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demande la permission de vous remettre les lettres moi-même et de causer avec vous un moment.

Il écrivit, se fit habiller avec plus de soin que d'ordinaire, fut introduit dans la chambre d'hôtel, s'assit bien ému, lut le plus lentement possible pour se remettre ses lettres fort pressantes, les mit dans la blanche main qui lui fut tendue, qu'il serra et qui le lui rendit doucement. Puis il commença à conter à Mme de Lonlay, en la regardant avec le regard d'autrefois, sa triste et terrible vie. Il finit en lui demandant de s'y associer. - Vous avez et vous avez seule, disait-il, le cœur qu'il faut pour cela. Et il serait grand d'accepter.

Elle le regarda quelques secondes avec une émotion qu'elle ne cherchait pas à cacher. Vous êtes resté bien jeune, lui dit-elle, et moi je suis bien vieille. Il me semble que j'ai eu trois ou quatre existences, une seule a été heureuse; elle a duré peu. Vous m'offrez de la recommencer; je ne puis. Ma force sur laquelle vous comptez est brisée. Cette Pauline que vous avez connue est morte plus d'à moitié. Ce qui reste d'elle est à cet enfant et ne peut se partager. Son départ va me faire un dur, un égoïste souci. De ce souci et des vôtres nous ne parviendrions pas à faire du bonheur.

Et comme il insistait avec une éloquence navrante, un cri de naufragé qui se sent sombrer, trouvant impossible de le refuser en face, elle demanda à réfléchir, partit pour Montbeney d'où elle écrivit.

Dominé par le souvenir de la grande faute de 1848, Ambroise fit la fante contraire. Il laissa aux adversaires leurs charges et emplois, comptant les gagner à la République. Ils le firent naturellement révoquer au 24 mai.

Il se retira à Vaumurier. Là, repris de la maladie de sa génération, il se remit à faire de la théologie avec son

curé. Il n'avait pas accès aux textes: en 1847, à travers les traductions de Pierre Leroux, il y voyait la métempsychose; il ne laissa pas d'écouter le prêtre lui montrant là, resplendissante, l'Immaculée conception. Mais un de ses condisciples de l'Ecole, revenant d'Italie, lui parla du prophète d'Arcidosso qui ne pouvait tarder de descendre de sa montagne pour proclamer le règne de Dieu et la communauté des biens. Cela le fixa et il est mort croyant à cette religion la dernière éclose de toutes.

On l'a mis à côté de la Bénédictine, dans le bois de lilas. Les paysans qui n'avaient pas suivi le convoi de la mère sont venus à celui du fils.

Edme de Lonlay, blessé au pied à Nuits, fut emmené en Allemagne. Il parvint à s'échapper, s'achemina vers la France, marchant la nuit, se cachant le jour dans les bois, vivant de pommes de terre qu'il arrachait dans les champs, risquant parfois d'entrer dans quelque chaumière où les femmes lui donnaient du pain et un chiffon pour panser son pied. Après d'indiscibles souffrances, il atteignit la noble Suisse où les secours lui furent prodigués. Quand il rentra chez sa mère, elle ne le reconnut qu'à la voix. Bientôt elle dut pleurer sur sa résurrection. La vie de bivouac l'avait dépravé; l'effort qu'il fit ensuite usa ce qu'il avait de ressort. A vingt ans, il ne valait plus rien... et ce serait une douleur pour moi de dire ce' qu'il fit contre l'honneur. Sa mère en est morte.

DÉMOCRITE.

On cherche ici des ressemblances, il y en a; des portraits, il n'y en a pas. Quand ces esquisses seront réunies, on y reconnaîtra au plus un croquis de la vie de province au xixe siècle.

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Le Coup d'État avait réussi. Il restait à en rendre le peuple français complice en le lui faisant ratifier par un plébiscite. Les décrets du 2 décembre avaient d'abord prescrit le vote au scrutin public, avec signature sur un registre. L'armée vota suivant ce mode dans les 48 heures (1). Mais un pareil mode de votation était si peu propre à donner au pouvoir nouveau le prestige qu'il recherchait dans un plébiscite qu'on y renonça. Le vote des 20 et 21 décembre 1851 eut lieu au scrutin secret. Le

(1) Vote de l'armée de terre: 303,290 oui et 37,359 non. Vote de l'armée de mer : 15,979

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5,128 »

Il se trouva donc dans l'armée française plus de 42,000 militaires qui eurent le courage de signer de leur nom un vote négatif. L'armée était proportionnellement beaucoup plus républicaine que la nation. Le vote total de la population civile donna 7,439,216 oui et seulement 640,737 non.

parti républicain était assez décimé, la presse assez muselée, le pays assez terrorisé : le résultat ne pouvait être douteux.

La formule suivante fut soumise à l'approbation du suffrage universel :« Le peuple veut le maintien de l'autorité de Louis-Napoléon Bonaparte, et lui donne les pouvoirs nécessaires pour faire une constitution d'après les bases établies dans sa proclamation du 2 décembre. »

Le scrutin donna dans l'Ain les résultats suivants :

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Pas une commune ne donna une majorité de non. Les seules où les suffrages furent à peu près balancés sont Challex, Vaux et Saint-Laurent-lès-Mâcon.

Même libre, le vote eût donné au Prince-Président une forte majorité, tant la France était altérée de repos et prête à l'abandon d'elle-même.

Mais si l'on songe aux conditions dans lesquelles s'accomplit ce vote, dans le silence de la presse, au milieu des arrestations et des proscriptions, sous l'œil des gendarmes le sabre au poing dans les salles de vote, on est en droit de s'étonner qu'il se soit trouvé dans l'Ain près de 3,500 citoyens pour répondre non.

Quelques faits donneront une idée de la liberté du vote. Nous les trouvons dans les dossiers de la Commission mixte. Le 27 février 1852, cette commission plaçait sous la surveillance du ministère de la Police générale et «< révoquait de ses fonctions de conseiller municipal » (sic). un propriétaire de Thézillieu, nommé Borron, «coupable d'avoir, aux élections de décembre dernier, fait tous ses

efforts pour empêcher les électeurs de voter en faveur du Président de la République ».

Le 7 février elle condamnait à la même peine deux cultivateurs d'Ambronay, nommés Sevoz et Perrin, « coupables de propager très activement les doctrines les plus dangereuses ». Ces deux hommes avaient été arrêtés avant le plébiscite, et voici en quels termes le Procureur de la République de Belley, Genevois, expliquait leur arrestation : « Je n'ai aucun fait précis à articuler contre ces deux prévenus. Ils passent pour avoir des relations avec les hommes les plus exaltés de leur parti et pour avoir été des émissaires ardents dans les villages qu'ils habitent. Pour paralyser les effets de la propagande qu'eux et les leurs auraient été tentés de pratiquer lors du vote du plébiscite, j'ai introduit la poursuite dont vous êtes saisi » (1). De pareils faits abondent; ces exemples suffisent.

-Ainsi affermi par le vote populaire, le gouvernement nouveau s'occupa activement de s'organiser. Les quatre mois de pouvoir dictatorial, qui s'écoulèrent du 2 décembre 1851 au 29 mars 1852, jour de la réunion des grands corps de l'Etat, furent mis à profit. Le 14 janvier 1852, Louis-Napoléon promulgua une constitution qui, sauf de légères modifications, nous a régis jusqu'en 1870. Le régime parlementaire, rétabli en France depuis la chute du premier empire, subit une nouvelle éclipse. Plus de tribune! Un Corps législatif, pâle assemblage de candidats officiels, créatures de l'administration et valets du pouvoir, fantôme de représentation nationale privé des droits d'initiative, d'amendement et d'interpellation (dont il n'avait au reste guère souci), votant le budget par

(1) Lettre du 31 janvier 1852. (Archives de l'Ain.)

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