Page images
PDF
EPUB

» un naufrage sur la mer Baltique; et appelé en Angleterre et en Danemarck, il se donne bien » de garde de naviguer sur cette mer. »

Mais cette foiblesse d'imagination n'auroit pas altéré essentiellement le calme de la vie de Mélanchton, si des causes plus actives et plus réelles n'eussent pas tristement influé sur la destinée d'un homme qui étoit digne de trouver dans les charmes de l'esprit le plus cultivé et dans les vertueuses affections d'une ame aimante et sensible, toute la mesure de bonheur que la condition humaine peut comporter.

Personne n'étoit plus digne que Mélanchton d'honorer l'Eglise catholique par ses talens et son caractère. Il aimoit la religion et la vertu; il cherchoit sincèrement la vérité; mais en la cherchant toute sa vie, il ne fit que flotter d'opinion en opinion; et il ne put jamais jouir de ce repos de l'esprit qu'il n'auroit pu trouver que dans la soumission à une autorité capable de fixer son imagination inquiète et mobile. L'homme qui méritoit le plus l'affection et le bonheur, vécut et mourut le plus malheureux de tous les hommes. Ce fut dans le parti même dont il avoit fait la gloire et l'ornement qu'il trouva ses plus implacables ennemis. Il désiroit la mort, et il la reçut comme un bienfait du ciel; mais il n'eut pas même la consolation de déposer ses dernières pensées et ses derniers soupirs dans le sein de l'amitié. Il n'existoit plus lorsque le plus constant et le plus illustre de ses amis, le docte Camérarius (1), accourant au bruit de son danger,

(1) Le même Joachim Camérarius a écrit une vie de Mélanchton, qui fait aimer et chérir les qualités et les vertus morales de cet homme estimable. Camérarius n'a pas osé rappor

fut arrêté par la nouvelle de sa mort. Quelques heures avant de mourir, il écrivit sur un papier à deux colonnes, les motifs qui le portoient à envisager la mort avec une espèce de consolation; les principaux étoient, qu'il ne seroit plus exposé à la haine et à la fureur des théologiens de son parti; qu'il alloit voir Dieu, et qu'il puiseroit dans son sein la connoissance des mystères qu'il n'avoit vus dans cette vie qu'à travers un voile. Mélanchton mourut en 1563.

X.

[ocr errors]

- Défense de l'Histoire des variations. 1691.

Bossuet a donné une Défense de son Histoire des variations: et quoiqu'elle n'ait paru qu'en 1691, au moment où il venoit de publier son cinquième Avertissement aux Protestans, nous croyons que c'est ici le lieu d'en parler.

On n'aura pas de peine à comprendre que l'Histoire des variations dut faire une grande impression aussitôt qu'elle fut connue. Il étoit difficile de contester les faits dont Bossuet avoit exposé le récit. Ils étoient tous fondés sur des actes authentiques dont les Protestans eux-mêmes avoient réuni les monumens et les preuves dans les archives publiques de leur histoire.

Il étoit sans doute possible de s'égarer, et d'égarer les lecteurs dans une suite de discussions subtiles sur les variations théologiques dont Bossuet avoit accusé les Eglises protestantes.

Quoique ces variations fussent sensibles et manifestes pour tous les hommes instruits et de bonne

ter toutes les circonstances de sa mort; la faction luthérienne qui lui étoit opposée, dominoit alors en quelques parties de l'Allemagne; mais il les fait assez entendre.

foi, on sait assez combien il est facile d'environner de nuages et d'équivoques ces sortes de questions, qui demandent des hommes exercés par leur état et par des études profondes dans la connoissance de ces matières,

!

Mais parmi les accusations que Bossuet avoit portées contre les premiers réformateurs, il en étoit deux qui étoient à la portée de toutes les classes de lecteurs, et dont tout le poids retomboit sur le corps entier de la réforme, par les conséquences qui en résultoient contre les principes et les maximes qu'elle avoit professés.

Premièrement,” Bossuet avoit établi en fait et constaté par les témoignages les plus irrécusables,

que

les Protestans de France avoient pris les armes pour la défense de leur religion contre l'autorité légitime, en vertu des délibérations expresses et formelles de leurs synodes nationaux et sur l'avis de leurs théologiens: Il avoit opposé à cette conduite violente et si contraire à la tranquillité publique, la patience et la soumission inaltérable des premiers Chrétiens et de l'Eglise entière pendant trois cents ans de persécutions.

[ocr errors]

La décision doctrinale de Luther, Mélanchton et Bucer, pour permettre au landgrave de Hesse d'avoir deux femmes à la fois, étoit une seconde accusation d'une nature si grave et si opposée à la morale du christianisme, qu'elle laissoit une flétrissure éternelle sur la mémoire de ces célèbres réfor mateurs, qui s'étoient donnés au monde comme suscités de Dieu, pour rendre à l'Eglise de JésusChrist la pureté et la sainteté des premiers jours.

Burnet, qui étoit blessé au vif de la manière dont Bossuet avoit relevé dans l'Histoire des va

riations toutes les erreurs de son roman de la réformation de l'Eglise anglicane, avoit publié un petit écrit de trente-six pages; mais il y avoit plutôt cherché à attaquer Bossuet, qu'à se défendre lui-même. « (a) Car, dit Bossuet, Burnet lui » passoit tous les faits qu'il avoit rapportés sur sa réforme anglicane, et sur son Cranmer, aussi » bien que sur ses autres héros, sans en contrarier, » aucun ; et comment auroit-il pu les contredire, puisque je les ai pris de lui-même ? »

[ocr errors]
[ocr errors]

D'ailleurs dans cet écrit si court Burnet montroit une si grande ignorance du droit public français, qu'il ne fit que s'attirer une leçon sévère de Bossuet, qui l'invita à s'instruire avec un peu plus de soin des matières qu'il vouloit traiter, avant d'en parler au public.

Jurieu n'auroit pas mieux demandé que de s'établir le vengeur des Eglises protestantes. Mais. Jurieu étoit si décrié dans son parti même, par. ses extravagances et les inconséquences où l'eur traînoit toujours le déréglement de son esprit ; « on étoit si las, comme dit Bossuet, (b) de M. Ju» rieu et de ses discours emportés, qu'on crut devoir confier la défense commune à des mains plus habiles, et à un homme doué d'un jugement plus sage et plus réfléchi. Ce fut sur Jacques Basnage de Beauval, ministre à Roterdam, qu'on jeta les yeux. Il faut convenir que Basnage étoit digne à plusieurs égards de prêter à la cause des Protestans toute la force et tout l'appui dont elle avoit besoin dans cette espèce de crise. Il étoit

[ocr errors]

(a) Defense de l'Histoire des variations; OEuvres de Bossuet, tom. xx1, p. 553. édit de Vers. in-8°. —(b) Ibide p. 483.

connu par sa grande érudition ecclésiastique et par une certaine modération qui honoroit son caractère; mais en hasardant de lutter contre Bossuet, il ne sut pas faire un usage fort heureux de son érudition; et il manqua inême de cette mesure; qui auroit pu lui conserver une sorte de dignité, en succombant dans un combat où il étoit impossible de triompher. Mais il faut attribuer un pareil désavantage autant à la foiblesse des moyens qui étoient à sa disposition, qu'à la prodigieuse supériorité de l'adversaire qu'il avoit osé combattre.

Cependant il paroît que les Protestans s'étoient si bien flattés d'avoir trouvé dans Basnage le défenseur le plus habile qu'ils pussent opposer à Bossuet, que Burnet, avec l'inconsidération habituelle de son caractère, se pressa d'annoncer au public, « qu'on préparoit une dure réponse à M. de »Meaux. Cette réponse fut celle de Basnage, « (a) et elle parut, dit Bossuet, avec toutes les du» retés que Burnet avoit promises. Mais, ajoute » Bossuet, les injures et les calomnies sont des » couronnes à un Chrétien et à un évéque. »

Bossuet avoit rappelé dans l'Histoire des variations le supplice de Servet, qui fut très-certainement l'ouvrage de Calvin. Basnage ne le conteste pas; mais il étoit difficile de s'attendre à la manière dont il prétend excuser Calvin: il dit que c'étoit en lui un reste de papisme. Un aussi bon esprit que Basnage n'auroit jamais sans doute imaginé de lui-même une justification aussi singulière. Mais il avoit eu la foiblesse de l'emprunter à Jurieu; et Bossuet eut droit sans doute de lui en faire une espèce de honte.

(a) Défense de l'Histoire des variations ; ibid. p. 483,484

« PreviousContinue »