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Bossuet « du tribunal de Dieu comme un însigne » calomniateur. »

Il avoit entièrement oublié que lui-même il avoit consigné cet aveu dans les mêmes termes, dans un écrit adressé quelques années auparavant au ministre luthérien Scultet.

Jurieu avoit eu alors la fantaisie de proposer un traité de paix et une tolérance mutuelle entre les Luthériens et les Calvinistes. Les Luthériens y résistoient fortement à cause de la dureté de la doctrine de Calvin. Jurieu ne désavouoit pas que Calvin n'eût professé des principes insoutenables; mais il prétendoit que ses disciples y avoient renoncé depuis cent ans. D'ailleurs, ajoutoit-il, la doctrine de Luther et de Mélanchton n'étoit pas moins injurieuse à la sainteté et à la justice de Dieu; et il citoit à ce sujet les paroles de Luther et de Mélanchton, telles que Bossuet vient de les rapporter; et Bossuet n'avoit fait que rappeler à Jurieu ce qu'il avoit déclaré lui - même dans un écrit public imprimé et signé de lui. Jurieu ne répondit rien, parce qu'il n'y avoit rien à répondre.

Mais on trouve dans le second Avertissement aux Protestans (a) une objection de Jurieu assez spécieuse pour faire impression sur les personnes peu familiarisées avec ces matières, et qui parut à Bossuet mériter une attention particulière. C'est ici qu'il faut admirer la profonde sagesse et la scrupuleuse exactitude de Bossuet dans les questions les plus difficiles et les plus délicates de la théologie.

On sait que l'Eglise a abandonné à la liberté des (a) OEuvres de Bossuet, tom. xx1, p. 93 et suiv. ibid.

écoles la discussion des opinions particulières de quelques théologiens sur le concours de la grâce et de la liberté dans les actes humains. Parmi ces opinions, celle des Thomistes est célèbre dans l'Ecole; et personne n'ignoroit dans le public que Bossuet penchoit pour cette opinion. Ce n'est pas qu'il la jugeât exempte de difficulté, ni susceptible d'une démonstration très-claire et très-satisfaisante. Il la croyoit seulement plus propre que toute autre à résoudre quelques objections et quelques difficultés dans une matière qui en offre un si grand nombre d'insolubles.

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Jurieu ne manqua pas de demander à Bossuet comment il prétendoit concilier la liberté de l'homme avec la grâce efficace et la prémotion physique des Thomistes.

Il faut entendre la réponse dé Bossuet. Il eût été à désirer pour le repos de l'Eglise, que les auteurs de tant de systêmes n'eussent pas eu la prétention d'expliquer ce que Bossuet jugeoit inexplicable.

« M. Jurieu voudroit que je lui apprisse com>>ment s'accorde le libre arbitre, ou le pouvoir » de faire ou ne pas faire, avec la grâce efficace » et les décrets éternels. Foible théologien, qui » fait semblant de ne pas savoir combien de vé» rités il nous faut croire, quoique nous ne sa» chions pas toujours le moyen de les concilier » ensemble. Que diroit-il à un Socinien qui lui de>> manderoit d'expliquer comment s'accorde l'unité » de Dieu avec la Trinité? Entrera-t-il avec lui » dans cet accord, et s'engagera-t-il à lui expliquer » le secret incompréhensible de l'être divin? Ne » croiroit-il pas l'avoir vaincu, en lui montrant que » ces deux choses sont également révélées; et par

» conséquent, malgré qu'il en ait, et malgré la » petitesse de l'esprit humain qui ne peut les con>>cilier parfaitement, qu'il faut bien que l'infi» nité immense de l'être de Dieu les concilie et les » unisse.

» Mais sans nous arrêter à ce mystère, qu'est-ce » en tout et partout que notre foi, qu'un recueil » de vérités saintes qui surpassent notre intelli» gence, et que nous aurions non pas crues, mais » entendues parfaitement, si nous pouvions les con»cilier ensemble par une méthode manifeste?.... » Mais cela n'est pas ainsi, et quand cela sera, » ce ne sera plus cette vie, mais la future. Ce ne » sera plus la foi, mais la vision. Que faut-il >> faire en attendant, sinon croire et adorer ce qu'on n'entend pas, unir par la foi ce qu'on ne » peut unir par l'intelligence, et en un mot, » comme dit saint Paul, réduire son esprit en cap» tivité sous l'obéissance de Jésus-Christ?....

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» Que sert donc d'alléguer la grâce efficace et les » Thomistes? Ces docteurs, comme les autres Ca>> tholiques, sont d'accord à ne point mettre dans » le choix de l'homme une inévitable nécessité, » mais une liberté entière de faire et de ne pas » faire. S'ils ont de la peine à l'accorder avec » l'immutabilité de Dieu, ils ne succombent pour» tant pas à la difficulté. Ils rament de toute leur » force, pour s'empêcher d'étre jetés contre l'é»cueil. »

Jurieu avoit encore objecté à Bossuet le prétendu semi-pelagianisme des Molinistes, dont le systême est abandonné à la liberté des écoles.

L'opinion personnelle de Bossuet différoit de celle des Molinistes; mais il ne se croyoit pas en

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droit de condamner ce que l'Eglise n'a pas condamné. « Quant à ce que M. Jurieu nous objecte, que » nos Molinistes sont Semi-Pélagiens, s'il en avoit » seulement ouvert les livres, il auroit appris qu'ils >> reconnoissent pour tous les élus une préférence » gratuite de la divine miséricorde, une grâce tou» jours prévenante, toujours nécessaire pour toutes » les œuvres de piété. C'est ce qu'on ne trouvera >> jamais dans les Semi-Pélagiens. Que si on passe » plus avant, ou qu'on fasse précéder la grâce par » quelque acte purement humain, à quoi on l'at» tache, je ne craindrai point d'être contredit par » aucun Catholique, en assurant que ce seroit de » soi une erreur mortelle, qui ôteroit le fonde»ment de l'humilité, et que l'Eglise ne tolère» roit jamais, après avoir décidé tant de fois, et >> encore en dernier lieu dans le concile de Trente, » que tout le bien, jusqu'aux premières disposi» tions de la conversion du pécheur, vient d'une » grâce excitante et prévenante, qui n'est précé» dée par aucun mérite. »

XIV.

- Du 3e Avertissement aux Protestans.

Le sujet du troisième Avertissement aux Protestans (a) rentre en grande partie dans ce qui a fait la matière du second. C'est toujours sur la question de l'Eglise, « question que les Protestans évitent, » autant qu'ils peuvent, d'agiter, dit Bossuet, comme » l'écueil où ils viennent toujours se briser. » Mais les variations et les contradictions continuelles de Jurieu lui donnent lieu d'y ajouter de nouveaux développemens et des réflexions qui sont d'un grand intérêt.

a) OEuvres de Bossuet, tom. xx1, p. 153 et suiv. ibid.

Bossuet fait remarquer que dans l'origine, les Luthériens eux-mêmes convenoient qu'on pouvoit se sauver dans l'Eglise romaine; « ils faisoient même » semblant de ne vouloir pas y renoncer. Les deux >> partis de la réforme, tant les Zuingliens, que >> ceux de la confession d'Ausbourg, se soumet>>toient au concile que le Pape assembleroit; ils >> mettoient au nombre des plus grands saints les » plus zélés défenseurs de l'Eglise et de la croyance » romaine, tels que saint Bernard, saint Bonaven»ture, saint François d'Assise; et Luther recon» noissoit en termes magnifiques le salut et la sain» teté dans cette Eglise. »

-Les Calvinistes eux-mêmes persévérèrent longtemps dans la même opinion; et Bossuet rappelle ce qui se passa à l'occasion de l'abjuration d'Henri IV, à qui les théologiens protestans avouèrent pour la plapart, qu'avec eux l'état étoit plus parfait, mais qu'on pouvoit étre sauve dans l'Eglise catholique : fait remarquable, confirmé par le témoignage du duc de Sully, sincèrement attaché à la religion pro

testante.

Cet aveu avoit donné lieu aux Catholiques de demander aux Protestans à quoi donc avoit servi d'allumer le feu des guerres civiles et religieuses dans toute l'Europe, et d'y avoir fait couler des torrens de sang pendant cent cinquante ans, pour se séparer avec tant de violence d'une Eglise dans laquelle ils convenoient eux-mêmes qu'on pouvoit faire son salut. L'objection étoit pressante et pouvoit faire impression sur les esprits raisonnables. La conversion d'Henri IV, justifiée de leur propre aveu, et dont l'exemple avoit été suivi par les chefs de plusieurs maisons puissantes, porta tout

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