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de vouloir ajouter des inventions humaines aux définitions simples et précises dans lesquelles l'Eglise a voulu toujours se renfermer Le cardinal Sfondrate, en voulant combattre un excès, tomba dans l'excès opposé. Le titre seul de son ouvrage : Nodus Prædestinationis dissolutus, déceloit une espèce de présomption qui devoit rendre suspectes ses opinions, et appeler une attention sévère et rigoureuse. Cet ouvrage ne vit point le jour tant que son auteur vécut; et il ne parut imprimé que quelques années après sa mort, avec l'approbation d'un théologien du Pape, et sous les auspices, disoit-on, du cardinal Albani, depuis Pape lui-même sous le nom de Clément XI.

Ce fut l'archevêque de Rheims (Charles-Maurice le Tellier) qui en reçut en France le premier exemplaire; et il entreprit de le réfuter par une lettre imprimée au mois de janvier 1697. Mais Bossuet en ayant eu connoissance, se proposa un plan plus étendu, plus digne de l'importance de la matière, et plus convenable, en quelque sorte, à la dignité dont l'auteur avoit été revêtu. Ce fut de déférer au Pape lui-même l'ouvrage du cardinal Sfondrate, dans une lettre raisonnée, où un petit nombre d'évêques se borneroient à exprimer leurs sentimens et leur étonnement sur la doctrine du cardinal Sfondrate. Il voulut même éviter de donner à cette dénonciation un éclat qui auroit pu affliger ou blesser les amis que la mémoire du cardinal Sfondrate conservoit encore à Rome, ou plutôt, comme dit Bossuet dans sa lettre au Pape, pour ne paroitre point agir avec plus de faste que de modestie.

Bossuet se chargea de la rédaction de cette

lettre (a); il la composa en peu de jours, et elle fut souscrite le 23 février 1697 par l'archevêque de Rheims, l'archevêque de Paris (Noailles), Bossuet, l'évêque d'Arras (1), et l'évêque d'Amiens (2)..

Cette lettre paroissoit se borner à énoncer les propositions du livre qu'on avoit jugé le plus répréhensibles. Le respect que Bossuet vouloit observer pour le saint Siége lui défendoit en quelque sorte de prévenir son examen et son jugement; mais il avoit eu soin de placer à la suite des propositions les raisons et les autorités qui devoient en déterminer la condamnation; et il faut convenir que les idées du cardinal Sfondrate étoient si extraordinaires, elles choquoient si directement les maximes consacrées dans l'Eglise par la tradition, qu'il étoit impossible de justifier ses opinions.

<< Très-saint Père, disoit Bossuet au nom des cinq » évêques, c'est le devoir des évêques de décou» vrir, sans aucune acception des personnes, les » erreurs qui naissent dans l'Eglise, qu'il convient » de frapper avec d'autant plus de force, qu'elles » partent d'un lieu plus élevé.....

» Quoique favorablement prévenus pour la mé» moire, le goût et l'élégance de cet illustre per

(a) Voyez les OEuvres de Bossuet, tom. xxxviii; p. 30 et suiv. édit de Vers. in-8°.

(1) Gui de Sève de Rochechouart, nommé à l'évêché d'Arras en 1670, se démit en 1721 en faveur de son neveu, après cinquante-un ans d'épiscopat.

(2) Henri de Feydeau de Brou, nommé à l'évêché d'Amiens en 1687, mort le 14 juin 1706, âgé de cinquantetrois ans.

» sonnage, cependant un langage si inouï nous a » frappés d'étonnement... Rejetez donc, très-saint » Père, loin de l'Eglise de Dieu, à laquelle vous » présidez avec autant de sagesse que de puissance,

rejetez ces sentimens bas et énervés, qui détrui» sent toute la force de la piété, en se couvrant » de ses apparences. Celui-là ne dénoue point les » nœuds, mais ne fait que les embarrasser davan» tage, qui se conduit plutôt par des affections hu>>maines et de foibles raisonnemens, que par la » tradition de l'Eglise. »

INNOCENT XII répondit aux cinq évêques par un bref très-obligeant, en date du 6 mai 1697. Il y annonçoit qu'il avoit nommé une commission composée d'habiles théologiens pour examiner le livre du cardinal Sfondrate, et les observations des prélats, «< afin que toutes les choses étant pesées mû» rement, il pût ensuite décider ce qui seroit juste, >> sans autre considération que celle de remplir, » comme il convenoit, le ministère que Dieu lui » avoit confié. »

On dit même que dans le premier moment ce pontife déclara, avec autant de mesure que de dignité, « qu'il avoit fait l'abbé Sfondrate cardinal » pour servir l'Eglise, mais qu'il ne prétendoit pas abandonner l'Eglise pour servir le cardinal » Sfondrate. »

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L'examen des théologiens nommés par le Pape, n'eut aucun résultat. Le cardinal Gabrielli, qui avoit été approbateur de l'ouvrage du cardinal Sfondrate, dans le temps où il étoit encore simple théologien du Pape, écrivit même pour le défendre; Bossuet ne put donner aucune suite à cette affaire; il eut à la même époque à déployer toutes

ses forces et toutes les ressources de son génie dans un combat bien plus animé; ce fut en effet alors que s'engagea sa controverse avec Fénélon; et cette latte trop célèbre, qui lui coûta trois années entières de soins, de travaux et d'activité, absorba toute son attention.

Mais après la conclusion de cette grande affaire, il provoqua la condamnation de l'apologie de Sfondrate, qu'on attribuoit généralement au cardinal Gabrielli. Il ne pouvoit guère se flatter d'obtenir à Rome du Pape Clément XI, ancien ami du cardinal Sfondrate, ce qu'il n'avoit pu obtenir d'InNOCENT XII, qui n'avoit été que son bienfaiteur; il présenta donc à l'assemblée du clergé de France de 1700, quelques propositions extraites des ouvrages des deux cardinaux, et en demanda la censure. Mais sa demande fut écartée. L'assemblée crut plus respectueux pour le saint Siége de ne point prévenir le jugement du Pape, qui se trouvoit déjà saisi de cette affaire, jugement qui n'a jamais été prononcé.

V.- Affaire du Quiétisme.

Bossuet se trouvoit investi par l'opinion publique, d'une espèce de suprématie dans tout ce qui appartenoit à la doctrine de l'Eglise. On lui déféroit, pour ainsi dire, la discussion et le jugement de toutes les controverses qui avoient pour objet la conservation des dogmes et des traditions. Mais jusqu'alors il n'avoit combattu que les ennemis invétérés de l'Eglise, ou quelques théologiens indiscrets, dont les opinions peu mesurées avoient cédé sans résistance aux premières paroles d'un pontife qui les avertissoit de leur erreur.

Une controverse d'une nature bien différente s'ouvrit entre Bossuet et un archevêque recommandable par sa piété, cher à l'Eglise par ses vertus et ses talens,à la France par la beauté de son génie et la candeur de son ame, déjà élevé au faîte des honneurs et des dignités, et supérieur encore à sa fortune et à sa réputation par la noblesse de son caractère : c'est FÉNÉLON, le disciple, l'ami l'admirateur de BossUET.

Mais ces titres chers et sacrés ne pouvoient balancer dans l'ame de Bossuet, le devoir qui lui étoit imposé de n'écouter que la religion et la vérité; et l'on ne peut nier qu'il n'eût le droit de penser et de dire, comme il l'a souvent répété dans le cours de cette controverse, que le rang et les vertus mêmes de l'archevêque de Cambrai commandoient encore plus impérieusement de résister à des erreurs qui en empruntoient plus de charmes, et en avoient plus de danger.

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Il est permis de prévoir que la curiosité de nos lecteurs se portera de préférence sur le récit nouveau que nous avons à présenter de la controverse du Quiétisme. On suppose l'historien de Bossuet embarrassé de se concilier avec l'historien de Fénélon; et dans cette pensée, on éprouvera quelque impatience à connoître comment il aura pu éviter les contradictions en échappant à tous les reproches.

Nous déclarons d'abord avec une grande sincérité, que nous n'avons point éprouvé cette sorte d'embarras. Nous n'en sommes pas moins touché et reconnoissant d'une telle sollicitude.

Nous aimons à l'attribuer également et aux amis de Fénélon, et aux admirateurs de Bossuet. Les

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