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contre la France, et que tout faisoit craindre qu'INNOCENT XI ne s'abandonnât à quelque mesure inconsidérée. On croyoit qu'il étoit prudent et utile de prémunir l'opinion publique contre les impressions qui pouvoient en résulter.

« (a) Le nom même et l'ombre de division faisoit » horreur à la Reine, dit Bossuet, comme à toute »ame pieuse. Mais qu'on ne s'y trompe pas. Le » saint Siége ne peut jamais oublier la France, ni » la France manquer au saint Siége; et ceux qui » pour leurs intérêts particuliers, couverts, selon » les maximes de leur politique, du prétexte de » piété, semblent vouloir irriter le saint Siege » contre un royaume qui en a toujours été le prin

cipal soutien sur la terre, doivent penser qu'une >> chaire si éminente à qui Jésus-Christ a tant donné, » ne veut pas être flattée par les hommes, mais » honorée selon la règle avec une soumission pro>> fonde; qu'elle est faite pour attirer tout l'univers » à son unité, et y rappeler à la fin tous les hérétiques; et que ce qui est excessif, loin d'étre le • plus attirant, n'est pas méme le plus solide, ni » le plus durable. »

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Une considération plus puissante que sa répugnance pour le genre des oraisons funèbres, força Bossuet de remonter encore dans la chaire, et nous devons à sa déférence pour la maison de CONDÉ l'un de ses plus étonnans ouvrages.

II.

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Oraison funèbre de la princesse PALATINE.

L'oraison funèbre de la princesse PALATINE est peut-être de toutes les oraisons funèbres de Bossuet, celle qui fait le mieux sentir combien ce gé(a) Oraison funèbre de MARIE-THÉRÈSE; ibid. p. 411, 412.

nie si ferme et si hardi avoit de souplesse et de flexibilité pour donner à tous les sujets qu'il traitoit le caractère et la couleur qui leur étoient propres.

La princesse PALATINE mourut en 1685; elle avoiť marié sa fille au fils du grand CONDÉ, et Bossuet n'avoit rien à refuser au grand CONDÉ. De toutes les femmes célèbres qui jouèrent un rôle brillant ou singulier pendant la minorité de Louis XIV, la princesse PALATINE est sans contredit la seule qui ait montré un grand caractère, et mérité l'estime et la confiance de tous les partis. Toutes les autres montrèrent plutôt de petites passions, que des sentimens et des vues dignes de l'histoire.

ANNE DE GONZAGUE, princesse PALATINE, étoit sœur de la princesse MARIE DE GONZAGUE, qu'on étoit venu chercher en France pour la placer sur le trône de Pologne ; et pour que rien ne manquât à la singularité de sa destinée, devenue veuve d'ULADISLAS, elle épousa CASIMIR, frère et successeur du Roi son époux.

Mais combien de fois n'eut-elle pas à regretter sur le trône les jours heureux de sa paisible et brillante jeunesse ? Du faîte de la grandeur, elle fut précipitée dans un abîme de malheurs. Alors régnoit en Suède un de ces princes que la Providence suscite quelquefois pour effrayer et ravager

la terre.

a (a) CHARLES GUSTAVE, dit Bossuet, parut à la » Pologne surprise et trahie comme un lion qui >>tient sa proie dans ses ongles, tout prêt à la » mettre en pièces. Qu'est devenue cette redou(a) Oraison funèbre de la princesse PALATINE; ibid. p. 437 ·

» table cavalerie, qu'on voit fondre sur l'ennemi » avec la vitesse d'un aigle ? Où sont ces armes » guerrières, ces marteaux d'armes tant vantés, et » ces arcs qu'on ne vit jamais tendus en vain? Ni >> les chevaux ne sont vites, ni les hommes ne sont » adroits que pour fuir devant le vainqueur. Tout » nage dans le sang, et on ne tombe que sur des » corps morts. La Reine n'a plus de retraite, elle a » quitté la Pologne, Après de courageux et vains > efforts, son époux est contraint de la suivre. Ré»-fugiés dans la Silésie, où ils manquent des choses » les plus nécessaires à la vie, il ne leur reste qu'à » considérer de quel côté alloit tomber ce grand » arbre ébranlé par tant de mains, et frappé de » tant de coups à sa racine, ou qui en enlèveroit » les rameaux. Mais Dieu en avoit disposé autre» ment; la Pologne étoit nécessaire à son Eglise, » et lui devoit un vengeur (a). Dieu tonne du plus » haut des cieux; le redouté capitaine tombe au » plus beau temps de sa vie, et la Pologne est

» sauvée. »

La vie de la princesse PALATINE ne fut marquée ni par des grandeurs, ni par des revers aussi éclatans. Cependant elle montra des talens et des qualités, qui mirent un moment dans ses mains les destinées de la France, et le sort de tous les partis qui s'y disputoient le pouvoir. Ses premières années ne l'avoient point préparée au rôle qu'elle devoit y jouer destinée à l'état religieux, elle avoit été élevée dans la solitude de Sainte-Fare (6), «< (c) autant éloignée des voies du siècle que sa (a) SOBIESKI. (b) Faremoutier. (c) Oraison funèbre de la princesse PALATINE; OEuvr. de Bossuet, tom. XVII,

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p. 429, édit. de Vers. in-8°.

>> bienheureuse situation la sépare de tout com» merce du monde dans cette sainte montagne » que Dieu avoit choisie depuis mille ans, où de >> pieuses épouses de Jésus-Christ faisoient revivre » la beauté des anciens jours, où les joies de la » terre étoient inconnues, où les vestiges des >> hommes du monde ne paroissoient pas. »

Elle y goûta les premières douceurs de la piété, et peut-être eût-elle consenti avec plaisir à se sacrifier aux vues de sa famille, si on l'eût abandonnée au mouvement naturel qui sembloit l'y porter; elle eût pu renoncer à sa liberté, si on lui eût permis de la sentir; «(a) il eut fallu la con» duire, et non pas la précipiter dans le bien...... » Mais elle vit le monde, elle en fut vue; bientôt » elle sentit qu'elle plaisoit, et on sait le poison » subtil qui entre dans un jeune cœur avec ces » pensées. >>

Le prince Edouard, fils de cet électeur Palatin qui ne fut un moment roi de Bohème que pour perdre le rang et l'héritage de ses pères, demanda ́sa main, « (b) et cette noble alliance, où de tous » côtés on ne trouvoit que des rois, » flatta la fierté de la jeune princesse de GONZAGUE. Elle se montra alors au monde avec tous les avantages que la beauté, le rang, la naissance, les agrémens de l'esprit, le charme du commerce le plus enchanteur sembloient réunir pour la livrer à tous les genres de séduction. Dans un temps où il étoit encore assez rare de méconnoître des principes et des devoirs d'un ordre supérieur, son cœur trop sensible à des impressions dangereuses, n'étoit (a) Oraison funèbre de la princesse PALATINE, ibid. p. 430, 432. (b) Ibid.

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point défendu par cette crainte salutaire qui laisse l'espoir du retour à la vertu. « (a) Elle avoit toutes » les qualités que le monde admire, et qui font » qu'une ame séduite s'admire elle-même in» ébranlable dans ses amitiés, incapable de man» quer aux devoirs humains, elle avoit toutes les » vertus dont l'enfer est rempli. » Son état paroissoit d'autant plus désespéré, que ses réflexions sur la religion l'avoient conduite à l'incrédulité la plus entière et la plus absolue.

C'est ici qu'on voit cette belle peinture de la Cour, qu'on a toujours si justement admirée. Ce tableau est l'ouvrage d'un homme qui l'avoit longtemps habitée, qui s'y étoit toujours montré supérieur à la foiblesse, à la crainte et à l'espérance; qui l'a observée en sage, et qui l'a jugée en philosophe chrétien.

« (b) La Cour, dit Bossuet, veut toujours unir » les plaisirs avec les affaires; par un mélange » étonnant, il n'y a rien de plus sérieux, ni en>> semble de plus enjoué. ENFONCEZ, vous trouve» rez partout des intérêts cachés, des jalousies dé»>licates qui causent une extrême sensibilité, et » dans une ardente ambition, des soins et un sé>> rieux aussi triste qu'il est vain. Tout est couvert » d'un air gai, et vous diriez qu'on n'y songe » qu'aux amusemens et aux distractions. »>

C'est à la suite de ce tableau, que Bossuet place le récit des troubles de la Fronde.

« (c) Què vois-je durant ce temps? quel trouble? » quel affreux spectacle se présente ici à mes yeux? » la monarchie ébranlée jusqu'aux fondemens, la (a) Oraison funèbre de la princesse PALATINE, ibid. p. 437. − (b) Ibid. p. 434 et suiv. — (c) Ibid. p. 435 et suiv.

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