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Malgré son caractère impérieux et absolu, Calvin porta si loin les ménagemens pour les Luthériens, qu'il affecta long-temps d'approuver purement et simplement la confession d'Ausbourg, dont l'article X consacroit formellement la présence réelle. Il est vrai que ces ménagemens étoient commandés. par des considérations politiques de la plus grande force. L'ombre de Luther, auteur de toute la réforme, régnoit encore en Allemagne ; la crainte d'offenser l'Allemagne, où la seule confession d'Ausbourg étoit tolérée par les États de l'Empire; l'autorité que cette confession conservoit hors même de l'Allemagne, déterminèrent Calvin et ses premiers disciples à garder un respect apparent pour elle; mais il savoit se dédommager de ce respect forcé dans ses correspondances particulières, où il s'expliquoit librement à ses confidens et à ses amis.

Aussi les disciples de Calvin, embarrassés de concilier toutes les expressions contradictoires de leur maître, ont abandonné depuis long-temps son langage sur l'Eucharistie, et sont revenus tout simplement au sens figuré de Zuingle. C'est ce qui parut sensiblement au colloque de Poissy, en 1561, lorsque, forcés de s'expliquer sur la confession, d'Ausbourg, ils en rejetèrent formellement l'article X sur la présence réelle.

Ce n'est pas que quatre ans auparavant, en 1557, les Calvinistes français n'eussent envoyé en Allemagne leur adhésion pure et simple à la confession d'Ausbourg et même à l'article X. Mais ils avoient alors besoin de l'intervention des puissances étrangères, pour fléchir Henri II, qui déployoit contre eux une rigueur extrême.

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Par une autre contradiction, on avoit vu Calvin en 1554 négocier entre Genève et Zurich un accord, où il avoit sacrifié les expressions si fortes qu'il avoit consacrées à la présence réelle du temps de Luther. Mais en 1554, Luther n'existoit plus; et il importoit à Calvin d'assurer à la ville de Genève, où il exerçoit une domination absolue, la protection des cantons suisses séparés de l'Église ro

maine.

On seroit souvent embarrassé d'expliquer des variations si brusques sur des points de doctrine, si on ne trouvoit pas dans l'histoire du temps et dans les événemens politiques qui agitoient alors l'Europe, les véritables causes de tant de contradictions et de toutes ces négociations frauduleuses.

La plus étrange de toutes les transactions du même genre, fut celle qui eut lieu en 1571 entre les Luthériens, les Zuingliens et les Bohémiens à Sendomir en Pologne. Calvin avoit extrêmement blâmé la profession de foi que les Bohémiens réfugiés en Pologne lui avoient adressée; il en censuroit l'ambiguité, et déclaroit qu'on ne pouvoit y souscrire, sans ouvrir la porte à la dissension ou à l'erreur. Mais après sa mort, on se montra bien moins difficile; et les députés des trois communions souscrivirent à la fois à Sendomir « (a) la confes» sion helvétique, la bohémique, et la saxonique, » la présence réelle et la présence figurée, c'est-à» dire les deux doctrines contraires, avec les équi» voques qui les flattoient toutes deux. On ajouta >> tout ce qu'on voulut aux paroles de Jésus-Christ; » et en même temps on approuva la confession de » foi, où l'on posoit pour maxime qu'il n'y falloit (a) Histoire des variations, liv. x1; ibid. p. 245.

» rien ajouter; tout passa, et par ce moyen on fit la >> paix, »>

Mais le spectacle le plus extraordinaire que donna le calvinisme, ce fut au synode de Dordrecht en 1618 (a). Là fut renversé, à la face de toute l'Europe, dans l'assemblée la plus nombreuse et la plus solennelle qui ait réuni la presque universalité des Églises de Calvin, le principe fondamental de toutes les églises réformées.

Elles avoient toutes refusé de se soumettre aux décrets du concile de Trente, sous prétexte que le Pape et les évêques y étoient juges et parties.

Les Arminiens, cités au synode de Dordrecht, ne manquèrent pas de lui opposer mot pour mot, les reproches et les raisonnemens que les Luthérieus avoient allégués au concile de Trente. Le synode de Dordrecht, composé dans sa totalité des adversaires des Arminiens, déclara que lenrs propositions étoient insolentes; et que la récusation qu'ils faisoient de tout le synode étoit injurieuse, non-seulement au synode même, mais encore à la suprême autorité des états-généraux dont les commissaires, présens à l'assemblée, en dirigeoient les délibérations au gré des volontés du prince d'Orange.

Alors les Armini ens protestèrent contre le sy node, qui délibéra sur cette protestation; « (b) et >> comme les raisons qu'ils alléguoient, étoient les » mêmes dont les Protestaus s'étoient servis pour » éluder l'autorité des évêques catholiques, les » réponses qu'on leur fit étoient les mêmes que les » Catholiques avoient employées contre les Pro» testans. On leur disoit que ce n'avoit jamais été (a) Histoire des variations, liv. ibid. - (b) Ibid.

P. 386.

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» la coutume de l'Église de priver les pasteurs du >> droit de suffrage contre les erreurs, pour s'y être » opposés; que ce seroit leur ôter le droit de leur » charge, pour s'en être fidèlement acquittés, et >> renverser tout l'ordre des jugemens ecclésiasti» ques; que par les mêmes raisons, les Ariens, les >> Nestoriens et les Eutychiens auroient pu récuser >> toute l'Église, et ne se laisser aucun juge parmi » les Chrétiens; que ce seroit le moyen de fermer » la bouche aux pasteurs, et de donner aux hé>> résies un cours entièrement libre; après tout,

quels juges vouloient-ils avoir? Où trouveroit>> on dans le corps des pasteurs ces genres neutres » et indifférens, qui n'auroient pris aucune part >> aux questions de la foi et aux affaires de l'É» glise?

» Ces raisons ne souffroient point de réplique. » Mais par malheur pour les Protestans, c'étoient >> celles qu'on leur avoit opposées, lorsqu'ils dé» clinèrent le jugement des évêques, qu'ils trou>> voient en place au temps de leur séparation. >>

En vertu de l'autorité que le synode de Dordrecht s'arrogea en dépit de tous les principes de la réforme, il excommunia les Arminiens, les priva du ministère, de leurs chaires de professeurs, et de toutes autres fonctions tant ecclésiastiques qu'académiques, jusqu'à ce qu'ayant satisfait à l'Église, ils lui fussent pleinement réconciliés et reçus à, sa communion.

Le gouvernement français n'avoit pas cru devoir permettre aux ministres protestans de ses États d'assister au synode de Dordrecht, quoiqu'ils y eussent été invités. Mais ils en reçurent les décisions dans leurs synodes nationaux, et notamment dans celui de Charenton en 1620. Ils ordonnèrent même

la souscription avec serment de tous les décrets de Dordrecht.

Les décrets du synode de Dordrecht étoient contraires à la doctrine des Luthériens en plusieurs points essentiels. Malgré une opposition aussi directe, les Calvinistes de France, dans leur synode de Charenton en 1631, admirent les Luthériens à leur communion. Le motif prétendu de ce décret étoit que les Luthériens et les Calvinistes s'accordoient sur les points fondamentaux, mais on se garda bien de définir et de spécifier ces points fondamentaux. En se rappelant ce qui se passoit alors en Allemagne, on devine aisément ce qui porta les Calvinistes de France à se montrer si complaisans envers les Luthériens.

« La date du décret de Charenton est mémorable, dit Bossuet; (a) il fut fait en 1631. Le » grand Gustave foudroyoit en Allemagne; et à ce » coup on crut dans toute la réforme, que Rome » même alloit devenir sujette au lutheranisme. >> Dieu en avoit décidé autrement; l'année d'après, >> ce roi victorieux fut tué dans la bataille de Lut>> zen; et il fallut rétracter tout ce qu'on avoit vu » dans les prophéties. >>

Malgré tant de complaisance, les Luthériens sont restés inflexibles envers les Calvinistes, qu'ils ont persisté à rejeter de leur communion.

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A côté de tant d'églises chancelantes sur leurs premiers fondemens, l'Église anglicane se montre aux yeux de Bossuet; elle forme un corps à part; sa constitution a quelques rapports avec l'Église catholique dans l'ordre de la hiérarchie, et pour (a) Histoire des variations; ibid. liv. xrv, p. 405.

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