l'ouvroir. Le soir elle fait de gros tricot, de la musique avec M. Jean, une partie d'échecs avec le docteur, ou relit Montaigne.... D'autres encore tenant, en ce temps-ci, le flambeau dont Lucrèce a parlé, Vitaï lampada. Mais taisons leurs noms; ils blesseraient plusieurs parmi ceux-là même qui auront lu ce conte jusqu'au bout.

M. Pask a épousé une princesse de Reuss-Schleinitz, grande comme un grenadier poméranien, aussi laide et quasi aussi velue; il a d'elle quatorze enfants. Il ne peut manquer d'être premier ministre un jour.

DÉMOCRITE.

LES BIBLIOTHÈQUES COMMUNALES

(LU A LA SÉANCE DU 18 AOÛT 1880)

Messieurs,

Je viens, en m'associant à un autre membre de la Société, vous soumettre une proposition concernant l'emploi de la subvention annuelle qui nous est allouée par le Conseil général du Département.

Vous connaissez tous l'excellente institution des bibliothèques pédagogiques cantonales, et vous savez que dans nos 36 cantons, à cette heure, elles sont ou fondées ou en cours de fondation.

Les progrès de cette institution ont été rapides, car il n'y a guère que huit ans qu'elle a pris naissance; c'est le 18 juin 1872 que la Société d'Emulation a fondé nos deux premières bibliothèques pédagogiques cantonales.

Permettez-moi de rappeler brièvement, pour l'honneur de la Société d'Emulation, les circonstances dans lesquelles elle a pris l'initiative de ce mouvement.

Ceux d'entre vous qui voyaient de près les instituteurs, soit dans leurs écoles, soit aux examens, étaient frappés d'un fait singulier, fâcheux, qui se reproduisait partout et constamment : tel jeune homme, à l'Ecole normale, se montrait studieux, intelligent, avide de savoir; aux examens, il subissait les épreuves avec succès, parfois même avec éclat, et donnait de sérieuses espérances; cinq ou

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