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teurs. Mais cela suffit pour nous convaincre que si l'Inquisition avait pu s'établir et se maintenir partout selon l'intention des papes, l'Europe n'eût plus été qu'un immense tombeau où les rois avilis et tremblants, les grands sans honneurs et sans gloire, les peuples sans lois et sans énergie, eussent été plongés sans défense, comme sans mouvement; et sur ce vaste champ, stérilisé par l'ignorance, un seul orgueil fût resté debout, celui des papes, et au pied de ce monument d'ambition, héritier unique de toutes les autorités anéanties, les bûchers allumés pour brûler la sagesse et la raison, et les bourreaux laissant les crimes en paix pour ne frapper que les pensées. Voilà ce que l'Eglise catholique aurait voulu et ce qu'elle voudrait encore.

CHAPITRE X

Les victimes de l'Inquisition dans les Pays-Bas, du XIIIe au XVIe siècle

SOMMAIRE: Epreuves et supplices cruels. Les Vaudois, les Beghards, les Cathares, les Stadingeois, les Lollards, les Flagellants, les Porettistes, les Templiers, les Wicleffites, les Juifs, les Sorciers, les Turlupins persécutés, torturés, suppliciés ou massacrés par l'Inquisition.

I

Après avoir décrit les origines, l'établissement, les progrès, la composition, la procédure, les tortures et les supplices de l'Inquisition, nous nous attacherons maintenant plus particulièrement à faire l'histoire de sa façon de procéder contre ceux qui, dans nos provinces, étaient considérés comme hérétiques. Nous avons vu avec quelle rigueur les inquisiteurs sévissaient contre les hérétiques d'Italie et surtout contre ceux d'Espagne. Cependant Motley assure que nulle part la persécution des dissidents ne fut plus impitoyable que dans les Pays-Bas.

Les personnes suspectes étaient soumises à toutes sortes de tortures et à des épreuves ridicules.

Lorsque quelqu'un était soupçonné d'hérésie, on l'obligeait à

faire neuf pas, tenant un fer chaud à la main. Si elle paraissait brûlée au bout de trois jours, c'était une marque certaine d'hérésie. D'autrefois on l'obligeait d'enfoncer les bras jusqu'au coude dans une chaudière d'eau bouillante.

Les suspects d'hérésie étaient quelquefois jetés tout nus dans l'eau; s'ils nageaient c'était une preuve évidente de leur culpabilité.

Après ces épreuves, la mort par le feu était le dénouement le plus ordinaire, mais ce n'était pas encore la plus cruelle forme d'exécution.

En Flandre, le génie inventif des inquisiteurs avait trouvé un châtiment plus sévère pour les Vaudois et autres semblables coupables.

Un homme dont le crime d'hérésie avait été établi par le fer rouge, par le soc brûlant, par la chaudière bouillante, ou par quelque autre preuve aussi concluante, était dépouillé de ses habits et lié à un poteau, fixé dans des lieux remplis de frelons, de guêpes et d'abeilles. Là, il était écorché depuis la tête jusqu'au nombril et les insectes s'attachaient à sa chair saignante, le tourmentaient nuit et jour jusqu'à ce que la mort vint mettre un terme à ce raffinement d'agonie (1).

Ce dernier supplice paraît avoir été inventé par l'inquisiteur Robert le Bulgare. C'était un Vaudois qui avait abjuré sa foi et qui, en récompense de son apostasie, fut nommé inquisiteur général par le pape Grégoire IX, vers l'an 1230. Il semble avoir eu pour mission spéciale de poursuivre ses anciens coreligionnaires. Dans l'espace de deux ou trois mois il fit écorcher, brûler ou enterrer vifs, plus de cinquante hommes et femmes appartenant à la communauté d'où l'ambition et la cupidité seules l'avaient fait sortir.

Malgré toutes ces cruautés, le nombre des Vaudois se multipliait de plus en plus; mais la persécution devenait aussi d'autant plus violente.

Philippe d'Alsace, excité par l'inquisiteur Guillaume, archevêque de Reims, fit saisir, condamner et exécuter quatre Vaudois à Arras. Ce n'était pas assez. Une femme du peuple

1. MOTLEY, T, I, p. 115, - BRANDT, T. I, livre I,

découvrit à l'autorité la retraite d'au moins quatre-vingts vaudois. Ils furent tous brûlés vifs. Leur biens furent confisqués et partagés entre le comte et l'évêque. Un certain nombre de Vaudois découverts à Ypres y subirent le même sort (1).

II

Depuis le XIIe siècle, il se manifestait partout des tendances à ramener l'Eglise à sa pureté primitive. Les mœurs des moines n'étant pas moins corrompues que les doctrines et le culte catho liques, il se forma à côté des congrégations monastiques déjà nombreuses, d'autres communautés afin de réaliser une sainteté que les couvents étaient loin d'atteindre. Comme si la sainteté consistait à s'enfer mer et non à remplir ses devoirs au sein de la société où l'on est appelé à vivre!

Les Beghards formaient une association religieuse dont les membres, tous célibataires (!), priaient, travaillaient et mangeaient en commun. Si inoffensive que fut l'existence des Beghards, ils furent chaudement poursuivis par Henri de Virnembourg, archevêque de Cologne. Leur vie régulière, leur pauvreté volontaire contrastant avec l'inconduite et l'opulence de tous les moines du temps, les Beghards, déclarés hérétiques, excommuniés par les papes, condamnés par les conciles, furent persécutés et brûlés, jusqu'à ce qu'ils fussent totalement exterminés.

Les Cathares, dont les idées ressemblaient assez à celles des Albigeois, trouvèrent aussi dans les Pays-Bas un grand nombre d'adhérents. Ces malheureux dissidents furent également poursuivis par l'Inquisition. Ceux que les bûchers ne parvinrent pas à brûler, disparurent ou se fondirent dans la communion des Vaudois (2).

En 1237, les dissidents, appelés Stadingeois, attirèrent l'attention du pape Grégoire IX. Une croisade fut prêchée contre eux. Six mille de ces malheureux furent taillés en pièces. Cette boucherie commandée par un pape, mit fin à une communauté

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qui parait avoir eu beaucoup de ressemblance avec celle des Albigeois (1).

En 1251 Guillaume Cornélisz, chanoine de la cathédrale d'Anvers, avait embrassé et prêché les opinions de Pierre Valdo. On ne le comprit pas et il mourut à la peine. Mais Nicolas Fontaine, évêque de Cambrai, fit brûler son cadavre sur la place publique de cette ville (2).

III

Tout au commencement du XIVe siècle Lollard Walter répandait les idées vaudoises à Londres et ses doctrines s'étaient également introduites dans les Flandres.

S'appuyant sur la Bible comme sur l'unique règle de la foi, Lollard et ses disciples rejetaient les cérémonies de l'Eglise romaine, l'invocation des saints, la messe, l'extrême-onction et les satisfactions pour les péchés, disant que celle de Jésus-Christ suffisait.

Lollard ayant dû quitter l'Angleterre pour ne pas tomber victime de l'intolérance catholique, se réfugia en Allemagne. Mais cɔmme le fanatisme romain est partout le même, Lollard ne trouva pas plus de liberté dans le pays des Germains que dans celui des Anglais. Le précurseur de Wiclef fut brûlé à Cologne l'an 1322. Profondément persuadé de la vérité de sa doctrine, il marcha au bûcher sans frayeur et endura son supplice avec le courage d'un vrai disciple du Christ (3).

Aussitôt après l'année 1300 on trouva des Lollards à Anvers, dans le Hainaut et le Brabant où ils parvinrent à convertir des femmes de la noblesse. Mais, confondus avec tous les autres dissidents, ils furent également l'objet des poursuites de l'Inquisition, qui parvint à les balayer tous pour faire place à d'autres. Vers la même époque parut aussi Marguerite Porette, née dans le Hainaut. Cette novatrice soutenait des idées peu dignes

1. DICT. HIST. DES CULTES. Article Stadings. 2. LE PROTESTANTISME BELGE, p. 25.

3. BERGIER. Dict. de théologie. Article Lollard.

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p. 69. PLUQUET. Dict. des hérésies. Article Lollard.

ALTMEYER. T. I,

de son sexe. Elle affirmait qu'une personne anéantie dans l'amour du Créateur peut satisfaire librement tous les désirs de la nature, sans crainte d'offenser Dieu. Comme elle défendait avec opiniâtreté cette doctrine immorale, elle fut condamnée en 1310, à être brûlée vive, à Paris, où elle s'était rendue pour la propager.

Lorsque la grande peste noire s'abattit sur l'Allemagne elle la trouva plongée dans un de ses sombres accès de mysticisme. Privés des sacrements de l'Eglise, à la suite des anathèmes lancés par les papes, les hommes du peuple s'habituèrent à remplacer les cérémonies catholiques par des mortifications sanglantes et des courses frénétiques. Des populations entières, demi-nues, erraient sur les places, portant des croix rouges, se frappant avec des fouets armés de pointes de fer et chantant des cantiques qu'on n'avait jamais entendus.

Ces flagellants se rendirent dans les Pays-Bas où leur fièvre gagna la Flandre et le Hainaut. Des gentilshommes et des seigneurs s'étaient laissés entraîner par l'extase du peuple, et de nobles âmes avaient suivi leur exemple.

Le pape les condamna, les puissances temporelles leur coururent sus, et l'Inquisition en fit arrêtrer et brûler un grand nombre. (1)

Ce fut aussi dans le XIVe siècle que le pape Clément V et Philippe le Bel, décrétèrent la destruction de l'ordre des Templiers, dont les immenses richesses excitèrent la cupidité du pontife d'Avignon et du roi de France. Au jour fixé, tous les Templiers répandus en Europe furent saisis et mis en prison. Ceux qui ne voulurent pas confesser les crimes et les erreurs dont on les accusait furent mis à mort. Ceux, au contraire, à qui des tourments affreux ou des promesses flatteuses arrachaient cet aveu, obtinrent leur liberté.

Dans les Pays-Bas, cet Ordre fut entièrement exterminé. Une lettre envoyée aux magistrats de Zierickzée leur ordonnait de se jeter sur les Templiers, l'épée à la main, et de les tuer tous sans miséricorde. Cet ordre barbare fut exécuté avec une cruelle ponctualité. On massacra tous ces chevaliers dans leurs lits.

1. ALTMEYER, T. I, p. 76.

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