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premiers craignent peut-être que nous ne soyons conduits en ce moment par l'ascendant du grand nom de Bossuet, à affoiblir l'intérêt si touchant attaché à la personne de l'archevêque de Cambrai et dont nous n'avons eu garde sans doute de chercher à nous défendre en écrivant sa vie.

Les seconds, dans la juste admiration que nous partageons avec eux pour le plus beau génie peutêtre qui ait éclairé les hommes, désirent au contraire que l'historien de Bossuet cherche à voiler, à désavouer même quelques imperfections échappées à la foiblesse humaine, qui ont pu paroître atténuer à quelques égards la gloire d'un si grand homme, sans cependant porter atteinte à la pureté de son triomphe.

Mais un historien peut-il ainsi transformer la vérité à son gré, et la dénaturer par déférence à des considérations même respectables?

On ne peut raisonnablement demander à l'historien de Bossuet, que de rechercher avec une attention scrupuleuse tous les faits qui pourroient répandre un nouveau jour sur la nature d'une controverse qui a excité de si violens débats entre deux grands hommes.

On a également le droit d'attendre de lui une disposition sincère à rétracter les erreurs ou les méprises, dont il auroit pu involontairement se rendre coupable.

Nous pouvons protester avec vérité, que telle est la disposition que nous avons apportée en entrant dans le récit de cette époque de la vie de Bossuet.

Nous l'avouons ici avec franchise. Entraîné par notre tendre vénération pour l'un des plus beaux

caractères qui aient honoré l'humanité, peut-être nous ne nous sommes pas assez pénétré, en écrivant l'histoire de Fénélon, des graves considérations qui imposoient à Bossuet le devoir d'attacher tant d'intérêt aux conséquences de la doctrine de l'archevêque de Cambrai.

On s'est trop accoutumé à regarder l'objet de cette controverse comme une question subtile, peu digne d'exercer le génie de ces deux grands hommes. Mais le point de vue sous lequel Bossuet l'a envisagé, découvre les justes motifs qui l'excitèrent à montrer tant de chaleur contre les maximes de son adversaire.

Que nous aurions été heureux, si nous avions trouvé dans les nouvelles recherches auxquelles nous nous sommes livré, quelques faits nouveaux et inconnus, propres à adoucir l'impression qu'a laissée dans tous les cœurs la correspondance de Bossuet et de son neveu!

Nous avons parcouru avec le sentiment le plus désintéressé et la sollicitude la plus minutieuse tous les papiers de Bossuet et de son secrétaire. Nous y avons inutilement cherché tout ce qui auroit pu nous accuser; nous avons au moins recueilli quelques circonstances favorables, dont nous avons été heureux de faire usage.

On peut nous en croire; rien n'auroit égalé la satisfaction que nous eussions éprouvée à laisser à Bossuet les honneurs d'une victoire exempte de toute espèce de nuage.

Nous sommes loin de nous étonner des regrets qu'a pu faire naître le récit de quelques circonstances affligeantes de cette controverse. Ces regrets sont un nouveau titre pour Bossuet; il

semble que sa gloire appartienne à la religion ellemême ; et Bossuet est si grand dans l'imagination, qu'on ne peut consentir à voir un tel homme se montrer homme une seule fois dans sa vie.

Mais quelle opinion faudroit-il donc avoir de ceux qui oseroient se faire un titre contre lui de l'excès de chaleur qu'il a pu montrer dans une cause où les maximes du christianisme pouvoient être essentiellement compromises, et qui oublieroient en un moment tant de services rendus à la religion, tant de vertus, tant de monumens qui honoreront à jamais son zèle et son génie.

Ce seroit se former une opinion bien chimérique d'un grand homme, que de le croire supérieur à toutes les foiblesses, dont nul homme n'a jamais été entièrement exempt.

On ne nous demandera pas sans doute de revenir sur l'origine et les progrès d'une controverse dont nous avons exposé avec étendue tous les détails dans l'Histoire de Fénelon. L'affaire du Quiétisme a rempli, pour ainsi dire, la vie entière de Fénélon, en troublant son bonheur et sa tranquillité. Elle n'est qu'un épisode dans l'histoire de Bossuet, dont la longue carrière est marquée par tant de monumens qui ont immortalisé son nom.

VI. Réflexions sur la nature de la controverse du

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On a paru quelquefois attacher assez peu d'importance à la controverse du Quiétisme. On a même aujourd'hui de la peine à concevoir que des hommes de génie, tels que Bossuet et Fénéton, que la Cour et le siècle de Louis XIV, aient pu y apporter tant de chaleur et d'intérêt.

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Cette facile et dédaigneuse indifférence, ou si l'on veut, cette méprise involontaire, tient en grande partie à ce que les circonstances où naquit cette controverse, n'ont laissé que de foibles traces dans la mémoire, et encore plus peut-être, à ce que l'on a négligé de se pénétrer des hautes considérations qui excitèrent l'inquiétude de Bossuet, et enflammèrent son zèle.

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Lorsque le cardinal Caraccioli, archevêque de Naples, dénonçoit au pape (a) Innocent XI les nouveaux Quiétistes qui étoient venus s'établir dans son diocèse, il avertissoit ce pontife « qu'ils » apprenoient à leurs disciples à négliger, sous » le prétexte d'une haute contemplation, tous les » actes et tous les exercices de piété prescrits, » ou recommandés par l'Eglise; à mépriser l'u» sage des prières vocales, et jusqu'au signe de » la croix ; à repousser toutes les idées, toutes » les images qui les ramenoient à la pensée de » JÉSUS-CHRIST et à la méditation de sa passion » et de sa mort, parce qu'elles les éloignoient de » Dieu.»

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Il prévenoit enfin le Pape « qu'un grand nombre » d'écrivains se se préparoient en Italie à exercer leurs plumes pour justifier et recommander ces » dangereuses opinions.

» Le monde, dit Bossuet en rapportant cette >> lettre du cardinal Caraccioli, le monde sem» bloit vouloir enfanter quelque étrange nouveauté. »

On sait à quels honteux égaremens ces singulières opinions conduisirent Molinos et quelquesuns de ses disciples. On sait qu'elles contribuèrent

'(a) Par sa lettre du 30 janvier 1682; OEuvres de Bossuet, tom. XXVII, p. 493, édit de Vers. in-8°,

à séduire des hommes de la plus éminente piété, et élevés aux plus hautes dignités de l'Eglise romaine, on vit des hommes vertueux de toutes les classes, et qui portoient dans un cœur pur le désir de la plus haute perfection, se laisser surprendre par une sorte de beau idéal, sans en apercevoir les conséquences effrayantes.

Ce grand scandale de l'Eglise étoit encore présent à tous les yeux et tous les entretiens, lorsque les ouvrages de Mme Guyon furent soumis à l'examen de Bossuet.

Bossuet a dit dans un des écrits sortis de sa plume qu'il y alloit de toute la religion. Certes, on ne peut soupçonner Bossuet d'avoir hasardé des expressions vides de sens dans des écrits publiés à la face de toute l'Europe, en présence de l'Eglise romaine et de l'Eglise gallicane. Lorsqu'un tel homme se sert d'une expression aussi forte dans une controverse avec un homme tel que Fénélon, 'on doit croire qu'il en a pesé toute la force.

Bossuet a révélé sa pensée toute entière, et c'est à Fénélon lui-même qu'il a écrit:

« (a) Osez-vous nier, selon vos principes, que » pour exercer le pur amour que vous nous vantez, » il ne faille aimer, comme si l'on étoit sans ré>> demption, sans Sauveur, sans Christ, et protester >> hautement que quand tout cela ne seroit pas, et » qu'on oublieroit encore la providence, la bonté, >> la miséricorde de Dieu, on ne l'aimeroit ni plus, >> ni moins? >>>

Un pareil langage dans la bouche de Bossuet montre assez jusqu'à quel point il étoit persuadé que (a) Réponse de M. de Meaux à quatre lettres de M. de Cambrai; ibid. tom. xxix, p. 64.

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