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» lui une sentence de déposition. Le Pape aussi, »saisi de sa cause, et qui l'a jugée, ne laissera » pas son jugement imparfait, et ne donnera pas » à d'autres la commission de l'achever, ni enfin » des juges IN PARTIBUS. Assemblera-t-on le con» cile de sa province? Quelles difficultés ne s'y » trouvera-t-il pas ? Le Pape ne s'y opposera-t-il pas? C'est se faire des affaires infinies, et qui » peuvent avoir des suites affreuses en mettant la division entre le sacerdoce et l'Empire. »

«Quoique je ne doutasse pas, répliqua M. de » Meaux, que M. de Cambrai ne souscrivít à sa » censure, je n'ai pas laissé de penser aux » moyens, ou de le faire obéir, où de procéder » contre lui. Mais quels sont ces moyens ? C'EST » SUR QUOI IL SE TUT TOUT D'UN COUP; ET AUĞUN » DE CEUX QUI L'ÉCOUTOIENT N'osa LE FAIRE EXPLI» QUER DAVANTAGE. »

་། Ce récit de l'abbé Ledieu est d'autant plus important, qu'il peut servir à expliquer et à modifier le sens de quelques expressions du mémoire (a) que Louis XIV avoit adressé à INNOCENT XII. On voit clairement que par ces résolutions convenables, dont il avoit paru menacer le Pape, on ne doit entendre que les résolutions conformes aux lois canoniques et aux maximes du royaume.

Le récit de l'abbé Ledieu fait aussi connoître que Bossuet s'étoit déjà occupé du plan d'une procédure régulière, dans la supposition où Fénélon-, refusant de se soumettre à l'autorité qu'il avoit lui-même invoquée, auroit rendu nécessaire une cxtrémité aussi fâcheuse. Il est vrai qu'il ne s'est

a) OEuvres de Bossuet, tom. XLII, p. 135, édit. de Vers.

in-8°.

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point expliqué sur la forme de la procédure dont il avouoit qu'il s'étoit déjà occupé; et c'est ce qui est peu à regretter. L'admirable et religieuse soumission de Fénélon dispensa heureusement Bossuet d'avoir recours à des mesures qu'une impérieuse nécessité, et un danger pressant pour l'Eglise peuvent seuls conseiller et commander.

XX. - Le bref d'INNOCENT XII est soumis à l'acceptation des assemblées métropolitaines.

Le projet de soumettre l'examen et l'acceptation du bref d'INNOCENT XII aux assemblées des provinces ecclésiastiques du royaume fut suggéré par l'archevêque de Rheims. Mais il survint une difficulté qui pouvoit donner la plus grande défaveur à cette acceptation; quelques ministres eurent la fantaisie de proposer à Louis XIV de déléguer des commissaires pour assister en son nom à ces assemblées. C'est à cette occasion que Bossuet présenta au Roi (a) un mémoire qui fit sentir à ce prince toute l'irrégularité d'une pareille

mesure.

XXI. Mémoire de Bossuet au sujet des commissaires royaux.

« Qu'est-ce que ces commissaires y feroient, di» soit Bossuet? Ils n'y seroient pas pour délibérer >> avec nous, ni pour nous aider de leurs lumières; >> ils ne pourroient donc passer que pour des inspecteurs envoyés par le Roi, afin de nous >> contenir, pour ainsi dire, dans notre devoir; » comme si Sa Majesté se défiant de ceux de notre » ordre, croyoit devoir nous faire tous veiller par (a) 18 avril 1699;

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» des laïques, et ne pouvoit s'assurer de notre fidé<»lité que par cette précaution qui nous déshono>> reroit dans l'esprit des peuples, et aviliroit notre >> ministère dans nos diocèses..... Suivant nos maxi>>mes, un jugement du Pape en matière de foi » ne peut être publié en France, qu'après une >> acceptation solennelle de ce jugement faite dans » une forme canonique par les archevêques et évêques du royaume. Une des conditions essen» tielles à cette acceptation, est qu'elle soit en» tièrement libre. Passeroit-elle de bonne foi pour » l'être, si les peuples voyoient des commissaires » du Roi dans nos assemblées ? »

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Ces considérations firent une telle impression sur Louis XIV, que lorsque ses ministres voulurent encore insister sur leur première idée, ce prince se contenta de leur répondre : Non, je me fie aux évéques (a).

L'assemblée métropolitaine de Paris avoit été convoquée pour le 13 de mai; et Bossuet alla passer les fêtes de Pâque à Meaux. Il en revint huit jours avant l'assemblée, pour se concerter avec le cardinal de Noailles sur la matière qui alloit être l'objet de leurs délibérations.

« Quoique tout fût disposé avec toutes les pré» cautions de mesure et de sagesse que les circon» stances prescrivoient, le jour même de l'assem» blée (13 mai 1699), M. de Meaux, dit l'abbé » Ledieu, me parut fort préoccupé et avec le >> maintien d'un homme que la supériorité de son génie n'empêche pas de craindre de rencontrer » de l'opposition, et qui en conséquence cherche » à tout prévoir; c'étoit la première fois où il

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(a) Mts. de Ledieu.

>> alloit se trouver dans une assemblée ecclésiasti» que avec l'archevêque de Paris (Noailles), que >> sa qualité de président, et le sentiment de la » faveur et du crédit dont il étoit en possession, » pouvoient inviter à exercer une sorte de domination sur une assemblée si peu nombreuse. Et » d'ailleurs, ajoutoit Bossuet, qui pouvoit se flatter de gouverner l'évêque de Chartres, qui se » montroit toujours fort touché de compassion pour »M. l'archevêque de Cambrai ?..

Mais heureusement, tout se passa dans le plus » grand calme et avec un concert parfait. Tout » fut arrêté sans aucune contradiction dans la >>> séance du matin et le procès-verbal fut signé » dans celle de l'après-dînée par tous les prélats » et le député d'Orléans (1); et M. de Meaux re>>> vint chez lui avec un visage gai et ouvert, con>>> tent du succès, comme un homme déchargé » d'un grand fardeau.

>> Les résolutions de cette assemblée étoient » d'autant plus délicates, qu'il falloit concilier » à la fois l'autorité de Rome et les droits des » évêques, les maximes et les libertés de l'Eglise » gallicane avec la jalousie du parlement; on doit ajouter que l'assemblée de Paris devoit servir de >> modèle aux autres assemblées du royaume. »

Lorsque toutes les assemblées métropolitaines de l'Eglise gallicane eurent unanimement adhéré au jugement qui condamnoit le livre des Maximes des saints, le Roi fit expédier des lettres-patentes

(1) Le cardinal de Coislin, évêque d'Orléans, ne pouvant en sa qualité de cardinal assister à une assemblée dont il n'étoit le président, y avoit député un de ses grands-vicaires pour le représenter,

pas

pour faire enregistrer au parlement le bref d'INNOCENT XII. Ce fut M. d'Aguesseau, alors avocatgénéral, et depuis chancelier de France, qui porta la parole en cette occasion.

Lorsqu'on a lu le discours qu'il prononça pour requérir l'enregistrement du bref du Pape, on ne sait ce qu'on doit le plus admirer dans ce monument immortel de la solidité des maximes de l'Eglise de France (a), ou de la sagesse et de l'éloquence avec laquelle il concilia les véritables principes de l'Eglise et de l'Etat; ou, ce qui étoit peut-être plus difficile encore dans la circonstance où il parloit, de sa juste admiration pour le génie et les talens de Bossuet, à laquelle il sut mêler l'expression touchante de l'intérêt que la vertueuse soumission de Fénélon venoit d'exciter. dans tous les cours; on ne peut que répéter avec le président Hénaut, que ce discours est fait pour honorer à jamais la mémoire de ce grand magis

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Bossuet en avoit porté le même jugement que la postérité (1). « M. de Meaux, écrit l'abbé Le» dieu, ne cessoit de le louer. Il en a long-temps » vanté la saine et exacte doctrine sur le centre » d'unité qui ést le Pape; la supériorité des con» ciles généraux, l'autorité des évêques de droit » divin, et le saint concours de toutes les églises » pour faire une décision infaillible. Il disoit que >> c'étoit précisément la doctrine de l'assemblée » de Paris; il louoit l'éloquence, les tours, l'insi(a) Paroles du président Hénaut.

(1) Il paroît par les manuscrits de l'ablé Ledieu, que M. d'Aguesseau s'étoit concerté avec Bossuet sur le plan de son discours..

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