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richesse de la nation, doivent être placés sous la surveillance d'un contrôle vigilant, sous la garantie d'une comptabilité méthodiquement ordonnée. Toute gestion appelle un contrôle, tout mandat aboutit à une reddition de comptes (1). C'est là un principe général, qui gouverne avec une égale rigueur la conduite des fortunes privées et l'administration des deniers de l'Etat.

Malgré ses étroites affinités avec les principes du droit constitutionnel, la question du contrôle des finances de l'Etat ne se présente point sous un aspect purement juridique. Elle a une portée plus haute. L'économie politique et la science. financière sont également ses tributaires. A l'homme d'Etat et à l'historien, au financier et au jurisconsulte, elle ouvre les plus larges horizons. Et ce n'est pas son moins vif attrait, de concilier ainsi, dans une heureuse synthèse, les deux notions du juste et de l'utile, l'idée du droit et le bien économique.

Il ne faut point un

Développement économique du pays. grand effort d'analyse pour discerner les intérêts sociaux et économiques que met en jeu l'institution d'un contrôle financier. D'eux-mêmes, pour ainsi dire, ils se découvrent au regard le moins pénétrant. Affirmer que la puissance matérielle des Etats, leur expansion économique, leur essor vers le progrès, ne se développent librement que sous l'influence. d'une forte organisation financière, c'est énoncer une vérité d'évidence. De nos jours surtout, à une époque où le régime de la paix armée et la fièvre des grandes entreprises coloniales prélèvent sur l'ensemble des fortunes privées une rançon effrayante, la stabilité des finances publiques est plus qu'un élément de succès, c'est une question vitale entre toutes. Mais la prospérité financière d'un Etat dépend, pour le moins, autant d'une sage administration des deniers publics,

(1) Nous nous plaçons ici à un point de vue très général. On verra plus loin ce qu'il faut penser de l'assimilation communément établie entre le mandat civil et celui des ministres ordonnateurs, responsables de leurs actes devant le Parlement.

basée sur un contrôle sévère, que de l'étendue des forces contributives du pays. Quelque fécondes qu'elles soient, les sources de l'impôt s'appauvrissent graduellement et finissent par tarir, si la dispensation des revenus publics est livrée, sans frein ni contrôle, aux hasards d'une gestion prodigue et imprévoyante.

L'histoire nous offre à cet égard des enseignements précis. Ainsi qu'on le verra plus loin, les crises financières, sans cesse renaissantes, qui assombrissent les plus glorieuses époques de l'ancienne monarchie, n'ont pas eu de causes plus actives que le désordre et l'absence de contrôle dans le maniement des revenus publics. Cette gestion s'enveloppait de l'ombre la plus profonde. Le Trésor royal se dérobait au regard de la Nation; les traitants et autres prévaricateurs de haut lignage en fréquentaient seuls les avenues. Le contrôle n'existait alors que de nom; il ne se manifestait guère que par brusques éclairs, frappant au hasard, accusant son impuissance par l'excès même de la répression. Par là s'expliquent l'anarchie, la désagrégation progressive des finances de l'ancien régime.

Un gouvernement qui néglige d'éclairer, par un contrôle permanent et attentif, la marche des dépenses publiques, évoque l'image d'un navire en détresse, dont le pilote a abandonné le gouvernail. Que la tempête survienne, et le vaisseau désemparé qui porte la fortune de l'Etat sombrera au premier choc.

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Despotisme financier de l'Etat. Alors même que sa fonction se réduirait à protéger la fortune publique contre ces redoutables éventualités, le contrôle des finances affirmerait suffisament sa raison d'être, aux yeux de l'homme d'Etat et de l'économiste.

Mais là ne se borne pas son action bienfaisante.

Dans la lutte économique engagée entre les nations, l'avenir est aux peuples qui, sachant modérer leur dépenses et en faire un emploi judicieux, ménagent le mieux les sources vives de la production nationale et laissent aux initiatives privées

le maximum de leur puissance. C'est toujours aux dépens de la vie économique du pays que l'Etat s'approprie une trop grosse part de la fortune des citoyens et transforme en dépenses publiques une trop forte somme de dépenses privées. Par cette fausse conception de son rôle, l'Etat tend à détruire le ressort des énergies individuelles et à porter, par conséquent, une atteinte fâcheuse au développement de la richesse nationale.

Or une action modératrice sur le despotisme financier de l'Etat ne saurait s'exercer fructueusement que si elle est secondée et éclairée par un contrôle vigilant des dépenses publiques. C'est dans la bonne organisation de ce contrôle, dans la publicité dont il s'entoure, dans la sûreté et l'étendue de ses informations que la politique des économies, premier souci d'une administration jalouse de ses devoirs envers le contribuable, aura sa plus durable garantie, son plus ferme point d'appui.

Action sur le crédit public. L'heureuse influence que le contrôle des revenus publics exerce sur le bien-être général et la prospérité financière du pays se manifeste à d'autres égards.

Aujourd'hui, ce contrôle est une condition presque indispensable du crédit de l'Etat. Dans une langue imagée, l'économiste Mac-Leod (1) enseigne que le crédit est le symbole de la moisson qui se lèvera pour l'avenir; mais la moisson annoncée par le crédit ne saurait naître et grandir que sur un sol propice. Avant tout, le crédit public suppose la confiance, qui, elle-même, dépend de l'ordre, de la sécurité, de la richesse de la Nation. Les capitaux disponibles ne se prêtent qu'à bon escient, ils ne répondent à l'appel de l'Etat qu'autant que sa situation financière se révèle sous son véritable jour.

A ce point de vue, le régime parlementaire, en plaçant la gestion de la fortune nationale sous le contrôle de l'opinion, offre au crédit public la plus précieuse des garanties.

(1) Theory and Practice of banking, II, Introduction.

La publicité des comptes annuels des ministres, corollaire de la publicité des budgets, leur discussion à la tribune du Parlement, en un mot le contrôle public des finances, tel qu'il est conçu en France et dans la plupart des pays dotés du régime représentatif, par cela même qu'il permet aux créanciers de l'Etat de mesurer l'étendue et la solidité de leur gage, rassure les capitaux toujours prompts à s'alarmer, les détermine à s'offrir à meilleur compte, et réalise ainsi la condition première du crédit public.

§ 2. - Fondement juridique du contrôle des budgets.

Souveraineté de la Nation.

Après avoir envisagé la notion du contrôle des finances publiques sous son aspect le plus général, il nous reste à l'étudier dans ses éléments juridiques. Certes, les intérêts économiques auxquels répond cette institution, le rôle qu'elle est appelée à remplir, soit comme garantie d'une bonne politique financière, soit comme auxiliaire du crédit public, en démontrent surabondamment la nécessité. Mais, pour la France et pour les autres. pays parlementaires, le contrôle de la gestion financière de l'Etat se justifie par une raison plus directe et plus spéciale, inhérente à l'essence même du pacte constitutionnel.

Dans toutes les constitutions fondées sur le principe de la souveraineté nationale, le contrôle du budget a son origine et son fondement dans le droit qui appartient aux représentants du peuple, de voter l'impôt et d'en régler l'emploi. La souveraineté, qui réside aujourd'hui dans la Nation, lui confère la suprématie budgétaire ; elle lui ouvre le droit, non seulement de fixer le chiffre et la destination des recettes et des dépenses annuelles, mais encore de s'assurer que sa volonté a été strictement obéie. Montesquieu l'a dit excellemment (1), <«<si, dans un Etat libre, la puissance législative ne doit pas << arrêter la puissance exécutive, elle a droit et doit avoir la «< faculté d'examiner de quelle manière les lois qu'elle a faites «<< ont été exécutées »>.

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(1) Esprit des lois, Liv. XI, ch. VI.

Voilà, sous une formule aussi énergique que concise, le principe supérieur sur lequel repose toute la théorie du contrôle des finances. C'est parce que la Nation est souveraine c'est parce qu'elle est maîtresse absolue de la recette et de la dépense, qu'elle a le droit d'assujettir à son contrôle suprême l'administration de l'impôt. Ce droit, elle ne saurait l'abdiquer impunément. Il suffit, en effet, de dégager, par une brève analyse, les éléments constitutifs du budget moderne,

pour voir que le contrôle de la gestion financière du Gouver

nement découle directement de cet acte législatif, dont il est le complément et la sanction.

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Le contrôle est la sanction de la loi du budget. L'un des caractères essentiels du budget, sous un régime représentatif, c'est d'être obligatoire, c'est-à-dire d'emprunter au vote du Parlement l'autorité d'une véritable loi d'Etat. Cette force obligatoire est même, de nos jours, le trait distinctif des budgets. C'est par là que nos budgets contemporains se séparent si profondément des aperçus financiers de l'ancien régime, qui, sous le nom d'états de prévisions, mettaient sous les yeux du souverain de vagues probabilités de recettes et de dépenses, sans entraver ni limiter aucunement sa volonté.

Aujourd'hui, le budget est une loi; suivant l'expression de Royer-Collard (1), il donne naisance à « un contrat, qui << oblige le Gouvernement envers la Chambre et la Nation ». Il en résulte deux sortes d'obligations pour l'Etat les unes relatives au recouvrement des recettes, les autres concernant la réalisation des dépenses.

En matière de recettes, le devoir du Gouvernement est de ne percevoir que les impôts et revenus autorisés par le budget, mais de les percevoir sans exception ni faveur, conformément aux tarifs, puis d'en assurer la rentrée exacte dans les caisses du Trésor.

Quant aux prévisions de dépenses, elles enchaînent plus

(1) Discours prononcé dans la séance de la chambre du 18 avril 1822.

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