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L'Histoire des variations avoit paru en 1688; Jurieu publia ses lettres pastorales à la fin de 1688, et au commencement de 1689; et dès la même année 1689, Bossuet fit paroître ses trois premiers Avertissemens aux Protestans.

Bossuet préféra cette forme; c'étoit aux Protestans que Jurieu avoit adressé ses lettres pastorales, et ce furent les Protestans eux-mêmes que Bossuet voulut prendre pour juges entre Jurieu et lui.

Jurieu avoit porté la maladresse jusqu'à un excès si ridicule, qu'un peu de bon sens ou de bonne foi auroit suffi pour l'en préserver. Conçoit - on que Jurieu ait pu en 1689 adresser à Bossuet, à la face de toute l'Europe, ces singulières paroles : « J'avertis l'évéque de Meaux qu'un évéque de Cour comme lui, et les autres dont » le métier n'est pas d'étudier, devroient un peu » ménager ceux qui n'ont point d'autre profes

» sion. »

Bossuet un évéque de Cour! Bossuet invité par Jurieu à apprendre à étudier! Bossuet réduit à recevoir des leçons de théologie du professeur de Roterdam!

Il faut croire pour l'honneur de Jurieu, que dans cette singulière apostrophe il ne cherchoit à faire illusion ni à lui-même, ni aux gens éclairés de sa communion. Mais il écrivoit ses lettres pastorales pour la multitude: et dans tous les temps et dans tous les pays, la multitude en est à peu près au même degré d'ignorance sur les choses et sur les personnes. Il étoit possible qu'à Ro terdam, sur la parole de Jurieu, Bossuet passât pour un évéque de Cour qui n'avoit fait que

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prêter son nom à tant d'ouvrages qui avoient déjà porté sa gloire dans toutes les parties de l'Europe.

XII. Du 1er Avertissement aux protestans.

Bossuet démontre contre Jurieu dans son premier Avertissement aux Protestans (a), que conformément à la doctrine de saint Vincent de Lérins et à celle de tous les Pères, « l'Église de Jésus» Christ, soigneuse gardienne des dogmes qui lui » ont été donnés en dépôt, n'y change jamais rien; » qu'elle ne diminue point, qu'elle n'ajoute point, » que tout son travail est de polir les choses qui » lui ont été anciennement données, de confir» mer celles qui ont été suffisamment expliquées, » de garder celles qui ont été confirmées et dé» finies, de consigner à la postérité par l'Écriture » ce qu'elle avoit reçu de ses ancêtres par la tradi

» tion. >>

C'est en conformité de cette maxime, que lorsque de nouvelles erreurs se sont élevées dans l'Église, et qu'on a cru nécessaire de convoquer des conciles pour les proscrire, les conciles n'ont fait que confronter les nouvelles doctrines avec les témoignages de l'Écriture et ceux de la tradition; et ils ont ensuité déclaré qu'elles étoient contraires à la parole de Dieu et à la foi de leurs Églises.

On ne prononçoit jamais les décisions qu'en proposant la foi des siècles passés. Tous les conciles qui se succédoient, avoient l'attention de rappeler la foi et la doctrine des conciles qui les avoient

(a) OEuvres de Bossuet, tom. xx1, p. 1 et suiv. édit. de Vers. in-8°,

précédés; la chaîne de la tradition n'étoit jamais interrompue sur un seul point. La parole de Dieu, consignée dans l'Ecriture, étoit la loi suprême de toutes les décisions, mais pour en fixer l'interprétation et prévenir toute variation, on ne trouvoit point de plus sûre interprétation que celle qui avoit toujours été publique et solennelle dans l'Eglise; ainsi on faisoit gloire à Chalcédoine d'entendre l'Ecriture sainte comme on avoit fait à Ephèse, et à Ephèse comme on avoit fait à Constantinople et à Nicée.

« Il est vrai, observe Bossuet, qu'on ne définit » expressément à Nicée, que ce qui avoit été ré» voqué en doute, qui étoit la divinité du fils de » Dieu. Car l'Eglise, toujours ferme dans la foi, ne » se presse pas dans ses décisions; et sans vouloir » émouvoir de nouvelles difficultés, elle ne les ré» sout par des décrets exprès, qu'à mesure qu'on » élève les difficultés. »

On estimoit autant les derniers conciles que les premiers, parce qu'ils suivoient toujours les mêmes vestiges. C'étoit dans cet esprit que le concile de Chalcédoine disoit aux Eutychiens : « Vous récla» mez les anciens conciles; le concile de Chaloe» doine doit vous suffire, puisque par la vertu du » Saint-Esprit, tous les conciles orthodoxes y sont » renfermés.

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Si l'on demande à quoi servent donc les nouvelles décisions des conciles, puisqu'ils ne font qué déclarer ce qui étoit et ce qu'on pensoit avant eux? Bossuet répond avec saint Vincent de Lé« Que les conciles, par leurs décisions, » donnent par écrit à la postérité ce que les an>>ciens avoient cru par la seule tradition; qu'ils

rins :

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expriment en peu de mots le principe et la » substance de la foi; que pour en faciliter l'in» telligence, ils expriment par quelque terme »> nouveau, mais précis, la doctrine qui n'avoit » jamais été nouvelle : Dicunt novè, non dicunt

» nova. »

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Bossuet observe avec raison, que lorsqu'on parle des saints Pères qui forment la tradition, « on » entend leur consentement et leur unanimité. Si quelques-uns d'eux ont eu quelque chose de » particulier dans leurs sentimens, ou dans leurs expressions, tout cela s'est évanoui, et n'a pas » fait tige dans l'Eglise. Ce n'étoit pas là ce qu'ils » y avoient appris, ni ce qu'ils avoient tiré de la

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>> racine. »

Jurieu avoit produit dans ses lettres pastorales, comme un témoignage des variations de l'ancienne Eglise, la doctrine sur la grâce, qu'il prétendoit n'avoir été bien connue et bien expliquée que depuis saint Augustin. Mais c'étoit précisément sur cet article que saint Augustin, qu'il appeloit à son appui, lui répondoit : « Que la foi chrétienne » et l'Eglise catholique n'ont jamais varie. Lors» que Pélage et Célestius parurent, leurs profanes » nouveautés, dit saint Augustin, firent horreur » par toute la terre à toutes les oreilles chrétiennes »en Orient comme en Occident. » A peine purentils séduire cinq ou six évêques, qui furent bientôt chassés de leurs siéges par l'unanime consentement de tous leurs collègues, et avec l'applaudissement de tous les peuples et de toute l'Eglise catholique.

Après avoir repoussé les accusations téméraires de Jurieu contre l'invariabilité de la doctrine des

premiers siècles de l'Eglise, Bossuet fait voir que le systême de Jurieu tend à livrer le christianisme tout entier à l'invasion des Sociniens; et telle est la force des raisonnemens de Bossuet, qu'il finit par en arracher l'aveu à Jurieu lui-même.

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Il arrivoit quelquefois à Jurieu ce qui arrive presque toujours à ceux qui écrivent beaucoup, surtout dans le genre polémique. Occupés à se défendre ou à attaquer, ils ne sont frappés que du danger de succomber à l'objection du moment; et ils oublient les faits et les principes qu'ils ont avoués ou établis dans leurs écrits antérieurs. Bossuet avoit fait observer dans une addition au livre xiv de l'Histoire des variations, que Jurieu convenoit lui-même que les premiers réformateurs, tels que Luther et Mélanchton, avoient établi comme fondement de toute leur doctrine ces étonnans axiomes : « Que Dieu fait les hommes damna» bles nécessairement par sa volonté; en sorte qu'il » semble prendre plaisir au supplice des malheu» reux, et est plus digne de haine que d'amour. » Que l'adultère de David et la trahison de Ju» das ne sont pas moins l'œuvre de Dieu, que » la conversion de saint Paul. » C'étoit véritablement faire Dieu auteur du péché, comme le disoit Bossuet.

Jurieu se récria avec chaleur contre l'inculpation de Bossuet, et déclara qu'il n'étoit jamais convenu « que Luther et Mélanchton eussent pro»fessé une telle doctrine. » Il s'abandonna même à un tel excès d'emportement, qu'il ́osa traduire

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