Page images
PDF
EPUB

nous avons placé dans les cas d'abus l'infraction des règles consacrées par les canons reçus en France, et l'attentat aux libertés franchises et coutumes de l'Eglise gallicane; il faudrait que le souverain renonçât à son droit de protection dans les matières religieuses, et qu'il fût indifférent sur ce qui concerne l'église nationale, pour pouvoir s'interdire le droit inaliénable et incessible de réprimer les infractions et les attentats dont nous parlons.

On prétend que, sous prétexte de réprimer l'infraction des canons, le souverain pourrait s'immiscer dans l'administration des choses purement spirituelles qui sont le patrimoine exclusif des ministres du culte.

[ocr errors]

Sans doute le souverain aurait tort de connaître de ces matières comme magistrat politique; mais il est toujours connu comme protecteur; aussi l'appel comme d'abus a toujours été reçu, même pour les objets purement spirituels; c'est ce qui résulte de l'art. 34 de l'édit de 1695. La connaissance des causes concernant les sacrements, » les vœux de religion, l'office divin, la discipline ecclésiastique et autres objets purement spirituels, porte cet article, appartiendra aux juges d'église. Enjoignons à nos >> officiers et même à nos cours de parlement de leur en » laisser et même de leur en renvoyer la connaissance >> sans prendre aucune juridiction ni connaissance des af>>faires de cette nature, si ce n'est qu'il y eût appel comme » d'abus interjeté en nosdites cours, de quelques jugements, or» donnances ou procédures faites sur ce sujet. »

Il peut donc y avoir lieu à l'appel comme d'abus, même dans les matières concernant les sacrements, lorsqu'il y a contravention aux saints canons; il faut que la contravention soit prouvée; mais, quand elle l'est, le souverain est autorisé à la réprimer en sa qualité de protecteur'.

1 Novelle de Justinien, 137, cap. 1; Nov. Ead., in præfat. — Fevret, Traité de l'Abus, tom. I, liv. I, ch. vi, p. 32; liv. XII ou Code de sacrosanctis ecclesiis.

Après avoir énuméré quelques cas d'abus, la loi, par la disposition que nous discutons, énonce indéfiniment dans le nombre de ces cas toute entreprise ou tout procédé qui, dans l'exercice du culte, peut compromettre l'honneur des citoyens, troubler arbitrairement leur conscience, dégénérer contre eux les oppressions ou en injure, ou en scandale public.

Ce prétexte est indéfini, parce qu'il était impossible qu'il ne le fût pas; nous en avons déjà donné les raisons en établissant combien il serait absurde et dangereux de vouloir, spécifiquement et avec précision, déterminer tous les cas d'abus. Mais dans ce texte, rien ne peut alarmer les ministres du culte, puisque le recours au souverain n'y est autorisé que pour des entreprises ou des procédés qui auraient le caractère de l'oppression, de l'injure ou qui dégénérerait en scandale.

1

Bezieux et Fevret2 observent que, suivant les auteurs français, l'oppression, la domination, l'exercice du pouvoir arbitraire forment même le genre de l'abus.

Selon M. Marca3, le véritable objet du prince, en permettant le recours à son autorité dans le cas d'abus, est de prêter une main secourable à tous ceux qui sout injustement opprimés, manum porrigere omnibus injuste oppressis, et d'après le même auteur, l'oppression est précisément caractérisée par les actes d'injure, de violence ou de scandale dans lesquels on n'a point suivi les voies de droit, si vis ulla contra præscriptum legum et canonum illata præscrip

tum sit.

Les mots oppression, injure, scandale, avertissent suffisamment que l'on ne peut appeler comme d'abus ou recourir au souverain en matière ecclésiastique que pour des

1 Pag. 30, col. 1.

2 Liv. I, chap. vi, aux notes.

3 Traité de Concord. Sacerd. et imper. 4 Voyez encore Cochin, tom. I, p. 379.

actes que les ministres du culte se seraient permis contre la justice, le droit et la raison; c'est dans ce sens que l'édit de 1695 permet de se plaindre par appel comme d'abus, de la calomnie, et même dans ce cas d'intimer les évêques personnellement. C'est dans le même sens que M. de la Chalotais disait que toute injustice évidente est un moyen d'abus'. Les parlements qui étaient autrefois juges de l'abus sont remplacés dans notre nouvelle législation par le conseil d'État, et cet ordre nouveau est bien plus favorable aux ecclésiastiques que l'ancien, car les parlements n'étaient que des tribunaux dont la juridiction rivalisait avec celle du clergé. Dans l'exercice de cette juridiction, le magistrat particulier pouvait difficilement se défendre contre l'esprit de corps et contre loutes les petites passions qui agitent un rival. La même chose n'est point à craindre dans le conseil d'État, qui ne voit que le gouvernement et qui n'existe que par lui. En effet, il est dans la nature du gouvernement, centre de tous les pouvoirs et de toutes les administrations, de ne jalouser aucune administration, de ne rivaliser avec aucun pouvoir, de protéger tout, et de ne s'armer contre

personne.

[ocr errors]

ARTICLE VII.

Du recours au conseil d'État dans les cas d'abus commis contre les ministres du culte.

((

Il y aura pareillement recours au conseil d'État, s'il est porté atteinte à l'exercice public du culte et à la liberté » que les lois et les règlements garantissent à ses ministres. » Cet article est fondé sur la raison naturelle. Si les personnes ecclésiastiques peuvent commettre des abus contre leurs inférieurs dans la hiérarchie et contre les simples fidèles, les fonctionnaires publics et les magistrats peuvent 1 Journal de Bretagne, tom. II, p. 103.

s'en permettre contre la religion et contre les ministres du culte.

Le recours au conseil d'État doit donc être un remède réciproque comme l'était l'appel comme d'abus, car voici ce qui est porté dans l'art. 80 de nos libertés : « L'appel » comme d'abus réciproque est réciproquement commun » aux ecclésiastiques pour la conservation de leur autorité >> et juridiction: si que le promoteur ou autre ayant intérêt >> peut aussi appeler comme d'abus de l'entreprise ou atten»tat fait par le juge lay, sur ce qui lui appartient. >>

»

Il est enseigné par tous les auteurs que les ministres du culte peuvent appeler comme d'abus de toute sentence ou jugement rendu par un tribunal laïque; si ce jugement blesse les lois ou la juridiction spirituelle des personnes ecclésiastiques; si l'on a vu peu d'exemples de ces appels comme d'abus, c'est que la voie de l'appel simple était toujours ouverte aux ecclésiastiques contre les sentences des juges inférieurs, et que la voie de la cassation leur compétait contre les arrêts des cours.

ARTICLE VIII.

Forme de procéder.

« Le recours compétera à toute personne intéressée ; à dé>> faut de plainte particulière, il sera exercé d'office par les » préfets.

» Le fonctionnaire public, l'ecclésiastique ou la personne >> qui voudra exercer le recours, adressera un mémoire dé» taillé et signé au conseiller d'Etat, chargé de toutes les af>>faires concernant les cultes; lequel sera tenu de prendre » dans le plus court délai tous les renseignements conve »nables, et, sur son rapport, l'affaire sera suivie et définiti>>vement terminée dans la forme administrative, ou ren

» voyée, selon l'exigence des cas, aux autorités compétentes. >> L'on voit par cet article que la forme de procéder est purement administrative; rien de plus sage. Les matières religieuses intéressent essentiellement l'ordre public; elles sont une partie importante de la police administrative de l'État; elles sont rarement susceptibles d'une discussion contentieuse.

En administration, les affaires sont traitées discrètement; devant les tribunaux, elles reçoivent nécessairement une publicité qui souvent, en matière religieuse, pourrait compromettre la tranquillité; presque toujours cette publicité serait fatale à la religion même.

Dans les causes ecclésiastiques, il est des convenances à consulter et des moments à saisir pour juger raisonnablement ces causes; il faut souvent peser les temps ou les lieux; il faut pouvoir user d'indulgence ou de sévérité selon les circonstances; rien n'est si délicat que la direction des choses qui tiennent à la conscience ou à l'opinion. Le gouvernement doit naturellement avoir dans ses mains tout ce qui peut influer sur l'esprit public; il ne doit point abandonner aux autorités locales des objets sur lesquels il importe qu'il y ait unité de conduite et de principe. Souvent on est forcé de décider entre les ministres du culte et les magistrats séculiers; ceux-ci seraient alors juges dans leur propre cause, s'ils pouvaient prononcer sur les bornes de la juridiction spirituelle ou ecclésiastique; de là vient que, même lorsque la connaissance des appels comme d'abus appartenait aux cours de justice, ces cours en étaient saisies, omisso medio, parce qu'elles étaient censées représenter immédiatement le souverain, et parce qu'on les présumait au-dessus des jalousies et des passions particulières. C'est ramener l'appel comme d'abus à sa véritable institution, que d'en faire, ce qui n'aurait jamais dù cesser d'être, le recours direct au gouvernement lui-même.

« PreviousContinue »