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l'art. 17, au juge chargé de régler l'indemnité à nommer le tiers expert. La loi s'est écartée de l'art. 303 du Code de procédure, lequel exige la nomination de trois experts choisis par les parties ou nommés par le juge, article qui d'ailleurs n'est applicable qu'aux tribunaux ordinaires; mais dans une affaire de la compétence exclusive du pouvoir judiciaire, comment concevoir, qu'en cas de dissentiment des deux experts, l'incident doive être renvoyé au tribunal administratif? déférer, en ce cas, le choix du tiers expert au conseil de préfecture, ce serait l'anomalie la plus étrange et qui n'a pu entrer dans la pensée du législateur.

2o Le juge de paix sera-t-il tenu de s'en rapporter à l'avis des experts?

Comme on le verra, en traitant de l'expertise, le juge n'est point lié par l'opération des experts; sa conviction peut être assise sur d'autres documents; en thèse générale, il peut même statuer sur une indemnité, ou toute autre reconnaissance, sans expertise et d'après ses propres lumières. La loi du 8 mars 1810 (l'une des meilleures et des plus favorables à la propriété qui ait été rendue sous le régime impérial) n'astreignait pas même le tribunal chargé de statuer sur l'indemnité, en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique, à nommer des experts; l'art. 17 accordait seulement cette faculté, en déclarant que le rapport ne vaudrait que comme renseignement (1). Cependant il est des cas où la loi exige une expertise, et même, en matière d'enregistrement, la Cour de cassation décide que les juges sont astreints à suivre l'avis des experts.

Ici l'art. 15 déclarant que le juge de paix statuera sur le rapport d'experts, cette formalité est indispensable. Mais pourquoi serait-il tenu de s'en rapporter aveuglément à leur avis, si, éclairé par des renseignements plus exacts, sa conviction s'y refuse? Le réglement de l'indemnité que l'art. 15 défère aux juges de paix doit être établi dans la même forme que celui dévolu au conseil de préfecture par l'art. 17; et, comme on l'a

(1) Les motifs de la loi du 7 juillet 1833, qui a dépouillé les tribunaux de la connaissance des indemnités, pour en revêtir un jury spécial, sont difficiles à saisir. Était-ce un essai tenté, pour faire intervenir, comme en Angleterre, le jury dans toutes les questions de fait ?

fait observer, cet article n'est que la suite et la conséquence de la loi du 16 septembre 1807 relative aux constructions publiques; or, l'art. 7 de cette loi veut que le contrôleur et le directeur des contributions donnent leur avis sur le procès-verbal d'expertise, que le tout soit soumis à la délibération du conseil de préfecture, et que, dans tous les cas, le préfet puisse provoquer une nouvelle expertise.

3. Comment l'affaire sera-t-elle instruite, pour parvenir au réglement de l'indemnité?

La procédure doit être extrêmement simple. Le propriétaire fera citer le maire de la commune devant le juge de paix, en désignant un expert, afin de procéder à l'estimation, concurremment avec celui que le maire sera sommé de faire nommer par le sous-préfet; les experts prêteront serment au jour indiqué par le juge de paix, et vaqueront, sans qu'il soit besoin de sa présence. Ici les art. 41 et 42 du Code de procédure ne sauraient être applicables : la décision du juge de paix devant être rendue sur le rapport de deux experts, et même d'un tiers dans le cas où il y aurait désaccord, ce sont les experts eux-mêmes qui doivent rédiger leur avis; leur procès-verbal doit donc être rapporté et déposé au greffe de la justice de paix.

L'action devant être dirigée contre la commune, le propriétaire, avant de l'intenter, sera tenu de remplir les formalités voulues par les art. 51 et suivants de la loi du 18 juillet 1837. Il présentera au préfet un mémoire dont il lui sera donné récépissé, afin de faire autoriser la commune à plaider par le conseil de préfecture.

4. Qui devra supporter les frais d'expertise et de jugement?

Il est évident que ces frais seront à la charge de la commune débitrice de l'indemnité, et le juge de paix devra l'y condamner, lors même qu'il réduirait de beaucoup la somme que réclamait le propriétaire, attendu que, d'après l'art. 2216 du Code civil, la plus pétition n'a pas lieu parmi nous (1). Cependant, il est

(1) L'article 40, § 3, de la loi du 7 juillet 1833, sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, veut que, si l'indemnité est à la fois supérieure à l'offre de l'administration et inférieure à la demande des parties, les dépens soient compensés, jusqu'à due concurrence; mais c'est une exception pour cette procédure particulière, et qui ne peut être étendue à d'autres cas.

possible que la commune ayant offert une somme, soit avant, soit ensuite du mémoire présenté au préfet par le propriétaire avant d'intenter son action, demande que ses offres soient déclarées valables. Dans ce cas, si l'estimation des experts était égale ou inférieure à la somme offerte, le propriétaire devrait être condamné aux frais de l'expertise dont l'inutilité serait démontrée, et même aux frais du jugement, si le conseil municipal avait consenti, et que le préfet eût ordonné que la somme proposée par la commune fût portée à son budget; car il n'en est pas des dettes communales comme de celles d'un particulier. Le créancier d'un particulier n'a besoin que d'un titre exécu toire pour saisir son débiteur; tandis qu'une commune ne peut être saisie, sa dette quoique consacrée par jugement ne devant être acquittée que par voie administrative, et au moyen du budget.

5o La décision du juge de paix réglant l'indemnité sera-t-elle sujette à appel?

Dans les affaires dévolues aux juges de paix par des lois spéciales, la disposition porte qu'il statuera en premier ou dernier ressort, suivant la quotité de la somme, et ici la loi n'en parle pas. Mais il est de règle que tout jugement est sujet à l'appel, dès l'instant que la demande excède la compétence en dernier ressort du juge; à moins que le contraire ne soit formellement excepté, comme l'a fait le législateur en matière d'enregistrement, cas auquel le tribunal civil statue souverainement, quelle que soit la valeur du litige : l'art. 13 ne disant rien de semblable, l'attribution qu'il confère aux juges de paix reste dans les termes du droit commun. Si donc la demande en indemnité est indéterminée, ou qu'elle excède la somme de 100 francs, taux de la compétence actuelle des justices de paix, en dernier ressort, il est hors de doute que l'appel du jugement pourra être interjeté devant le tribunal civil.

Terminons par observer que, d'après l'art. 18 de la loi sur les chemins vicinaux, l'action en indemnité des propriétaires se prescrit par le laps de deux ans. Mais il est à remarquer que d'après l'art. 51 de la loi sur l'administration municipale, la présentation du mémoire au préfet, qu'exige cet article, avant d'agir en justice contre les communes, interrompt la prescription.

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S III.

Du déclinatoire, ou de l'incompétence.

13. Il y a incompétence, toutes les fois que l'action est portée devant un juge qui n'est point chargé d'en connaître. Mais l'incompétence est absolue, ou seulement relative.

Incompétence relative: généralement parlant, la demande, en matière personnelle, doit être formée devant le juge du domicile du défendeur; et, en matière réelle, devant le juge de la situation des biens (1). Si donc l'affaire est portée devant un autre jage, il y a incompétence, mais qui n'est que relative; dans ce cas, le juge n'est incompétent que sous le rapport de la personne ou de la situation de l'objet litigieux, la matière est toujours placée dans l'ordre de sa compétence; on franchit seulement les limites de sa juridiction territoriale.

L'incompétence relative n'étant établie qu'en faveur des parties, elles peuvent renoncer à cette exception, d'une manière expresse ou tacite. Ainsi le défendeur doit proposer le déclinatoire, avant toute autre défense; autrement on présume qu'il a voulu être jugé par le tribunal devant lequel il était indûment assigné.

De l'art. 7 du Code de procédure, qui sera transcrit dans le paragraphe suivant, M. Henrion de Pansey (chap. 7) fait résulter la conséquence, que, dans les justices de paix, l'incompétence relative n'est pas couverte par le silence des parties; qu'il faut une prorogation expresse. Mais cet article ne s'applique qu'au cas où, les parties paraissant volontairement devant le juge, force est de suppléer, par une déclaration expresse, à la citation qui aurait expliqué l'objet de la demande. D'ailleurs, en leur accordant la faculté, non-seulement d'introduire l'instance de cette manière, mais de consentir à donner au juge de paix le pouvoir de juger soit en premier soit en dernier ressort, encore qu'il ne soit le juge naturel des comparants, ni à raison du domicile du défendeur, ni à raison de la situation de l'objet litigieux, le législa

(1) Voyez suprà, pag. 5, quelle est, à cet égard, la juridiction territoriale des juges de paix.

teur n'a pas entendu restreindre la règle générale qui oblige le défendeur assigné devant un juge dont l'incompétence n'est que relative, à proposer le déclinatoire préalablement à toutes défenses au fond, règle applicable aux juges d'exception aussi bien qu'aux tribunaux ordinaires, ainsi que le démontre l'article 424 du Code de procédure, relatif aux matières commerciales. Sans doute, le juge de paix doit se déclarer incompétent, si le défendeur fait défaut; mais si celui-ci paraît, sans proposer le moyen d'incompétence, alors il ne serait pas plus recevable, que le demandeur, à faire valoir cette exception, en appel.

14. Incompétence absolue. Cette incompétence, ratione materiæ, a lieu, lorsque l'action est intentée devant un juge extraordinaire, sur un objet dont la connaissance ne lui est pas attribuée, ou si, devant un tribunal ordinaire, la demande porte sur une matière que la loi a formellement distraite de sa juridiction.

Par exemple, un tribunal civil ne peut connaitre d'une affaire criminelle; la décision par laquelle il prononcerait une peine serait radicalement nulle. De même, le tribunal criminel ne pourrait connaître d'une affaire purement civile. Les tribunaux ne peuvent s'immiscer dans les affaires dévolues à l'autorité administrative, et réciproquement. Il y aurait aussi incompétence absolue, si un juge d'exception prenait connaissance d'autres matières que celles qui lui sont attribuées : ainsi le jugement d'un tribunal de commerce portant sur une affaire civile serait frappé de nullité absolue; mais il n'en serait pas ainsi d'un jugement rendu par le tribunal civil sur une affaire commerciale, les tribunaux ordinaires étant investis de la plénitude de juridiction, les parties peuvent, en renonçant à celle qui a été introduite en leur faveur personnelle, rentrer dans la juridiction ordinaire des tribunaux civils, leurs juges naturels, et dont l'incompétence, pour les cas exceptés, n'est que purement relative (1).

(1) Arrêt du 24 avril 1834, D., p. 209. — En doit-il être de même d'un jugement du juge de paix statuant sur un billet commercial de 200 fr. et au-dessous? Voy. infrà le commentaire sur l'art. 1er de la loi de 1838, n° 20.

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