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logiens pour autoriser la polygamie. Ce furent les mêmes hommes qui avoient déclamé avec tant d'emportement contre les dispenses de Rome, qui osèrent donner une dispense d'un genre si monstrueux. Il est vrai qu'ils semblèrent rougir euxmêmes de leur propre lâcheté. La seule condition qu'ils parussent imposer au prince à qui ils donnèrent ce singulier témoignage de servitude, fut de le supplier de laisser enseveli dans un silence éternel ce mystère de honte et de corruption (1). En effet, tant qu'ils vécurent, ce secret fut plutôt soupçonné que constaté. Ce ne fut qu'en 1679 que l'électeur Palatin Charles-Louis (2) le révéla assez

(1) On peut observer comme un fait assez singulier qu'ils prescrivirent ce secret sous le sceau de la confession, qu'ils venoient d'abolir.

(3) Ce ne fut point pour condamner Luther, que l'électeur Palatin Charles-Louis fit connoître le premier au pnblic cette singulière décision de Luther, qui permettoit au landgrave de Hesse d'avoir deux femmes à la fois. Ce fut au contraire en s'appuyant de son opinion, et en s'autorisant d'un tel suffrage, qu'il se crut en droit d'avoir à la fois une femme et une concubine, sans blesser les principes de la religion qu'il professoit. Le fait est assez curieux pour mériter d'être rapporté. Nous le trouvons dans une lettre d'Obrecht à Bossuet, dont nous avons l'original sous les yeux, et qui est datée du 20 juin 1687.

L'électeur Palatin Charles-Louis, du vivant même de l'électrice son épouse, entretenoit publiquement un commerce criminel avec la dame Egenfeld. Quelques ministres de sa communion lui firent apparemment des reproches sur le scandale de sa conduite; mais l'électeur voulut leur imposer silence, en leur opposant la théologie plus indulgente de Luther. Il concluoit de ce que Luther avoit permis à un landgrave d'avoir deux femmes à la fois, qu'il étoit bien permis à un électeur d'avoir en même temps une femme et une concubine. Il prit un moyen singulier et détourné pour

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maladroitement et peu de temps après le prince Ernest de Hesse, descendant du landgrave, rendit publiques toutes les preuves originales de cette étrange consultation, lorsqu'il fut devenu catholique. Bossuet rapporte tous ces actes; ils forment la preuve la plus authentique de l'un des faits les plus extraordinaires dans le genre historique. En lisant ces pièces, on admire également l'adresse machiavélique dont le landgrave sut faire usage pour effrayer et séduire Luther et Mélanchton, et la honte et l'embarras qui agitent ces singuliers réformateurs de la morale du christianisme; ils ne cherchent pas même à faire illusion par ces raisonnemens plus ou moins spécieux, qui permettent quelquefois de croire qu'on s'est trompé de bonne

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faire connoître au public tout ce qui s'étoit passé au sujet du landgrave. Les Luthériens avoient reproché à l'Eglise romaine la décision du pape Grégoire II, qui avoit permis à un mari, dont la femme étoit malade, de la répudier, et d'en épouser une autre; décision très-irrégulière en effet, que l'Eglise romaine n'a jamais suivie, et qu'elle a constamment improuvée.

Le cardinal Bellarmin, qui avoit été instruit, quoique d'une manière assez vague, de la décision de Luther pour le landgrave, en répondant aux Luthériens, leur fit sentir qu'ils ne pouvoient reprocher à l'Eglise romaine l'erreur d'un pape qu'elle condamnoit elle-même; il ajoutoit au reste qu'il s'étonnoit de ce que les Luthériens reprochoient à Grégoire II un sentiment que Luther lui-même avoit autorisé.

L'électeur Palatin Charles-Louis imagina donc de faire composer par un de ses conseillers nommé Laurentius Bæger, un écrit-qui fut publié en 1699, sous le nom emprunté de Daphnæus Arcuarius, traduction latine du nom allemand de l'auteur. Cet ouvrage, écrit en allemand, a pour titre : Considérations, ou Réflexions consciencieuses sur le mariage, en tant qu'il est fondé sur le droit divin, et sur le droit de

foi. Ils avouent, ils déclarent que la décision qu'on leur demande, viole toutes les lois du christianisme; et ils finissent par la souscrire, la honte et le dépit dans le cœur. Ils se montrent seulement dominés par l'insurmontable inquiétude que ce déplorable secret ne soit connu des Catholiques. Le landgrave de Hesse voulut bien leur épargner ce dernier degré d'ignominie. Il fut fidèle au secret qu'on lui avoit demandé, tant qu'ils vécurent et tant qu'il vécut lui-même.

Ce qui contribue le plus à répandre un intérêt continu sur l'Histoire des variations, ce sont les portraits d'un grand nombre de personnages célè bres qui se montrent sur le théâtre de tant d'évé

la nature, avec un éclaircissement des questions agitées jusqu'à présent, touchant l'adultère, la séparation, et particulièrement la polygamie. Dans la ivo partie, chap. rer, l'auteur ayant proposé la question: Si dans la nouvelle alliance il y a eu des docteurs qui aient permis la polygamie, après avoir feint de prendre la défense de Luther contre l'accusation du cardinal Bellarmin, il finit insensiblement par couvenir qu'elle n'étoit que trop fondée; et il en donne luimême des preuves si convaincantes, qu'elles ne laissent aucun doute au lecteur. Il conclut à la fin du chapitre, que Luther a effectivement enseigné la doctrine qu'on lui impose, et fait voir que c'est à tort qu'on veut l'excuser, en disant que ce n'a été que vers le commencement de sa réforme, comme s'il avoit changé de sentimens dans ses derniers écrits. Enfin, il produisit en allemand et en latin l'avis doctrinal de Luther, Bucer et Mélanchton, et le contrat de mariage du landgrave. C'est ainsi que le public eut connaissance pour la première fois de ces pièces si remarquables. L'électeur Charles-Louis fit remettre des exemplaires de cet ouvrage à la plupart des cours, à un grand nombre de savans, et à M. Obrecht luimême, dont nous empruntons ces détails. Mais il fit défen dre en même temps à M. Obrecht de dire que c'étoit de lui qu'il tenoit cet ouvrage.

nemens dont les suites ont laissé des traces si profondes. On sait combien Bossuet excelloit dans cette partie de l'histoire. Il ne peint jamais les hommes avec ses principes et ses opinions; mais il les montre tels qu'ils se sont montrés eux-mêmes dans les actes publics de leur vie, ou tels qu'ils se sont laissé apercevoir dans l'épanchement de la confiance et de l'amitié. On peut surtout être curieux d'entendre Bossuet parler de Luther, de Calvin, de Mélanchton et de quelques hommes qui jouèrent un rôle dans les premiers temps de cette grande révolution. Ce qui frappe le plus dans la manière dont Bossuet les représente, c'est qu'il est impossible d'y observer la plus légère trace d'amertume ou de prévention.

VI.-Portrait de Luther.

« (a) Les deux partis qui partagent la réforme » ont également reconnu Luther pour leur auteur, » dit Bossuet. Ce n'a pas été seulement les Luthé>> riens, ses sectateurs, qui lui ont donné à l'envi » de grandes louanges; Calvin admire souvent ses » vertus, sa magnanimité, sa constance, l'industrie >> incomparable qu'il a fait paroître contre le Pape. » C'est la trompette, ou plutôt c'est le tonnerre, >> c'est le foudre qui a tiré le monde de sa léthargie. >> Ce n'étoit pas Luther, c'étoit Dieu qui foudroyoit » par sa bouche.

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» Il est vrai qu'il eut de la force dans le génie, » de la véhémence dans ses discours, une éloquence » vive et impétueuse qui entraînoit les peuples et » les ravissoit; une hardiesse extraordinaire, quand

(a) Histoire des variations, liv. 1er; OEuvr. de Bossuet, tom. xix, p. 37, 70, 71, édit. de Vers. in-8°.

» il se vit soutenu et applaudi, avec un air d'auto» rité qui faisoit trembler devant lui ses disciples; » de sorte qu'ils n'osoient le contredire ni dans les » grandes choses ni dans les petites.... Ce ne fut » pas seulement le peuple, qui regarda Luther » comme un prophète, les doctes du parti le don» noient pour tel. Mélanchton, qui se rangea sous » sa discipline dès le commencement de ses dispu» tes, se laissa d'abord tellement persuader qu'il y » avoit en cet homme quelque chose d'extraordi»naire et de prophétique, qu'il fut long-temps sans >> en pouvoir revenir, malgré tous les défauts qu'il » découvroit de jour en jour dans son maître; et il » écrivoit à Érasme, en parlant de Luther: Vous » savez qu'il faut éprouver, et non pas mépriser les » prophètes.

» Cependant ce nouveau prophète s'emportoit » à des excès inouïs; il outroit tout. Parce que les » prophètes, par l'ordre de Dieu, faisoient de ter»ribles invectives, il devint le plus violent de tous >> les hommes et le plus fécond en paroles outra» geuses. Luther parloit de lui-même d'une ma» nière à faire rougir tous ses amis. Enflé de son » savoir, médiocre au fond, mais grand pour le » temps, et trop grand pour son salut et pour le » repos de l'Église, il se mettoit au-dessus de tous » les hommes, et non-seulement de ceux de son » siècle, mais encore des plus illustres des siècles » passés. »

VII. De Zuingle.

» (a) Zuingle, pasteur de Zurich, avoit commencé » à troubler l'Église à l'occasion des indulgences, > aussi bien que Luther, mais quelques années (a) Histoire des variations, liv. 11; ibid. p. 102 et suiv.

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