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du serment et les dispositions des lois actuelles sur cette matière. Le juge expose à la partie, ou au témoin, l'objet sur lequel il doit jurer, et celui-ci, levant la main, se borne à répondre je le jure. A n'en juger que d'après cette formule, on serait tenté de ne regarder le serment que comme une simple promesse, qui n'engage l'homme que selon ses idées particulières sur ce qu'on appelle honneur.

Cependant, le serment est un acte essentiellement religieux; adfirmatio religiosa Deo teste, dit Ciceron, de Officiis, lib. 3, cap. 29. Celui qui jure prend non-seulement Dieu à témoin de la vérité du fait, ou de la sincérité de la promesse, il s'adresse à la Divinité comme vengeresse de l'imposture, de la foi violée, du parjure, en un mot.

De là ces solennités établies pour frapper les sens et l'imagination dont les anciens entouraient le serment; de là, chez les chrétiens, les serments prêtés sur l'autel, sur les saints Evangiles, par la Trinité, par la Vierge, etc.; de là ces formules effroyables d'imprécations dont on trouve un exemple dans la novelle 8 de Justinien, in fine (1).

En France comme à Rome, le serment eut toujours le caractère d'un acte religieux. Je jure Dieu le Tout-Puissant, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, en touchant les saints Évangiles ou la remembrance et figure de la benoiste croix. Telle était la formule prescrite par les anciennes ordonnances de Franche-Comté ; dans d'autres provinces, le serment était accompagné d'expressions à peu près semblables. Le serment, dit Pothier, no 103, est un acte religieux, par lequel une personne déclare qu'elle se soumet ⚫ à la vengeance de Dieu, ou renonce à sa miséricorde, si elle n'accomplit pas ce qu'elle a promis. C'est, ajoute-t-il, ce qui » résulte de ces formules: Ainsi Dieu me soit en garde ou en

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(1) Juro ergo per Deum omnipotentem, et Filium ejus unigenitum, Dominum nostrum Jesum Christum, et Spiritum sanctum, et per sanctam gloriosam Dei genitricem, et semper virginem Mariam, et per quatuor evangelia quæ in manibus meis teneo, et per sanctos archangelos Michaelem et Gabrielem, etc..... Si verò non hæc omnia ita servavero, recipiam hic et in futuro seculo, in terribili judicio magni Domini Dei, et Salvatoris nostri Jesu Christi : et habeam partem cum Juda et lepra Giezi, et tremore Cain: insuper et pænis quæ lege eorum pietatis contimentur, ero subjectus.

› aide; je veux que Dieu me punisse, si je manque à ma parole.» Tel était, parmi nous, l'état des choses, quand la tourmente révolutionnaire ayant fait crouler nos vieilles institutions, toute idée religieuse fut écartée de nos lois.

Le serment néanmoins, quelle qu'en soit la formule, n'a rien pu perdre de son essence; et ne serait-il pas à désirer qu'au lieu d'un geste, et de trois mots, vides pour le plus grand nombre de toute pensée religieuse, le serment fût exigé dans des termes capables de le faire paraître, aux yeux de tous, ce qu'il est réellement, c'est-à-dire un lien de conscience?

Nos voisins en ont senti la nécessité: à Genève, la loi actuelle exige que le serment soit prêté sur les saintes Écritures, et quand la partie a répondu qu'elle est prête à jurer, le président dit: Que Dieu, témoin de votre serment, vous punisse, si vous êtes parjure!

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La forme établie par le Code de procédure du canton de Vaud est encore plus solennelle. Le président adresse à celui qui va prêter serment l'exhortation suivante: « Dans cet acte im>portant et solennel, je vous exhorte de prendre garde aux » conséquences qu'il peut entraîner pour vous-même. C'est au nom de Dieu, c'est devant Dieu, que vous allez promettre de >> dire la vérité! Songez à l'énormité du crime que commet le parjure et aux malheurs auxquels il s'expose! - En trahissant la vérité, en la dénaturant, ou même en la dissimulant, vous ne vous rendez pas seulement coupable d'injustice envers votre prochain, mais vous trompez les juges, vous brisez le frein le plus respectable de la société, vous attirez sur vous » l'infamie publique et la rigueur des peines de la loi! Vous perdez sans retour la paix de l'âme, le doux repos de la » conscience, pour vous exposer aux remords les plus cuisants! » Enfin (ce qui est le plus affreux à penser), vous provoquez, sur vous, les châtiments du Juge suprême qui punit les mé>> chants, au-delà de cette vie! - Quel avantage temporel pour>rait être mis en balance avec la somme effrayante de tant de » maux? Je ne puis donc avoir aucun doute que vous ne remplissiez les obligations que vous impose le serment que vous ⚫ allez prêter, avec droiture, avec sincérité et une entière pu»reté de cœur. » Après cette exhortation, le président pro

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nonce la formule suivante, les membres du tribunal étant debout: • Vous jurez de dire toute la vérité et rien que la vérité; vous le jurez par le nom de Dieu, comme vous voulez qu'il vous › assiste à votre dernier jour. La partie ou le témoin, levant la main, prononce à voix distincte: Je le jure.

Le lien du serment n'existe qu'à l'égard de ceux qui croient en un Dieu rémunérateur et vengeur: à quoi se réduit donc le serment, si on le dépouille du caractère religieux qui est de son essence? à une promesse revêtue de quelque solennité. Alors ce n'est plus la religion du serment, c'est le caractère moral de l'homme qui peut donner du poids à sa parole; dat fidem vir jurejurando, et non jusjurandum viro, comme le disait un ancien auteur.

Ainsi, dans les individus dont les croyances religieuses sont affaiblies ou presque nulles (et il n'y en a malheureusement que trop), le serment, quelle qu'en soit la formule, n'est qu'une faible sûreté contre le parjure. Il en est cependant qui tiennent à l'honneur et dont la seule parole serait préférable au serment le plus solennel.

Mais c'est la généralité et non les exceptions qu'il faut avoir en vue; or, il existe un très grand nombre d'hommes chez qui domine encore le principe religieux, et dont il s'agit d'éclairer l'ignorance et de soutenir la faiblesse. Plusieurs, n'en doutons pas, hésiteraient de se livrer au parjure, si le serment était assujetti à une forme telle, que son caractère sacré ne pût être méconnu de personne.

Nous avons vu, à Besançon, un juge de paix qui s'était avisé d'établir chez lui une espèce d'oratoire, dans lequel il conduisait le plaideur prêt à lever la main, quand, lui connaissant des principes de religion, il le soupçonnait porté à un acte de mauvaise foi; le plaideur entré trouvait là un autel et le livre saint entre deux cierges allumés.... il renonçait au serment, et le procès était terminé. Quelque louable que fût l'intention de ce magistrat, il excédait ses pouvoirs; aussi le procureur-général crut-il devoir lui interdire d'user de ce moyen.

Le savant auteur du traité d'usufruit était, comme tant d'autres, pénétré de l'opinion que, si le serment judiciaire offre peu de garantie, c'est à l'absence de toute idée religieuse dans

la formule que l'on peut en attribuer la cause, il crut aussi devoir y suppléer, et voici un fait qu'il se plaisait à raconter. En remplissant, en 1793, les fonctions de juge de paix, il fut appelé pour apposer des scellés ; on l'avait instruit et il ne tarda pas à être convaincu d'une spoliation commise par l'un des héritiers : cet homme était prêt à jurer qu'il n'avait rien distrait, lorsque M. Proudhon, tirant de sa poche la novelle de Justinien qu'il présenta comme un évangile, prononça la formule de cette ancienne loi; et, à l'aspect de ces imprécations formidables: Je jure par le Dieu tout-puissant, etc., et si je ne garde pas mon serment, qu'au jugement terrible de Dieu, je sois traité comme le traitre Judas, comme le meurtrier Cain..... Le spoliateur pétrifié fit une révélation complète. (1)

C'est à la loi seule qu'il appartiendrait d'environner le serment d'expressions solennelles et religieuses, le magistrat n'a pas le droit d'y suppléer. Cependant rien n'empêche le juge de paix de faire observer à la partie et aux témoins, en quoi consiste la religion du serment, et à quelles conséquences funestes peut entraîner le parjure.

(1) Éloge prononcé à l'académie des sciences, arts et belles-lettres de Besançon, le 28 janvier 1839.

SECTION V.

DES PRESCRIPTIONS.

SOMMAIRE.

Introduction: renvoi aux auteurs qui ont traité cette matière ex professo.

SIer. Dispositions générales. - 1. Deux sortes de prescriptions: l'une pour acquérir, l'autre pour se libérer. 2. Définition de la possession; la possession annale fait présumer la propriété, et cette présomption devient preuve complète, si la possession est continuée pendant trente ans ou pendant dix ou vingt ans avec titre et bonne foi. 3. Choses imprescriptibles et qui ne peuvent donner lieu à l'action possessoire.-4. La prescription, en matière civile, est une exception qui doit être proposée; secùs en matière criminelle, le juge doit l'appliquer d'office. 5. La prescription est opposable en tout état de cause. – 6. Celui qui la propose doit en justifier; la preuve testimoniale, en matière personnelle, ne peut servir que pour la justification libératoire d'une somme de 150 fr. et au-des7. Conditions nécessaires pour que la possession soit utile, énonciation des principes, renvoi de leur application aux actions possessoires.-7 bis. Application de la maxime quæ temporalia sunt ad agendum, etc.-8. La prescription se compte par jour, et non par heures, jour à quo, jour ad quem.

sous.

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SII. Des causes qui empêchent la prescription. - 9. Nomenclature des détenteurs précaires qui ne peuvent jamais prescrire.— 10. A moins que le titre ne soit interverti; doctrine sur les interversions; quand et comment on peut ou non posséder contre ou au-delà de son titre.

§ III. Des interruptions.-11. Interruption naturelle, la possession, pour interrompre, doit être d'une année. 12. Interruption civile, actes qui la constituent. 13. Demande en justice, comment elle est formée; tentative de conciliation; cas auxquels la demande en justice est regardée comme non avenue. - 14. Le commandement interrompt, mais non la sommation extra-judiciaire. 15. Une saisie quelconque est un acte éclatant d'interruption. — 16. Reconnaissance du droit ou de la dette; comment doit-elle être formulée pour interrompre? - 17. Interruption civile n'a pas lieu

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