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SUR LA MESURE DONT M. L'ABBÉ FRAYSSINOUS AVAIT ÉTÉ L'OBJET DE LA PART DU PRÉFet de police.

17 mars 18071.

SIRE,

Je dois rendre compte à Votre Majesté d'une démarche de M. le conseiller d'état préfet de police de Paris, contre laquelle je crois devoir réclamer. Samedi dernier, 14 mars, ce magistrat a mandé à la police M. l'abbé Frayssinous, qui, depuis plusieurs années, fait des conférences hebdomadaires, qui sont un vrai cours d'instruction religieuse. Des fonctionnaires publics, des personnes de toutes les classes assistent à ses conférences, qui n'ont jamais donné lieu à aucune plainte, et qui produisent le meilleur effet. L'objet du mandé-venir a été uniquement de donner une sorte de direction à l'orateur. Comme la direction donnée est maladroite, et que les motifs sur lesquels on a entendu. l'appuyer sont faux ou ineptes, j'ai cru devoir en écrire à M. le ministre de la police générale, que j'ai prié de vouloir bien recommander à M. le préfet de police plus de circonspection et de prudence dans des matières aussi délicates que celles de la religion. Je joins une copie de ma lettre à ce ministre.

Quand Votre Majesté est présente, je puis présumer qu'une démarche faite par M. le préfet de police a été autorisée par ses ordres, et mon devoir se réduit à en parler à Votre Majesté elle-même; mais, en l'absence de Votre Majesté, je suis plus particulièrement responsable des objets dont elle a bien voulu me confier la direction immédiate. Quand M. le ministre de la police générale pense devoir

1 Inédit.

proposer quelque chose d'utile dans les affaires ecclésiastiques, il se concilie avec moi, et nous allons l'un et l'autre au plus grand bien; je ne sais pourquoi M. le préfet de police s'est conduit par d'autres principes dans une occasion où la mesure par lui prise n'était certainement pas sans inconvénient.

Quand la tranquillité publique est menacée, la police doit se mouvoir d'elle-même contre qui que ce soit, ecclésiastique ou non; mais, lorsque rien de pareil ne se rencontre, lorsqu'il ne s'agit que d'éclairer et de diriger les ministres du culte dans des matières de leur compétence, l'intervention de la police ne peut avoir pour résultat que d'annoncer des soupçons et d'inspirer de la méfiance : les malveillants rient, et les vrais amis du Gouvernement et de la religion sont découragés.

Il m'était conséquemment impossible de me regarder comme étranger dans une affaire qui touchait essentiellement à tous mes devoirs, et qui ne pourrait se reproduire sans danger. Je suis bien sûr qu'un simple avis de M. le ministre de la police générale suffira pour ramener M. le préfet aux véritables règles,

LETTRE

A MONSEIGNEUR L'ARCHICHANCELIER

SUR LE MÊME SUJET.

17 mars 18071.

MONSEIGNEUR,

Samedi, 14 du courant, M. le préfet de police de Paris manda à la police M. l'abbé Frayssinous, qui depuis plusieurs années fait, à Saint-Sulpice, des conférences hebdomadaires, qui sont un véritable cours d'instruction religieuse; ce mandé-venir, ordonné sans raison, sans motif, et même sans prétexte, m'a autant affligé que surpris, et je ne sais pourquoi M. le préfet de police m'a regardé comme étranger à une affaire qui est essentiellement dans les attributions que Sa Majesté a bien voulu me confier.

J'ai cru devoir en écrire confidentiellement à M. le ministre de la police générale, en le priant de vouloir bien recommander à M. le préfet de police de ne plus hasarder en pareille occasion des mesures humiliantes contre des ministres du culte, mesures qui ne sont jamais sans éclat et qui, par cela même, ne sont jamais sans dangers.

J'ai l'honneur d'adresser à Votre Altesse Sérénissime une copie de ma lettre confidentielle à M. le ministre de la police générale, dans laquelle Votre Altesse verra toute la discussion de cette petite affaire.

Quand Sa Majesté est présente, je puis croire qu'une démarche faite sous ses yeux par M. le préfet de police est autorisée par ses ordres, et alors tout mon devoir se réduit à en parler à Sa Majesté elle-même; mais en l'absence de Sa

1 Inédit.

Majesté, je suis plus particulièrement responsable des objets dont elle a bien voulu m'attribuer la direction immédiate.

S'agit-il de quelque discours qui puisse menacer la tranquillité publique? la police n'a besoin de personne pour se mouvoir; mais s'agit-il uniquement de donner quelques directions aux ministres du culte? l'intervention de la police n'est plus qu'humiliante pour eux. Les malveillants rient, les mécontents murmurent, les amis du gouvernement et de la religion sont découragés.

L'influence des ecclésiastiques serait perdue et la religion deviendrait un ressort nul, si l'on pouvait croire que les orateurs chrétiens ne parlent et n'agissent que sous l'impres sion de l'autorité; j'ai donc cru devoir m'élever contre une première démarche qui, si elle était répétée, aurait les plus graves inconvénients et produirait le plus mauvais effet sur le clergé et sur le public.

J'ai cru devoir rendre compte exact à Votre Altesse d'un fait qui n'aura certainement aucune suite, et qui par par luimême semblait annoncer un système de conduite contre lequel j'ai dû réclamer.

Je prie Votre Altesse Sérénissime de vouloir bien agréer, etc., etc.

Copie de la Lettre que j'ai écrite à M. le Ministre de la Police générale et dont il est fait mention dans les deux Lettres précédentes.

MONSIEUR ET CHER COLLÈGUE,

17 mars 1807'.

Quand Votre Excellence veut donner quelque direction aux ministres du culte, elle me fait l'honneur et l'amitié de m'en prévenir; je profite de ses lumières et nous allons au

▲ Inédit.

bien. M. le préfet de police de Paris en a pensé autrement; samedi dernier, il a mandé à la police M. l'abbé Frayssinous, et il l'a fait sans raison, sans motif, et même sans prétexte. J'ajouterai que la conversation de ce magistrat avec cet ecclésiastique m'a autant affligé que surpris.

Je vais entrer dans quelques détails avec Votre Excellence. Depuis quelques années, M. l'abbé Frayssinous fait un cours d'instruction religieuse. Ses conférences avaient lieu dans une chapelle particulière, située à côté de l'église SaintSulpice. Je l'invitai à les transférer dans l'église même : un enseignement public ne peut jamais être suspect.

En conséquence, depuis cette année, M. l'abbé Frayssinous tient ses conférences le dimanche dans l'église de Saint-Sulpice; il a constamment un nombreux et brillant auditoire. M. le cardinal Maury l'a entendu deux fois, et en a été fort content. Des fonctionnaires publics, des personnes de toutes les classes, assistent habituellement aux conférences de M. l'abbé Frayssinous; j'y ai assisté moimême, et M. le préfet de police ne peut l'ignorer: tout cela devait suffisamment rassurer le magistrat contre les rapports obscurs de la niaiserie ou de la malveillance.

Cependant, sans m'en prévenir et sans penser que la chose pouvait ne pas être étrangère à mes attributions, il a pris sur lui d'appeler à la police M. l'abbé Frayssinous, pour l'interroger sur ses discours et même pour lui tracer un ordre de matière. Cet ecclésiastique a été bien étonné lorsque M. le préfet de police lui a reproché de prêcher le cagotisme et les pratiques superstitieuses, de n'avoir jamais parlé de la conscription militaire, de la gloire de l'empereur et de celle de nos armées. Ces reproches prouvent que M. l'abbé Frayssinous ne s'était rien permis qui pùt compromettre la tranquillité publique et donner occasion à M. le préfet de police de déployer son zèle. Dès lors pourquoi mander cet ecclésiastique à la police? La mesure était inconvenante, il

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