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DEUXIÈME PARTIE

HISTOIRE DE L'INQUISITION

DEPUIS SES ORIGINES

JUSQU'A L'AVÈNEMENT DE CHARLES-QUINT. 1200-1915

La première partie de ce livre nous a montré l'Eglise du Christ, de persécutée qu'elle était dans le commencement, devenir persécutrice, dès qu'elle en eût le pouvoir. Pendant cette première période de l'Intolérance, nous avons vu l'Eglise chrétienne, devenue catholique romaine, s'imposer par la force, écraser toute opposition, restreindre de plus en plus la liberté de conscience, et quand toute résistance a été étouffée, travailler à augmenter sa puissance et sa richesse. Quand de nouvelles voix se sont fait entendre pour signaler des erreurs et des abus criants et pour proposer de les réformer, l'Eglise les a réduits au silence par la flamme des bûchers. Ces moyens déjà si barbares ne suffisant pas à étouffer le cri de protestation qui s'élève de toutes les consciences honnêtes, la sainte Eglise, tellement elle a horreur du sang, tellement cette bonne mère aime ses enfants, la sainte Eglise, dans la personne de son chef, inventera le tribunal dont le seul nom fait frémir, l'Eglise inventera l'Inquisition et la maintiendra pendant huit siècles.

Raconter les origines, l'établissement et les progrès de ce tribunal si justement abhorré, ses transformations et ses victimes dans notre patrie jusqu'à l'avènement de Charles-Quint, tel sera l'objet de cette seconde partie, dont le premier chapitre nous dira les massacres par lesquels les papes préludèrent à l'institution de leur tribunal favori.

CHAPITRE VII

Origines de l'Inquisition et massacre des Albigeois

SOMMAIRE: Les Croisades.

-

Alexandre III.

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- Innocent III.

Le

Lucien III. Concile de Vérone en 1184. - Les premiers inquisiteurs. Croisade contre les Albigeois. Ils sont tous massacrés et exterminés par la guerre et l'Inquisition. Commencement du XIIIe siècle.

I

La longue intolérance qui pesait sur les nations catholiques avait préparé les esprits à recevoir un tribunal qui n'était qu'un pas de plus dans la voie de la contrainte. Dès que le principe est admis, dès que l'on reconnaît la légitimité de l'emploi de la force pour imposer aux hommes une doctrine à laquelle ils ne croient pas, alors la modération devient un mal et la rigueur poussée à l'extrême le devoir le plus sacré.

Les idées mises en crédit à l'époque des croisades achevèrent d'aplanir les légers obstacles que les papes pouvaient rencontrer encore de la part des princes et des évêques. Les expéditions des croisés avaient servi à accréditer la maxime absurde que non seulement il était permis de faire la guerre à tous ceux dont la croyance différait de celle des prètres, mais encore que cette guerre était méritoire et propre à expier les plus grands crimes.

Non contents de faire prêcher les croisades contre les Mahométans, les papes de Rome exhortaient les peuples à prendre les armes pour détruire les hérétiques des Etats catholiques.

Alexandre III envoya en France son légat, l'abbé de Clairvaux, pour poursuivre la guerre contre ces mêmes hérétiques, et l'on vit ce prélat, armé du glaive exterminateur, combattre à la tête des troupes fanatiques et mettre à feu et à sang plusieurs provinces françaises.

La croisade contre les Albigeois ne les ayant pas anéantis, le pape Lucien III assembla à Vérone, en 1181, un grand concile auquel l'Empereur Frédéric II voulut assister. Cette assemblée

décréta que les comtes, les barons et autres seigneurs jureraient de prèter main-forte à l'Eglise pour découvrir les hérétiques et les punir, sous peine d'ètre excommuniés et de perdre leurs terres et leurs emplois ; que les habitants promettraient aussi par serment de dénoncer à l'évèque ou à ses délégués toutes les personnes soupçonnées de vivre dans l'hérésie, ou qui formeraient des assemblées secrètes; que les évèques visiteraient euxmèmes, deux fois par an, toutes les villes et villages de leurs diocèses, afin d'y découvrir les hérétiques; qu'on livrerait à la justice séculière tous ceux qui seraient déclarés coupables par les évèques et qui ne confesseraient pas leur crime; et enfin que les fauteurs d'hérésie, seraient déclarés infâmes pour toujours et dépouillés de leurs emplois.

II

L'avènement d'Innocent III au pontificat, en 1198, forme une époque mémorable pour l'histoire de l'Inquisition. Ce pape possédait toutes les qualités nécessaires pour établir l'Inquisition d'une façon définitive. Voyant les idées des Albigeois triompher des bulles papales et n'étant pas satisfait de la manière dont les évêques exécutaient les mesures arrêtées par le concile de Vérone, il prit la détermination d'envoyer sur les lieux des commissaires chargés de réparer le mal que les évêques n'avaient pas empêché.

C'est dans ce but qu'en 1203 Innocent chargea Pierre de Castelnau et Raoul, tous deux moines de Citeaux, de prêcher contre les doctrines des Albigeois. Pour assurer le succès de ces missionnaires, le pape eut l'idée de les nommer inquisiteurs indépendants des évêques. L'abbé de Citeaux leur fut adjoint. Ces inquisiteurs étaient chargés de prendre toutes les mesures nécessaires pour ramener dans le giron de l'Eglise, de gré ou de force, ceux qui en étaient séparés Les récalcitrants devaient être excommuniés, dépouillés de leurs biens et bannis à perpétuité.

Pierre de Castelnau étant tombé victime de son zèle, le pape. organisa contre les malheureux Albigeois une seconde armée. Des missionnaires romains, parmi lesquels se trouvait Saint

Dominique, sont chargés de prècher cette nouvelle croisade et de noter ceux qui refuseraient d'exterminer les malheureux que l'on considérait comme hérétiques (1).

III

Les Albigeois contre lesquels se préparait une croisade d'extermination, étaient très nombreux à Albi, à Toulouse, à Béziers, à Carcassone, à Montpellier et dans tout le midi de la France.

Sous le rapport de la tranquillité publique, il ne fut jamais d'hommes moins dangereux. L'extrême douceur de leurs principes les éloignait de tout esprit de faction et les rendait étrangers à la guerre. L'histoire s'accorde à les représenter comme de bons citoyens, comme des sujets fidèles, comme d'excellents pères de famille, comme des hommes sûrs dans leur parole, ennemis de l'éclat, attachés à leurs travaux, et mettant en pratique les préceptes de l'Evangile dont ils n'adoptaient que la morale. Leur vie irréprochable avait seule accru leur nombre d'une façon prodigieuse. Mais les progrès considérables qu'ils firent diminuèrent de beaucoup les revenus du clergé et c'était là le seul crime qui attira sur eux une armée de croisés chargés de les exterminer complètement.

Le fougueux Innocent III revêtit Saint Dominique du pouvoir d'accorder des indulgences à ceux qui poursuivraient les hérétiques, le glaive à la main, et se baigneraient dans leur sang.

Lorsque Dominique, en prêchant la croisade au nom des papes, eut donné l'éveil au fanatisme, son zèle trouva bientôt d'ardents imitateurs. L'évêque Diego, en Espagne, Arnaud, abbé de Citeaux, en France, Pierre de Chateauneuf, évêque de Carcassone, Foulques, évêque de Toulouse, l'abbé de SaintSernin, et une foule d'autres prêtres firent retentir les chaires d'anathèmes contre les Albigeois, et excitèrent les catholiques à tourner leurs armes contre ces malheureux. Une armée nombreuse est bientôt sur pied et se rassemble sous les murs de Lyon. Simon de Monfort, dont la férocité se plaisait dans les massacres, est nommé général.

1. LLORENTE. Histoire de l'Inquisition, p. 7-14.

Quand le protecteur des Albigeois, Raymond, comte de Toulouse, apprit que l'armée des croisés avait quitté les murs de Lyon, la frayeur lui fit perdre la tête, il demanda l'absolution. L'Eglise voulut bien la lui accorder, mais voici à quelles conditions. Comme garantie de la sincérité de son repentir on lui demanda l'abandon de sept places, on le contraignit à faire amende honorable en chemise, et fut condamné à être battu de verges et à implorer à genoux un pardon que ses spoliateurs et ses bourreaux semblèrent lui concéder par pitié.

Le comte de Béziers n'ayant pas voulu se soumettre, vit bientôt les croisés s'emparer de la ville et tous ses habitants passer au fil de l'épée. Le fanatisme triomphant déploya toute sa rage; hommes, femmes, filles, enfants, vieillards, tout fut massacré sans distinction. Pour immoler un plus grand nombre de victimes à la fois, on scella la porte de plusieurs églises, on y mit le feu, et l'incendie dévora ce que le glaive n'avait point atteint. On porte à soixante mille le nombre des malheureux qui périrent dans cette journée.

Raymond ayant refusé de chasser tous les Albigeois de ses Etats, les légats du pape lui déclarent la guerre. La perfidie est une arme dont l'Eglise s'est servie toutes les fois qu'elle en a eu besoin. Foulques, évêque de Toulouse, par de flatteuses paroles, obtient la soumission des habitants de la ville. Ils sortent de la cité; mais à mesure qu'ils arrivent, ils sont enchaînés. Le perfide prélat, à la tête des troupes de Montfort, pénètre dans Toulouse, et le pillage, le viol et le massacre commencent. Simon de Monfort fait mettre le feu à toutes les maisons dont il ne peut approcher et, en moins d'une heure, l'incendie devint général.

Toutefois, au milieu des flammes qui dévorent les maisons et les habitants, un certain nombre entreprend de se défendre. Leur courage les rend maîtres des agresseurs qui se réfugient dans une cathédrale où ils sont brùlés à leur tour. Monfort reçoit le châtiment de sa barbarie. Une pierre lancée par une femme atteint le comte à la tête et le prive de la vie.

Cependant la guerre fut continuée par Louis VIII. Le jeune Raymond, fait prisonnier, est conduit à Pavie. La crainte et la force lui arrachent des édits rigoureux contre des peuples qu'on

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