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la mort de telles gens; Dieu ne donne pas toujours de ces exemples; et sans m'informer da» vantage de la vie et de la mort de Calvin, c'en » est assez d'avoir allumé dans sa patrie une >> flamme que tant de sang répandu n'a pu étein» dre, et d'être allé comparoître devant le juge» ment de Dieu sans aucun remords d'un si grand >> crime. >>

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IX. De Mélanchton.

Mais parmi les premiers réformateurs, il en est un dont Bossuet ne parle jamais qu'avec l'intérêt le plus sensible, et une affection, pour ainsi dire, paternelle c'est Mélanchton, et c'est Bossuet luimême qu'il faut entendre parler de Mélanchton. « (a) Luther prêchant la réforme des abus, et par» lant de la grâce de Jésus-Christ d'une manière » nouvelle, parut le seul prédicateur de l'Evangile » à Mélanchton, jeune encore ('), et plus versé » dans les belles-lettres que dans les matières de » théologie... La nouveauté de la doctrine et des pensées de Luther fut un charme pour les beaux esprits. Mélanchton en étoit le chef en Allema» gne; il joignoit à l'érudition, à la politesse, et à l'élégance du style une singulière modération. » On le regardoit comme seul capable de succéder » daus la littérature à la réputation d'Erasme; et » Erasme lui-même l'eût élevé par son suffrage » aux premiers honneurs parmi les gens de lettres, » s'il ne l'eût vu engagé dans un parti contre l'E» glise..... On voit Mélanchton ravi d'un sermon qu'avoit fait Luther sur le jour du sabbat; il y (a) Histoire des variations, liv. v; ibid. p. 268.

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(1) Il n'avoit alors que vingt ans.

» avoit prêché le repos, où Dieu faisoit tout, ой » l'homme ne faisoit rien. Un jeune professeur de » la langue grecque entendoit débiter de s nou» velles pensées au plus véhément et au plus vif » orateur de son siècle, avec tous les ornemens de » sa langue naturelle, et un applaudissement inouï. >> C'étoit de quoi être transporté; Luther lui parut » le plus grand de tous les hommes, un homme en» voyé de Dieu, un prophète. Le succès inespéré » de la nouvelle réforme le confirma dans ses pen» sées..Mélanchton étoit simple et crédule; les bons >> esprits le sont souvent le voilà pris. Tous les » jeunes professeurs de belles-lettres suivent son » exemple, et Luther devient leur idole. On l'atta» que, et peut-être avec trop d'aigreur. L'ardeur » de Mélanchton s'échauffe, la confiance de Lu>>ther l'engage de plus en plus, et il se laisse en>> traîner à la tentation de réformer avec son maître, » et les évêques et les papes, et les princes, et les » rois et les empereurs.

» Il est vrai, Luther s'emportoit à des excès » inouïs, c'étoit un sujet de douleur à son disciple » modéré..... Mais enfin l'arrogance de ce maître » impérieux se déclara; tout le monde se soulevoit » contre lui, et même ceux qui vouloient avec lui » réformer l'Eglise. Mille sectes impies s'élevoient » sous ses étendards; et sous le nom de réformation, les armes, les séditions, les guerres civiles >> ravageoient la chrétienté. Cependant Luther » poussoit tout à bout; et ses discours ne faisoient qu'aigrir les esprits, au lieu de les calmer. Il pa» rut tant de foiblesse dans sa conduite, et ses ex» cès furent si étranges, que Mélanchton ne pou» voit plus ni les excuser, ni les supporter. Depuis

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et

» ce temps ses agitations furent immenses. A chaque » moment on lui voyoit souhaiter la mort. Ses » larmes ne tarirent point durant trente ans, » l'Elbe, disoit-il lui-même, avec tous ses flots, ne » lui auroit pu fournir assez d'eau pour pleurer les » malheurs de la réforme divisée.

» (a) Ce que Mélanchton avoit le plus espéré » dans la réforme de Luther, c'étoit la liberté chré>> tienne, et l'affranchissement de tout joug hu» main; mais il se trouva bien déçu dans ses espé»rances; il a vu près de cinquante ans l'Eglise >> luthérienne, toujours sous la tyrannie ou dans la >> confusion. Elle porta long-temps la peine d'avoir » méprisé l'autorité légitime. Il n'y eut jamais de » maître plus rigoureux que Luther, ni de tyrannie » plus insupportable que celle qu'il exerçoit dans » les matières de doctrine. Son arrogance étoit si » connue, qu'elle faisoit dire qu'il y avoit deux » Papes; l'un celui de Rome, et l'autre Luther, et » ce dernier le plus dur. »

Calvin, le sombre Calvin « osoit à peine pousser » un gémissement libre » dans ses lettres, et c'est à Mélanchton lui-même qu'il l'écrit.

Mélanchton étoit la victime la plus malheureuse de la tyrannie de Luther, parce qu'il étoit le plus doux de tous les hommes. Il rapporte que Luther s'emporta si violemment contre lui, qu'il conçut la pensée de se retirer éternellement de sa présence; et c'étoit chez les Turcs qu'il se proposoit d'aller chercher la liberté.

L'espérance de la réforme des abus avoit contribué à séduire Mélanchton, dont les mœurs pures et honnêtes attestoient la candeur et la bonne foi. (a) Histoire des variations, liv. v, ibid. p. 284.

Il fallut encore renoncer à cet espoir; et il écrit lui-même que la discipline étoit entièrement ruinée dans les Eglises luthériennes, et qu'on y doutoit des plus grandes choses.

C'est ce qui auroit fait vivement désirer à Mélanchton qu'on en fût revenu à reconnoître l'autorité du Pape et la hiérarchie de l'ordre sacré. Ce fut long-temps le vœu de son cœur, et il l'a déposé dans un grand nombre de ses lettres avec des expressions bien remarquables: « Il faut à l'Eglise » des conducteurs pour maintenir l'ordre, pour » avoir l'œil sur ceux qui sont appelés au ministère » ecclésiastique, et sur la doctrine des prétres, et » pour exercer les jugemens ecclésiastiques, en » sorte que s'il n'y avoit point de tels évéques, IL EN » FAUDROIT FAIRE. LA MONARCHIE DU PAPE serviroit » aussi beaucoup à conserver entre plusieurs na» tions le consentement dans la doctrine. Ainsi on » s'accorderoit facilement sur LA SUPÉRIORITÉ DU » PAPE, si on étoit d'accord sur tout le reste ; et les » rois pourroient eux-mêmes facilement modérer » les entreprises des Papes sur le temporel de leurs

» royaumes. »

Malgré la supériorité de son esprit, Melanchton payoit le tribut aux préjugés de son siècle, et il partageoit la crédulité de ses contemporains les plus éclairés, par la confiance superstitieuse qu'il accordoit aux présages de l'astrologie. Mais il portoit jusque dans cette illusión l'impression d'une ame sensible et vertueuse. Car il paroît que Mélanchton réunissoit aux dons de la plus brillante imagination les affections les plus douces et les plus touchantes de la nature. Ce sont toujours les malheurs de la religion, ou des objets non moins

chers à sa tendresse paternelle qui s'offrent à sa pensée.

« (a) Il ne cesse de s'entretenir avec ses amis des » prodiges qui arrivoient et des menaces du ciel » irrité : à Rome, le débordement du Tibre et l'en» fantement d'une mule, dont le petit avoit un pied » de grue, lui paroissoient le signe d'un changement » dans l'univers; et il se confirme de plus en plus » dans cette persuasion par la naissance d'un veau » à deux tétes dans le territoire d'Ausbourg. C'est » ce qu'il écrit très-sérieusement à Luther, en lui » donnant avis que ce jour-là on présenteroit la » confession d'Ausbourg à l'Empereur. Voilà de » quoi se repaissoient dans une action si célèbre >> les auteurs de cette confession et les chefs de la » réforme. Tout est plein de songes et de visions » dans les lettres de Mélanchton, et on croit lire » Tite-Live, lorsqu'on voit tous les prodiges qu'il » y raconte. Quoi plus? ô foiblesse extrême d'un >> esprit d'ailleurs admirable, et, hors de ses pré

ventions, si pénétrant! les menaces des astro»logues lui font peur. On le voit sans cesse effrayé » par les tristes conjonctions des astres. Un horrible » aspect de Mars le fait trembler pour sa fille, » dont lui-même il avoit fait l'horoscope. Il n'est » pas moins effrayé de la flamme horrible d'une » comète extrémement septentrionale. Durant les » conférences qu'on faisoit à Ausbourg sur la re» ligion, il se console de ce qu'on va si lentement, » parce que les astrologues prédisent que les as» tres seront plus propices aux disputes ecclésias» tiques vers l'automne. Il s'étonne, né sur les co>>teaux approchans du Rhin, qu'on lui ait prédit (a) Histoire des variations, liv. v; ibid. p. 316.

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