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L'Assemblée nationale, après avoir proclamé un principe nouveau, la liberté des cultes, laissa son comité ecclésiastique composé de Jansénistes fabriquer une église constitutionnelle, revenant en cela aux errements du XVI° siècle. Cette église fut aidée d'abord par la Révolution, puis par elle combattue, et tuée par Bonaparte.

Elle n'a pas fait ce qu'elle voulait faire pour plusieurs raisons, dont voici deux: 1° Parmi ceux qui la conduisaient, plusieurs manquaient de foi. Il faut généralement, pour mener les hommes, croire à ce qu'on leur enseigne. Trop de prêtres constitutionnels chez nous ont abjuré quand Albitte l'a voulu. Les martyrs ont manqué à cette cause. 2° Elle a eu des chefs honnêtes et médiocres, un Grégoire, un Le Coz, un Royer. L'œuvre qu'ils reprirent après Thermidor courageusement, le rétablissement du culte avait réussi en partie quand Bonaparte intervint : Tulit alter honores. Qu'est-ce que le Consul, qui a conservé et imposé au Pape quatorze évêques assermentés, eût fait si, à la tête de ce groupe trouvé sain, il y avait eu un Jean Huss ou un Savonarole, c'est-à-dire un homme. de quelque génie, sachant parler à la France de haut et écouté d'elle? Mais les hommes de génie aussi ont manqué à l'Eglise constitutionnelle.

Pour dire comment elle fut servie et combattue dans l'Ain, les renseignements me font défaut. Je n'ai pu connaître ni le chiffre des prêtres ayant prèté le serment

constitutionnel, ni celui des prètres l'ayant refusé. Il y a des cas où le serment a été prêté avec des réserves, ce qui complique. Je n'ai pas davantage le nombre des prêtres abdicataires persévérants et mariés, ni celui des abdicataires revenant sur leur abjuration. Ni la répartition par district des uns et des autres.

Dans l'état de mes informations, je crois voir ceci :

C'est dans le district de Belley qu'il y a eu le plus d'abjurations; dans celui de Nantua une partie très grande du clergé a émigré; l'Eglise constitutionnelle a réussi relativement dans les districts bressans.

Voici quelques mots sur les chefs de cette église :

Je nomme premier Claude Loup. C'est un de ces prêtres « enfants du pays » auxquels, après l'expulsion des Jésuites, Bourg avait confié son collège. Ils avaient prêté serment en le motivant. Loup, plus tard, ayant donné des gages à la Gironde, périt à 32 ans sur l'échafaud des Terreaux, le 18 février 1794. Dépery, comptant les prêtres sacrifiés à la Révolution dans l'Ain, ne le nomme pas : ceux qui ont choisi, pour obéir aux lois de la France, de désobéir au Pape, sont à ses yeux des apostats.

Le futur évêque de Gap ne nomme pas davantage (pour la même raison?) Jean-Marie Grumet, ex-grand-vicaire de Loménie de Brienne, cet archevêque de Toulouse qui ne croyait pas en Dieu et avait en bénéfices ecclésiastiques 678,000 livres de rente. J'ai pu lire un volume de lettres du grand-vicaire à son évêque : il y a deux anecdotes curieuses, mais non édifiantes, sur les mœurs des couvents d'alors. Grumet, bon prêtre, administrateur capable, politique timide, fut un des meneurs de notre directoire girondin. Comme Loup, il paya de la vie non ses opinions religieuses, mais ses préférences politiques.

Mais M. Dépery range parmi nos « hommes célèbres » le P. Pacifique Rousselet, prieur des Augustins de Brou, élu curé de Bourg et membre de notre municipalité girondine. Rousselet avait été incarcéré comme suspect à la fin de 1793. Albitte, qui arriva ici le 22 janvier 1794, supprima les deux cultes le 26, inaugura le culte de la Raison le 5 février, élargit, à sept jours de là, plusieurs prêtres «< revenus aux principes de l'Eternelle Raison », dont le principal est l'ex-curé de Bourg. Il l'annonça triomphalement aux Jacobins le 16, jour où il envoyait Loup et Grumet à la Commission temporaire de Lyon. M. Dépery évite de raconter tout ceci, et assure que Rousselet est mort orthodoxe.

On n'en peut dire autant de Groscassand-Dorimont, curé de La Chapelle-du-Châtelard, assermenté, abdicataire, marié. Il entra au directoire de l'Ain, après le 18 fructidor, comme commissaire du pouvoir exécutif, et fut, en mai 1798, nommé aux Cinq-Cents.

Après ces croquis assez informes destinés à faire entrevoir ce qu'ont été chez nous les coryphées de l'Eglise constitutionnelle, il faut esquisser un peu plus au long la biographie de son chef légal, l'évêque de l'Ain.

Jean-Baptiste Royer était né à Cuiseaux, (petite ville de la Bresse chalonnaise), de parents honnêtes et d'ancienne bourgeoisie (Désiré Monnier). Il était, en 1789, curé de Chavannes-au-Revermont.

Les innovations de la Constituante en matière de discipline ecclésiastique ont été, comme les autres, précédées en province par des discussions plus ou moins approfondies. Royer était auteur d'un plan de réforme qu'il produisit, dit Lalande (Anecdotes), « à l'Assemblée baillivale de Bourg » Ce plan effaroucha ses confrères; il ne fut pas élu.

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<< Les curés de Bresse s'étaient ligués pour ne pas choisir à Bourg les députés du Clergé. » Ils ne voulurent pas davantage, pour représentant, de Courtois de Quincey, évêque de Belley, lequel n'eut pas, en Bugey, plus de chance. Les députés du clergé bressan aux États-Généraux furent deux curés de campagne, Gueydan, de SaintTrivier, et Bottex, de Neuville-sur-Ain.

Mais le clergé du bailliage d'Aval en Comté (de Lonsle-Saunier), plus aventureux que le nôtre, nomma Royer malgré son plan ou à cause de son plan.

Bien que le Jura ait été gouverné, en 1793, par un prêtre abdicataire, Bassal de Versailles, le culte n'y a pas été détruit, comme il l'a été dans l'Ain, presque totalement. Faut-il attribuer le fait à cette attitude moins hostile à la Révolution des prêtres jurassiens? Je n'y ai pas regardé d'assez près pour répondre à cette question.

Royer prêta serment à la Constitution civile du Clergé, étant l'un de ses auteurs. Je trouve dans le Moniteur (janvier 1791) une anecdote qui le montre au vif. Il monte à la tribune et y raconte à l'Assemblée, voltairienne plus qu'à moitié, que :

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« Voulant célébrer le sacrifice de la messe et (au préalable) se purifier au tribunal de la pénitence (rires et murmures à droite), le confesseur lui a demandé s'il était membre de l'Assemblée constituante. Il a répondu : oui. S'il avait prêté le serment? Oui. S'il voulait le rétracter? Non. Eh bien, je ne peux pas vous entendre. (Applaudissements à droite.) » Royer a répondu à cette sentence « que la conscience et l'honneur devaient seuls le guider; qu'il rendait le confesseur responsable, lui et tous les évêques, de tous les maux pouvant résulter de leur résolution ».

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Sur quoi le Moniteur se raille « de ce bon curé patriote qui prend l'Assemblée de la Nation pour une conférence de curés ». Cette sincérité de Royer, qui lui vaut les moqueries du Moniteur, va lui valoir aussi la succession de l'évêque de Belley.

Sur le rôle de M. Courtois de Quincey dans la querelle religieuse, les témoignages ne sont pas bien d'accord. L'Histoire hagiologique montre le prélat malade, refusant le serment avec indignation, puis mourant de l'émotion à lui causée par une scène violente ayant pour but de l'amener à capituler. Mais une lettre de Courtois au directoire de l'Ain le fait voir se disposant à organiser... le clergé de sa cathédrale et le conseil du diocèse, qui seront ses coopérateurs ». (Voir plus haut page 326). Cela au 11 décembre 1790, - et le registre municipal de Bourg écrit au 19 janvier suivant : « Monsieur l'évêque du Département, fixé à Belley, vient de laisser son siège vacant par mort. » Ceci implique, ce semble, que M. Courtois avait accepté au moins la nouvelle circonscription donnée à son diocèse et qui en décuplait l'étendue, en faisant des réserves, si l'on veut, sur le reste de la Constitution civile du Clergé. Toutefois, je laisserai creuser cette question à d'autres.

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Après le décès de M. l'évêque du Département, les: électeurs furent invités à lui donner un successeur. On peut contester leur compétence, c'est vrai. Mais cettecompétence a été reconnue par Rome à François 1er, à Henri IV, à Louis XV, à Louis XVIII, grands pécheurs et petits théologiens s'il en fut.

Les électeurs choisirent Royer; il dut évidemment ce choix au mélange de piété et de patriotisme dont les Voltairiens des deux moitiés de l'Assemblée se riaient. Un

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