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Bresse et Dombes y sont pour 111, sur une population de 160,000 habitants (Lalande, Recens. de 1790); Bugey et Gex pour 54, sur une population de 125,000 habitants.

En Bresse et Dombes, il y a donc un émigré sur 1,450 personnes; en Bugey et Gex, il y en a un sur 2,135 personnes.

Nous avons là le bilan de l'impopularité relative des châteaux dans les deux parties de notre territoire.

En tenant compte de ces divers computs, je crois voir que c'est dans le Bugey, où le moine régnait, que le gentilhomme a été le moins inquiété. Il ne paraît pas l'avoir été bien davantage dans l'ancienne Dombes (elle a 27,000 habitants; en 1790).

Pourquoi l'ancienne Bresse fournit-elle à l'émigration un contingent si considérable?

C'est, vraisemblablement, que le seigneur a conservé la main-morte réelle plus tard et plus opiniâtrément qu'il n'eût fallu. C'est encore que l'attitude prise par la Noblesse, en 1788, y fut inintelligente et imprudente.

Il y a plus d'émigrés à Gex qu'en Bresse, proportion gardée. Ma vue n'atteint pas là. Ce qui obligea la Noblesse gessienne à fuir, est-ce le ressouvenir de la confiscation des biens des Protestants, en 1686, dont elle aurait profité pour partie?

J'ai comparé (en 1873) l'émigration de 1792 à celle de 1686. Cette comparaison cloche plus que de raison.

Il y eut à Gex, en 1792, 19 émigrés. En 1686, d'après les Intendants, 888 familles protestantes, environ 4,000 personnes, s'expatrièrent. Leurs biens furent confisqués le 20 décembre 1690.

y eut à Bourg, en 1692, 30 émigrés. Entre 1620 et 1686, 28 familles, soit environ 140 personnes protestantes,

furent chassées de la ville. Le chiffre de 28 familles sort d'un document conservé aux Archives du Présidial.

2°.

La seconde cause qui chez nous donne à la Révolution une physionomie différente, d'un district à l'autre, ce sont les différences assez grandes qu'il y avait alors dans leurs situations économiques.

Gex, Nantua, Belley, Saint-Rambert ne font pas, de 1789 à 1800, assez de blé pour vivre. Ils viennent s'approvisionner sur les marchés de Bresse ; on les accueille par des vexations et des batteries. Le système des réquisitions fut adopté pour remédier à cet état de choses: il suppose une force publique qui n'existe pas, ou un patriotisme qui manque au paysan : il est vite éludé. Le pain monte à 75 ou 90 centimes le demi-kilogramme, cela en un temps où la journée d'un homme était d'un franc cinquante, celle d'une femme de soixante centimes.

En temps ordinaire, une population affamée accuse son gouvernement; en ce temps, elle accuse les accapareurs et les adversaires politiques. Belley, on l'a vu, garde ses blés la nuit, en 1794, de peur que les ennemis de la Révolution ne viennent les incendier.

L'exaltation révolutionnaire de nos quatre Districts orientaux vient en grande partie non de la disette, mais de l'idée qu'elle était factice.

Les cinq Districts occidentaux exportent habituellement du blé; ils éludèrent, eux aussi, les réquisitions le plus qu'ils purent; leurs gardes-nationaux en armes vendaient leur grain en plein jour, sur les marchés de la Saône, aux acheteurs des départements limitrophes. Les coquetiers de Lyon couraient la Dombes la nuit, enlevant les vivres à

tout prix. Ces pays-là vécurent donc. Peut-être mème gagnèrent-ils. De là leur modération relative.

3o.

Une pierre roulant d'une montagne arrive nécessairement au bas; sauf le cas où quelque accident de la déclivité l'arrête indéfiniment.

Dans l'histoire, tel fait se produira aussi nécessairement ; sauf le cas où une volonté humaine y fera obstacle.

L'influence des personnes, amoindrie ou même niée en notre temps par le fatalisme historique, n'est nulle part mieux visible que dans une mince histoire locale. Les grandes vues des généralisateurs y sont perpétuellement contrariées et déjouées par les faits. La Révolution, prise dans le détail, est faite à l'image et selon l'humeur variée et variable de ceux qui la conduisent.

Après la part de l'atavisme, après celle des circonstances économiques, il faut donc faire très large celle des individus.

On le montrera plus loin en tel chef-lieu de Canton où les différences entre les classes sont peu sensibles, où toutes les classes entrent dans la Révolution avec la même ardeur et du même pas, il n'y aura pas de luttes naturellement, ni par suite de violences contre les personnes. La propriété n'y changera pas de mains.

Les circonstances directement contraires produiront des résultats opposés.

On a emprisonné en Bresse une personne sur trentedeux; en Bugey, une sur trente-cinq. La différence est mince. Un fataliste peut dire Le nombre des suspects était à peu près le même ici et là, la Révolution ayant partout les mêmes ennemis.

Regardez de plus près. Le District de Nantua est quasi aussi populeux que celui de Trévoux. Nantua emprisonne soixante individus ; Trévoux cent vingt.

La ville de Lagnieu était aussi populeuse que celles de Thoissey et de Montluel. Lagnieu n'a que six détenus, Thoissey en a dix-neuf, Montluel en a vingt-six.

Un représentant bugiste, passionné, sans fortune, de famille très humble (Jagot) ne conduit pas son District comme un autre lyonnais, riche, calculé, ancien magistrat (Merlino) conduit le sien. Ils sont d'ailleurs du même parti à une nuance près.

Une commune menée par un gentilhomme franchement patriote; une seconde menée par un curé jureur, maire; une troisième conduite par un homme du peuple, violent; une quatrième livrée à un comédien, c'est-à-dire alors un déclassé, ayant eu tous les mépris à subir, seront gouvernées différemment. La quatrième a le plus mauvais lot de beaucoup.

Un regard sommaire jeté sur les registres de nos districts, de nos comités de surveillance en dit beaucoup. Il y a des lieux qui n'ont pas cessé d'être régis par des hommes cultivés (soit d'une classe, soit d'une autre). Il y en a qui ont eu une fortune contraire.

Les notes qu'on va lire sont la contre-épreuve et la vérification de ces remarques.

PONT-DE-VAUX.

De nos neuf Districts, Pont-de-Vaux est celui où la Révolution semble avoir causé le moins de perturbation et le moins de violences. Cela appert, pour moi, de l'unique

document concernant ce pays qui soit à ma portée : les registres du District conservés aux Archives de l'Ain.

La tradition orale, qui ailleurs complète et contrôle, me fait défaut ici.

J'indique d'ailleurs, tout le premier, un moyen de vérifier mon appréciation ce sera d'examiner les registres municipaux de la ville natale de Joubert, et les procèsverbaux du club des Jacobins, rédigés par le futur général, secrétaire de cette réunion.

En somme, le Directoire de Pont-de-Vaux, conduit en 1793 par Trambly et André, était modérément mais fermement montagnard.

Il fut épuré cependant, en novembre, par Reverchon. Grognet fut président, André restait secrétaire.

L'épuration d'Albitte, en février 1794, fut totale. On va voir les noms imposés par lui.

Et aussi ceux ramenés par Boysset en septembre.

Ces noms sont tous, si j'en juge bien, une suffisante explication de la douceur relative, ici, d'une période pénible à traverser ailleurs.

J'ai indiqué deux seulement des scènes orageuses dont Saint-Laurent a été le théâtre à cette époque. Ce grand marché de blé nous est disputé par Mâcon depuis le IX siècle. Il reste fidèle au nom d'Ain-sur-Saône qu'il prit en 1793. Sa résistance persistante à l'occupation mâconnaise montre que la race bressane est vivace et ne se laisse pas absorber.

La petite ville féodale de Coligny, à l'extrémité orientale du District, avait, il faut le noter, sa vie propre. Le parti conservateur du passé y gardait beaucoup d'influence dès lors; sa résistance là a été très vive en 1793-94, et la réaction y a commencé tôt.

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