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traits d'un ordre supérieur qui commandent nécessairement l'admiration. Cependant les nombreux fragmens que nous venons de rapporter, et qui étincellent des plus grandes beautés oratoires, portent tous l'empreinte du génie de Bossuet; et il est difficile de croire que tout autre que lui eût pu traiter un pareil sujet avec autant de force, de grandeur et de noblesse.

Cette espèce de prévention ne peut être attribuée qu'à la nature même du sujet. On est tellement accoutumé à voir Bossuet s'élever au-dessus des trônes et des grandeurs de la terre, et ébranler l'imagination par ces grandes catastrophes qui font trembler les peuples et les rois, qu'on se rend presque indifférent à l'histoire d'une vie qui n'offre que le mouvement régulier d'une longue suite d'années qui se succèdent et se ressemblent par l'ordre, la sagesse et un travail paisible et uniforme. Il faut convenir en effet que le chancelier le Tellier n'avoit ni dans son caractère, ni dans sa vie publique cette énergie et cet éclat qui préparent l'imagination à un grand intérêt, ou à de fortes émotions.

Mais c'étoit la difficulté même d'obtenir de grands effets d'un sujet aussi simple, aussi péu favorable aux mouvemens oratoires, sans jamais en sortir, sans avoir jamais recours à des faits, à des personnages, à des ornemens étrangers, qui demandoit tout le talent de Bossuet. Son sujet lui traçoit impérieusement les limites où il devoit se renfermer. Le caractère de l'homme dont il avoit à parler étoit donné et connu. La vérité et les convenances lui interdisoient toutes les fictions et tou tes les exagérations mensongères. Il étoit défendu, pour ainsi dire, à Bossuet de rien créer, de rien

imaginer. Mais, par bonheur pour Bossuet et pour nous, le chancelier le Tellier avoit été associé à des événemens et à des personnages célèbres; et Bossuet a fait de l'histoire d'un homme sage, prudent et calme, l'histoire la plus fidèle d'un temps remarquable par de grands mouvemens et de grandes vicissitudes. Il a donné à ce tableau historique toutes les couleurs les plus propres à jeter un nouvel éclat sur un siècle que l'imagination est accoutumée à se représenter comme l'une des époques les plus brillantes par l'esprit, la valeur et les grâces. Bossuet a plus fait encore: s'élevant au-dessus de ces dehors frivoles et séduisans, il a su donner à l'histoire son véritable caractère, en attachant à ses récits des réflexions aussi justes que profondes, aussi éclatantes par la pensée, qu'énergiques et pittoresques par l'expression. Enfin Bossuet, toujours Bossuet, montre la Providence gouvernant et réprimant cette effervescence passagère des esprits et des passions pour donner à Louis XIV la gloire d'affermir l'autorité royale par l'empire de la religion et des lois, et d'attacher son nom au plus beau siècle de la monarchie.

IV. - Bossuet reçoit l'abjuration du duc de Richemond. 1685.

Dans l'intervalle de l'oraison funèbre de la princesse PALATINE et de celle du chancelier le Tellier, Bossuet avoit eu un ministère plus consolant à remplir. Il fut appelé à Fontainebleau pour recevoir l'abjuration du duc de Richemond, fils naturel de Charles II et de la duchesse de Portsmouth. Louis XIV crut devoir mettre une espèce d'appareil dans une cérémonie qui flattoit son zèle pour

la religion catholique; et dans ses opinions de grandeur et de convenance, il pensa que l'honneur de présenter à l'Eglise le fils d'un roi, ne pouvoit appartenir qu'à Bossuet. Louis XIV devoit signer le 22 octobre 1685 la révocation de l'édit de Nantes; et il voulut, par égard pour le rang et la naissance de ce jeune seigneur, que la cérémonie de son abjuration précédât cet acte d'autorité. Elle eut lieu dans la chapelle du roi à Fontainebleau, le 21 octobre 1685, à l'issue de la messe (a). Ce fut Bossuet qui dit la messe en crosse et en mitre. Il prêcha sur le fameux texte Compelle intrare, tiré de l'Evangile du jour. « La Cour, dit l'abbé Ledieu, >> fondit en larmes par la considération de la misé» ricorde de Dieu qui appelle à lui ceux qu'il veut » appeler. Le roi fut ravi d'entendre Bossuet ex»pliquer ses sentimens et sa doctrine sur ce pas»sage de l'Ecriture, » dont on a fait quelquefois un usage contraire à l'esprit de l'Evangile, aux intentions de Louis XIV et au vœu des évêques les plus éclairés.

(b) Bossuet expliqua ce texte « selon l'interpré>>tation de saint Augustin, selon la conduite que ce » Père de l'Eglise avoit constamment suivie, et » qui étoit conforme à celle de toute l'Eglise ca»tholique (). Madame la DAUPHINE, princesse de > beaucoup d'esprit et de beaucoup de goût, fut >> transportée en entendant ce discours. Elle ne

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(1) Nous n'avons point trouvé le manuscrit de ce discours parmi les papiers de Bossuet. Il est vraisemblable qu'il le prononça sans l'avoir écrit. Il eût été intéressant de connoître l'interprétation que Bossuet donnoit à ces paroles de l'Ecriture.

» parla que du sermon de M. de Meaux à toutes

les

personnes qui assistoient à son dîner. Je » n'ai jamais oui parler comme parle M. de » Meaux, disoit-elle; il me fait un plaisir que je » ne puis exprimer; et plus je l'entends, plus je » l'admire. »

V.

- Bossuet exhorte à la mort Mme la DAUPHINE. Peu d'années après (1690), Bossuet eut de bien tristes fonctions à remplir auprès de cette même princesse, en qualité de son premier aumônier.

MARIE-ANNE-CHRISTINE- VICTOIRE DE BAVIÈRE, Dauphine de France, auroit pu être heureuse, si le mérite, l'esprit, les qualités aimables et la ser conde place de la Cour la plus brillante de l'Europe, pouvoient donner le bonheur. Mais cette princesse, par une disposition trop marquée de son ame et de son caractère à la tristesse et à la mélancolie, se plaisoit à vivre dans la solitude au milieu de la Cour de Louis XIV. Elle avoit même fini, dans les dernières années de sa vie, par se soustraire presque entièrement au joug de la représentation qui pesoit sur elle depuis la mort de la Reine, sa belle-mère. Elle n'y étoit que trop autorisée par la décadence sensible de sa santé, également altérée par les vapeurs qui la dominoient, et par le profond ennui qui la dévoroit; espèce de maladie de l'ame, qui est peut-être autant la cause que l'effet des vices de notre constitution.

Lorsque Madame la Dauphine mourut, elle étoit devenue presque étrangère à sa famille, à la Cour et aux événemens publics. Elle tomba malade au mois de février 1690, et sa maladie fut assez longue. Bossuet avoit passé tout le carême auprès

d'elle; elle voulut recevoir le viatique le jeudi saint. Il accompagna cette cérémonie d'une exhortation (a) qui fit couler les larmes de Louis XIV, et de toute la Cour présente à ce triste spectacle. Quelques jours après, il lui administra l'extrême-onction: et elle mourut le 20 avril 1690, indifférente à la vie, aux honneurs, à la perspective du trône, tranquille et résignée par les paroles pleines de foi, d'espérance et de charité, dont Bossuet n'avoit cessé de l'entretenir.

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Peu de momens avant qu'elle rendît le dermier soupir, Bossuet s'approcha avec respect de Louis XIV, qui étoit dans la chambre de cette princesse, et lui dit avec une tristesse religieuse : Il faudroit que votre Majesté se retirát. Non, » non, reprit Louis XIV, il est bon que je voie » comment meurent mes pareils. »

VI. - Oraison funèbre du grand CONDÉ.

Nous sommes arrivés au moment où nous allons entendre pour la dernière fois la voix de Bossuet gémir sur les tombeaux; et c'est par un chef-d'oeuvre qu'il va descendre de la chaire funèbre. Après le grand Condé, nul ne pouvoit aspirer à un tel

orateur.

Ce ne sont ni le respect ni la reconnoissance, ni les égards dus au rang et au malheur, qui conduisent Bossuet au tombeau du grand CONDE; il cède à un sentiment plus puissant et plus exalté. Le grand CONDÉ avoit toujours été le héros de son cœur et de son imagination. Ce prince, encore bien jeune, avoit deviné Bossuet plus jeune encore. Ces deux hommes avoient tant de conformité par l'élé

(a Mts. de Ledieu,

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