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commençoit par déclarer que le Pape étoit le vrai Antechrist. On sent qu'un pareil début dans une négociation n'annonçoit pas des dispositions bien conciliantes.

Quelque doux et quelque timide que fût Mélanchton, il eut le bon goût d'être blessé d'une pareille inconvenance, et il eut en cette occasion la force et le bon sens de résister à Luther. Il signa tous les articles de Smalcalde, à l'exception de celui du Pape; il mit une modification qui portoit implicitement la reconnoissance de la supériorité du Pape de droit divin.

En 1551, Charles-Quint, victorieux en Allemagne, voulut que les Protestans comparussent au concile de Trente et y présentassent leurs professions de foi. Maurice, nouvel électeur de Saxe, assembla les principaux docteurs luthériens à Leipsick, et ce fut là que Mélanchton rédigea une nouvelle confession de foi, qui est restée connue sous le titre de Confession saxonique. Il commence par y déclarer qu'elle n'est qu'une répétition de la confession d'Ausbourg, et cette répétition de la confession d'Ausbourg en est une véritable abjuration. Luther n'existoit plus, Mélanchton n'étoit plus intimidé par son arrogance et son despotisme, il penchoit depuis quelques années pour la doctrine de Zuingle, sur le sacrement de l'Eucharistie; et au lieu des expressions nettes, courtes et précises dont le même Mélanchton s'étoit servi dans la Confession d'Ausbourg, pour le dogme de la présence réelle, il enveloppa ce dogme dans un long discours de quatre ou cinq pages, dont il est impossible de conclure sa véritable opinion.

Dans cette même Confession saxonique, Mé

lanchton s'écarte encore plus de la doctrine dure et décourageante de Luther sur le libre arbitre, mais il passe à l'excès opposé. Loin d'exclure le libre arbitre dans les actions de l'homme, il se montre, à l'exemple des Semi-Pélagiens, porté à lui attribuer le commencement des œuvres surnaturelles.

Tandis que Mélanchton rédigeoit à Leipsick cette nouvelle profession de foi, Brentius en produisoit une autre à Wittemberg; elle n'étoit pas moins opposée à la confession d'Ausbourg, qui étoit cependant toujours invoquée comme règle de foi, par ceux mêmes qui la mettoient en pièces.

La Confession saxonique fut, pour ainsi dire, le dernier monument de la confiance et de l'autorité de Mélanchton dans le parti qu'il avoit embrassé. Le reste de sa vie fut empoisonné par les chagrins et les persécutions qu'il eut à essuyer de la part d'Illyric, autrefois son disciple, devenu ensuite son rival et son ennemi.

Mélanchton écrit lui-même qu'il vit à la conférence de Worms, en 1557, Illyric, a comme » une furie qui alloit de porte en porte animer le » monde contre lui, »

Ce fut à cette même conférence de Worms, que les Luthériens offrirent aux Catholiques le spectacle de leur acharnement et de leurs divisions. Là, on consacra avec une nouvelle énergie tous les excès de la doctrine de Luther, en présence de Mélanchton lui-même, qui avoit cherché en vain à adoucir dans la confession d'Ausbourg et dans la confession saxonique, toutes les assertions dures et révoltantes de Luther sur

le libre arbitre et sur la justification. Les Luthériens ne s'accordèrent entre eux à Worms que sur un seul point, et ce fut pour décider, que les » bonnes œuvres n'étoient point nécessaires au salut. »

En 1561, un an après la mort de Mélanchton, les docteurs luthériens s'assemblèrent à Naumbourg, ville de la Thuringe, pour choisir entre les éditions de la confession d'Ausbourg, celle qu'on réputoit pour authentique.

« (a) C'étoit une chose assez surprenante, dit » Bossuet, qu'une confession de foi qui faisoit » la règle des Protestans d'Allemague et de tout » le Nord, et qui avoit donné le nom à tout le » parti, eût été publiée en tant de manières et » avec des diversités si considérables à Wittemberg, et ailleurs, à la vue de Luther et de Mé>> lanchton, sans qu'on se fût avisé de concilier » ces variétés. Enfin, en 1561, trente ans après » cette confession, pour mettre fin aux reproches qu'on faisoit aux Protestans de n'avoir pas de confession fixe, ils s'assemblèrent à Naümbourg » pour adopter une des quatre éditions. >>

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(6) Mais on n'en fut pas plus avancé. L'assemblée de Naümbourg, en adoptant une des quatre éditions, déclara expressément qu'elle n'entendoit pas improuver les autres, quoiqu'elles fussent, en opposition avec celle qui avoit obtenu la préférence ; et ce qu'il y a de plus singulier, c'est qu'on en est encore à savoir laquelle des quatre éditions fut adoptée à Naümbourg.

En 1579, en exécution des délibérations prises en 1576 et 1577 dans les assemblées de Torg et (a) Histoire des variations, liv. VIII; ibid. P. 538.

(b` Ibid.

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de Berg, parut le livre de la Concorde. Les pièces dont ce livre est composé sont de différens auteurs et de différentes dates. Les Luthériens ont voulu y réunir tout ce qu'il y a parmi eux de plus authentique. On ne croit pas que depuis celte compilation, ils aient produit, en corps de religion, aucune nouvelle décision de foi. Mais jusque dans cette compilation, la communion luthérienne se montre invariablement fidèle à son habitude de variation; et Bossuet démontre clairement que le livre de la Concorde consacre le semi-pélagianisme en dépit de la doctrine atrabilaire de Luther.

IV. Variations des Calvinistes.

Si les Luthériens n'ont cessé de varier dans leurs Confessions de foi, les disciples de Calvin, quoique un peu plus fermes dans leurs principes, ont souvent paru chancelans et indécis dans la manière de les exposer.

Calvin avoit commencé, par la disposition de son caractère naturellement sombre et dur, à renforcer tout ce qu'il y avoit de plus dur dans la doctrine de Luther sur le libre arbitre et la justification. Il raisonnoit peut-être plus conséquemment que Luther; mais les conséquences qui résultoient de ses principes étoient outrageantes pour la bonté et la justice de Dieu, décourageantes pour la foiblesse humaine, et propres à retenir les hommes dans le crime par la certitude de ne pouvoir jamais en sortir. Ces conséquences n'effrayoient point Calvin; et il jouissoit avec une espèce de complaisance des jugemens impitoyables qu'il prononçoit contre la presque universalité du genre humain. Mais sur l'article de l'Eucharistie, il montra un

peu plus de souplesse. Le grand nom de Luther lui en imposoit encore. Il ne vouloit pas d'abord proscrire ouvertement la présence réelle, pour laquelle Luther combattit jusqu'au dernier soupir; et quoique Zuinglien dans le coeur, il affecta au commencement de garder une espèce de neutralité entre Luther et Zuingle, Il accorda à Luther des expressions qui supposoient clairement la présence réelle; et il détruisoit la signification naturelle de ces expressions par des commentaires qui réduisoient la présence réelle au sens figuré.

Fier de ses succès et de sa réputation naissante, il devint bientôt plus hardi. Il y avoit quinze ans que les disciples de Luther et de Zuingle disputoient sur la présence réelle, sans avoir jamais pu convenir d'un sentiment uniforme, malgré tous les expédiens que l'esprit versatile de Bucer avoit pu imaginer. L'étonnement fut général, lorsqu'en 1540 on vit Calvin, encore assez jeune, décider qu'ils ne s'étoient point entendus, et que les chefs des deux partis avoient tort, Luther, pour avoir trop pressé la présence corporelle, et Zuingle, pour n'avoir pas assez exprimé que le corps et le sang étoient joints aux signes.

Il est difficile d'expliquer si Calvin s'entendoit bien lui-même, et comment deux propositions aussi directement contradictoires que la présence réelle et la présence figurée pouvoient être toutes les deux fausses et toutes les deux vraies.

Personne n'a employé des expressions plus fortes que Calvin pour établir la présence réelle : et personne n'a plus cherché à l'affoiblir par des paroles confuses et inintelligibles qui la détruisoient entiè

rement.

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