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d'histoire médiocres à placer dans les classes de grammaire, auquel cas ce n'est pas la peine de changer ce qui existe. Ajoute que, règle générale, plus un professeur d'histoire est médiocre ou inexpérimenté, plus il surcharge le cours. Il faut savoir beaucoup et bien pour faire une leçon courte et bonne. Il est donc à craindre que ces nouveaux professeurs d'histoire, si on les suppose médiocres (ce sera le cas ordinaire), n'essaient de suppléer à la capacité par le zèle, ne surchargent les enfants de devoirs, n'attirent à eux une part exagérée du temps des études, c'est-à-dire ne manquent à l'esprit même de la réforme. L'harmonie qui doit présider à une classe de grammaire, au développement proportionnel des facultés et des connaissances de l'enfant, sera détruite ainsi, sans profit. Mieux vaut, en somme, laisser le cours d'histoire au professeur de grammaire. D'abord, il y a un rapport étroit entre l'histoire qu'il a à raconter (Orient, Grèce, Rome) et son propre enseignement. De plus, il peut, mieux que personne, connaissant ses élèves et leurs forces naissantes, proportionner les parts de leurs études respectives. On me dira que les professeurs de grammaire savent peu d'histoire et de géographie; c'est une erreur, la plupart sont très compétents pour l'histoire ancienne, qui précisément leur incombe. On craindra aussi que, grammairiens et humanistes avant tout, ils ne sacrifient l'histoire à leur propre enseignement. C'est affaire de contrôle. Mais le cas me semble peu à redouter. Quand on a fait de la grammaire pendant quatre jours, il n'est guère probable qu'on veuille absolument en faire encore le cinquième.

Conclusions: si l'on pouvait mettre dans tous les lycées un agrégé d'histoire pour les classes de grammaire, je souscrirais peut-être à la mesure proposée, tout en me demandant si, quelle que soit la valeur des spécialités, il n'y a pas d'inconvénient à leur livrer l'enfant de trop bonne heure. Mais comme on n'en est pas là, et qu'on n'y parviendra pas de sitôt (j'ai dit pourquoi), je pense qu'il serait plus sage de laisser les choses en l'état et de garder nos trop rares agrégés pour les classes supérieures, où ils manquent.

APPENDICE C

Il est infiniment probable que cet accroissement d'heures, si favorable à l'étude du programme, deviendra très lourd pour le pro

fesseur d'histoire. Actuellement, son maximum est de 15 heures par semaine, tandis que ses collègues des classes supérieures n'en ont que 12, et même moins. De plus, ces 15 heures, dans l'état présent, ne suffisent pas; on est obligé de lui demander des heures supplémentaires, misérablement payées (2 fr. 50 dans les petits lycées). Que sera-ce quand (avec le nouveau programme) il devra faire 19 heures au moins? Cette question pratique vaut la peine d'être examinée, car ce n'est pas tout de décréter, il faut s'assurer les moyens d'exécution. Nommera-t-on deux professeurs d'histoire pour chaque lycée ? mais le personnel fera défaut. Recourra-t-on à la combinaison imaginée par certains proviseurs qui confient à un professeur de l'enseignement spécial une partie des cours classiques? Mauvais expédient, dont les vices sautent aux yeux. Il faudra donc se résoudre à demander au professeur d'histoire 19 heures au moins. Mais il serait odieux d'imiter un ministre que je ne veux pas nommer qui, pour réaliser quelque sordide économie, augmentait le maximum des professeurs au gré des besoins du service. La solution la plus équitable, la plus profitable aux études, serait de fixer à 12 heures le maximum d'un professeur d'histoire, (pourquoi le charger plus que ses collègues ? ) et de lui payer ses heures supplémentaires d'un prix décent, soit 5 fr. l'heure, 200 fr. par année. La plupart de ses collègues donnent des leçons à ce prix moyen; lui, n'en a pas. Ces heures supplémentaires lui en tiendraient lieu. Bien peu de professeurs d'histoire, je crois, réclameraient contre une surcharge de travail qui apporterait avec elle une rétribution raisonnable, et les dispenserait de chercher des leçons particulières (1). On échapperait ainsi à l'obligation (irréalisable dans l'état présent), d'avoir deux professeurs d'histoire pour chaque lycée, à l'inconvénient de recourir aux maîtres de l'enseignement spécial, et on verrait un plus grand nombre de jeunes licenciés se tourner vers la carrière de l'histoire qui jusqu'ici, ne leur offrant que peu de ressources et beaucoup de peine, les rebute invariablement.

(1) Ce ne sont pas les précédents qui manquent. Je sais tels professeurs de sciences d'un grand lycée qui touchent, chaque année, de 1,500 à 2,500 fr. d'heures supplémentaires.

TANTE LYTE.

Le père Berthier a eu deux enfants. Le fils, nommé Jean-Dorothée, des noms de ses parrain et marraine, est un beau paysan. La fille qui a nom Hippolyte est fort laide. Voici à quoi on attribue cette laideur. Tous les poulets de la Rose Berthier prenaient des poux, devenaient étiques et mouraient. Rose alla donc en voyage à SaintCoqueret, offrit au desservant douze douzaines d'œufs, puis récita trois Pater et trois Ave devant le Saint : elle fut frappée de sa figure (en d'autres temps, ce bienheureux a dû être quelque Sylvain, Panisque ou Ægipan). De là vient qu'Hippolyte, dont la Rose était grosse pour lors, a les yeux petits et vairons, un grand nez crochu, de larges oreilles, la peau noire, les os gros et le poil crépu, comme ce bon petit saint Coqueret ennemi du goupil, patron des poulailles.

Lyte, pour être fille, pour être une laideron, fut toujours traitée par ses père et mère, et par le fils, comme une servante - une servante sans gages. Cependant on l'a entendue répéter plus tard qu'elle avait passé là, de douze à dix-huit ans, son meilleur temps. La vie est commune du moins à la ferme, on mange le même pain, chacun en a sa part. Aux veillées on rit, garçons et filles, même rire. Et il n'y a pas, les jours de vogue, de joies permises aux uns, interdites aux autres. Et Lyte pleure au

du

ressouvenir de ce temps où elle sarclait en avril sous la pluie glacée, moissonnait sous les lourds soleils de juillet, semait dans les boues d'octobre, nu-pieds parce qu'elle avait cassé ses sabots, dont son père l'avait battue. Le Fils, lui, ressemblait au Bon Dieu, c'est-à-dire qu'il était grand, gros, fort, blanc de peau, frais de visage, roux de cheveux comme le principal personnage d'une Résurrection, copiée de Rubens, qui est sur le maître-autel de Virinieu. Louise Poiret, belle brune, la plus riche quasiment de la paroisse, avait toujours été dévote à ce tableau. Une après-dînée de juin, comme Dorothée était au joli bois des Claies, refaisant les fossés, la Louise, passant à l'orée du bois, ne put se tenir d'y entrer pour prendre la fraîcheur. Elle y trouva son plaisir, car elle y resta jusqu'à la nuitée. En rentrant elle dit à ses sœurs qu'elle avait dormi sur l'herbe tout le temps. Mais trois mois après, il lui fallut bien confesser à sa mère, non sans larmoyer, que dans le joli bois des Claies, elle avait eu compagnie d'homme, savoir de ce méchant Dorothée, et qu'il était prudent de les marier. On les maria donc.

Quand cette bru riche et belle arriva en la maison, Lyte en son petit entendement se dit qu'il y avait là désormais plus de femmes qu'il n'était besoin. Elle déclara donc qu'elle avait toujours eu l'ambition de servir à la ville où, forte comme elle était et membrue, elle pouvait gagner un gros gage, vingt-quatre écus (soixante-douze francs) peutêtre. On ne l'en détourna pas, ce qui la peina un peu. Elle partit donc pour Montbeney, approchant la Saint-Jean d'été qui est l'époque de la louée des domestiques, emportant six francs que sa mère lui donna en cachette et son paquet de hardes qui n'était pas gros.

Elle allait sur ses dix-neuf ans, ses traits un peu angu

leux et durs n'étaient pas désagréables absolument, son teint poussé au rouge-brun par le hâle accusait la santé. Elle manquait de gorge et de taille. Ses pieds, ses mains bien faits, mais énormes, sa grosse voix, son absence totale de coquetterie l'eussent aisément fait passer pour un garçon; et si peu qu'elle l'eût voulu, on l'eût reçue pour tel dans un régiment ou dans un séminaire.

Elle alla loger chez la mère Porriquet, béate qui recevait chez elle, à juste prix, les servantes sans place et les plaçait. Si ces filles n'avaient pas de quoi payer leur mince pension, elles engageaient leurs gages à venir; de là l'empressement de la logeuse à leur trouver des conditions; ceci est l'histoire d'une pauvre servante, j'emprunte donc parfois le vocabulaire de la profession. Mme Porriquet étant une sainte femme n'avait garde de dire la chose qui n'est pas. Mais la loi de Dieu n'interdit pas de voir le bien partout, au contraire. Donc à entendre la bonne femme toutes ses pensionnaires, même les plus affreuses guenipes, étaient de petits anges. On était fait à Montbeney à cet optimisme effréné de la béate. On n'acceptait donc de servante de sa main qu'à toute extrémité. Elle plaça Lyte chez un jardinier nommé Buisson dont la femme était un fagot d'épines; garantissant la douceur de sa pensionnaire, sa sobriété, etc. Or Lyte, brave et rude paysanne, n'était pas douce et ne fut pas trouvée sobre. Entendez que le pain relativement blanc de la ville affriandant la pauvre créature elle en dévorait trois livres par jour. La Buissonne lui reprochant sa vie matin et soir, elle demanda son compte.

Elle revint chez Mme Porriquet qui lui dit : Ma mie, tu es restée chez les Buisson quinze jours. C'est huit de plus qu'on ne fait d'ordinaire. Cela te recommande. Et elle mit

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