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in tuto (a), où il établit que les théologiens de l'Ecole pensent absolument comme lui, sur l'espérance et la charité; qu'aucun d'eux n'exclut de l'amour pur le motif de la récompense, et qu'ils enseignent au contraire que les suppositions impossibles de Moïse et de saint Paul, que l'archevêque de Cambrai faisoit tant valoir en sa faveur, n'excluoient jamais le désir de la béatitude.

Enfin, dans son Quietismus redivivus (b), Bossuet se propose de démontrer que la doctrine de Mme Guyon et des Quiétistes modernes avoit une entière analogie avec les erreurs de Molinos, si récemment proscrites par le saint Siége, et que le livre des Maximes des saints, et même l'Instruction pastorale de l'archevêque de Cambrai, du 15 septembre 1697, n'en étoient qu'une apologie déguisée, et conduisoient aux mêmes conséquences.

A ces trois traités, Bossuet en joignit un quatrième intitulé: Quæstiuncula de actibus a charitate imperatis (c). C'étoit un précis des erreurs de Fénélon sur les actions faites par le motif de la charité.

Il composa ces différens écrits en latin, parce qu'ils étoient principalement destinés à l'instruction des cardinaux, des prélats et des examinateurs chargés par le Pape d'émettre leur opinion sur le livre des Maximes des saints.

XVI. Apologies de Fénélon.

Mais à peine Bossuet faisoit-il paroître un écrit, que Fénélon s'efforçoit d'en détruire tout l'effet par les réponses les plus spécieuses. Il sembloit re

(a) OEuvr. de Bossuet, tom. xxix, p. 207 et suiv. ibid. (b) Ibid. p. 393. - (c) Ibid. p. 381 et suiv.

prendre dans ses apologies la faveur que l'ouvrage qu'il défendoit lui avoit fait perdre. Autant le livre des Maximes des saints étoit sec et obscur dans un grand nombre de ses propositions, autant les explications que Fénélon présentoit, paroissoient claires, favorables et satisfaisantes. Il adoucissoit avec beaucoup d'art tout ce qui avoit d'abord effarouché les théologiens exacts et attentifs. Il atténuoit la hardiesse de ses principes par des modifications qui rentroient dans le cercle de ces opinions pieuses et de cette édifiante spiritualité, que l'Eglise a autorisées et admirées dans un grand nombre de saints. Le style simple, facile et élégant de Fénélon, contribuoit à répandre une grande clarté sur des questions qui en paroissoient peu susceptibles; et les lecteurs de toutes les classes se sentoient flattés en quelque sorte d'être initiés à un langage et à des mystères qui avoient été jusqu'alors renfermés dans le sanctuaire de la plus sublime piété. On finissoit par se persuader que si Fénélon s'étoit mépris dans les expressions de son livre, c'étoit dans ses apologies qu'il falloit aller chercher les véritables pensées de son esprit et les sentimens si purs de son cœur.

Tel fut le sujet de quatre lettres qu'il adressa à Bossuet, et qui donnèrent pendant quelque temps une nouvelle direction à l'opinion publique.

Il paroît que Bossuet ne s'étoit pas attendu à rencontrer dans Fénélon un adversaire qui osât lutter contre lui sur une controverse de théologie, en présence de toute la France et de toute l'Europe; il a même laissé apercevoir son étonnement, lorsqu'il a écrit : « Que ses partisans (de Fénélon) » cessent de vanter son bel esprit et son éloquence.

» On lui accorde sans peine qu'il a fait une vi» goureuse et opiniâtre défense. Qui lui conteste » l'esprit? il en a jusqu'à faire peur, et son mal» heur est de s'étre chargé d'une cause où il en faut

» tant. »>

Il est facile en effet d'observer dans sa Réponse à quatre lettres (a) de Fénélon, qu'il se crut obligé de déployer avec une nouvelle vigueur tous les ressorts de l'éloquence et de la logique, pour vaincre la résistance inattendue qu'on lui opposoit.

Cette Réponse est un chef-d'œuvre de raison, de force et de génie. Elle montre toute la hauteur de l'ame de Bossuet, et toute la fierté de son caractère. On voit qu'armé de toute la supériorité que lui donnoient tant de gloires, de triomphes et de services rendus à l'Eglise et à la religion, il se croit en droit de se montrer sévère et inflexible, parce qu'il doit l'étre, et de s'affranchir des vaines com plaisances du monde. C'est de ce ton qu'il parle à Fénélon :

« (b) Je le dis avec douleur, Dieu le sait; vous avez » voulu raffiner sur la piété; vous n'avez trouvé » digne de vous que Dieu, beau en soi. La bonté » par laquelle il descend à nous, vous a paru un » objet peu convenable aux parfaits. Sous le nom » d'amour pur, vous avez établi le désespoir comme >> le plus parfait des sacrifices.

» C'est du moins de cette erreur qu'on vous ac»cuse..... Et vous venez me dire: Prouvez-moi » que je suis un insensé; prouvez-moi que je suis.

(a) Réponse de M. de Meaux à quatre Lettres de M. de Cambrai, OEuvr. de Bossuet, tom. xxix, p. 3, édit. de Vers. in-8°. (b) Ibid. p. 7.

de mauvaise foi; sinon ma seule réputation me » met à couvert. Non, Monseigneur, la vérité ne >> le souffre pas; vous serez en votre cœur ce que » vous voudrez; mais nous ne pouvons vous juger >> que par vos paroles. >>

Fénélon, en ne faisant qu'obéir au sentiment habituel de son caractère et de son langage, savoit mettre plus d'art que Bossuet dans ses procédés, et se donner tous les avantages qu'une sensibilité touchante et une vertueuse résignation assurent presque toujours à ceux que l'autorité paroît opprimer.

Bossuet, au contraire, avec son fier dédain pour les mollesses du monde et ses vaines complaisances, paroissoit quelquefois abuser de sa supériorité, et vouloir arracher par la seule force de son génie, une victoire qu'il auroit également obtenue du mérite de la cause qu'il défendoit; et s'élevant audessus de tous les frivoles ménagemens, il disoit à Fénélon

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« (a) Vous vous plaignez de la force de mes ex» pressions! il s'agit de dogmes nouveaux qu'on >> voit introduire dans l'Eglise, sous prétexte de » piété, dans la bouche d'un archevêque. Si en » effet il est vrai que ces dogmes renouvellent, les » erreurs de Molinos, sera-t-il permis de le taire? » Voilà pourtant ce que le monde appelle excessif, aigre, rigoureux, emporté, si vous le voulez. Il >> voudroit qu'on laissât passer doucement un dogme » naissant, et sans l'appeler de son nom,, sans ex» citer l'horreur des fidèles, par des paroles qui ne >> sont rudes que parce qu'elles sont propres, et qui

>>

(a) Réponse de M. de Meaux à quatre Lettres de M. de Cambrai; ibid. p. 75.

»> ne sont employées qu'à cause que l'expression >> est nécessaire.....

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>> Si l'auteur de ces nouveaux dogmes les cache, » les enveloppe, les mitige, si vous voulez, par >> certains endroits, et par là ne fait autre chose » que les rendre plus coulans, 'plus insinuans, plus dangereux, faudra-t-il par des bienséances du » monde, les laisser glisser sous l'herbe, et relâcher » la sainte rigueur du langage théologique ? Si j'ai >> fait autre chose que cela, qu'on me le montre; » si c'est là ce que j'ai fait, Dieu sera mon protec>>teur contre les mollesses du monde et ses vaines » complaisances. >>

C'est ainsi que Bossuet répondoit au public.

Il répondoit avec la même énergie aux amis de Fénélon.

« (a) Les amis de M. de Cambrai n'ont à dire autre » chose, sinon que je lui suis trop rigoureux. Mais » si je mollissois dans une querelle où il y va de » toute la religion, ou si j'affectois des délicatesses, » on ne m'entendroit pas et je trahirois la cause » que je dois défendre. »

Malgré toute la chaleur et toute l'activité que Bossuet et Fénélon mettoient dans leur attaque et leur défense, malgré les instances pressantes de Louis XIV, pour engager le Pape à accélérer son jugement, Rome procédoit avec sa lenteur accoutumée, et rien n'annonçoit encore un jugement prochain; rien ne laissoit même entrevoir si ce jugement condamneroit ou absoudroit l'archevêque de Cambrai. On croyoit seulement s'apercevoir que les apologies et les explications de Fénélon pa

(a) Réponse de M. de Meaux à quatre Lettres de M. de Cambrai; ibid.

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