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S IX.

De la saisie-gagerie.

65. La saisie-gagerie, dont il s'agit en ce paragraphe, est un acte par lequel les propriétaires ou principaux locataires arrêtent, pour sûreté de ce qui leur est dû, en vertu d'un bail écrit ou verbal, les effets qui se trouvent dans les maisons et sur les terres louées ou affermées. La saisie peut aussi être exercée, par voie de revendication, sur un tiers détenteur des effets mobiliers qui auraient été déplacés de la maison ou de la ferme, sans le consentement du bailleur.

La saisie-gagerie n'est donc que le moyen d'assurer l'exercice du privilége que l'art. 2102 du Code civil accorde au propriétaire; c'est par suite et en exécution de cet article, qu'ont été portées les dispositions que renferme à cet égard le Code de procédure.

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Art. 819. Les propriétaires et principaux locataires de >> maisons ou biens ruraux, soit qu'il y ait bail, soit qu'il n'y en ait pas, peuvent, un jour après le commandement, et sans permission du juge, faire saisir-gager pour loyers et fermages échus, les effets et fruits étant dans lesdites maisons D ou bâtiments ruraux et sur les terres.

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» Ils peuvent même faire saisir-gager à l'instant, en vertu de la permission qu'ils en auront obtenue, sur requête, du président du tribunal de première instance.

» Ils peuvent aussi saisir les meubles qui garnissaient la > maison ou la ferme, lorsqu'ils ont été déplacés sans leur con» sentement, et ils conservent sur eux leur privilège, pourvu qu'ils en aient fait la revendication, conformément à l'ar»ticle 2102 du Code civil.

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» 820. Peuvent les effets des sous-fermiers et sous-locataires garnissant les lieux par eux occupés, et les fruits des terrcs qu'ils sous-louent, être saisis-gagés pour les loyers et fermages > dus par le locataire ou fermier de qui ils tiennent; mais ils > obtiendront main-levée, en justifiant qu'ils ont payé sans » fraude, et sans qu'ils puissent opposer des paiements fails ⚫ par anticipation.

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Il y a entre la saisie ordinaire que l'on appelle saisie-exécution, et la saisie-gagerie, cette différence, qu'en cas de saisie-exécution, le titre exécutoire suffit pour autoriser la vente des meubles saisis; l'intervention du juge est inutile, à moins que la partie saisie ne forme opposition. Au contraire, la saisie-gagerie n'est qu'une mesure conservatoire, dont l'objet, il est vrai, est de placer les effets saisis sous la main de la justice, d'empêcher qu'ils ne soient distraits; mais il ne peut être procédé à la vente, sans un jugement qui déclare la saisie valable. Ainsi, la saisiegagerie n'est que le préliminaire d'une instance, puisqu'elle doit être suivie d'une demande en validité, sur laquelle le saisissant est tenu de justifier de la créance et du privilége qu'il réclame. La validité des saisies-gageries est donc une conséquence de l'action en paiement des loyers et fermages; ces deux demandes sont presque toujours instruites simultanément; il est même expédient de procéder d'abord par voie de saisie, afin d'obtenir, sur le tout, une seule et même décision. Voilà pourquoi, en attribuant aux juges de paix la connaissance des actions relatives à certains baux, la loi les a investis du droit de statuer sur les demandes en validité de saisies-gageries.

66. Si le bail est authentique et exécutoire, alors le propriétaire n'a pas besoin de recourir à la saisie-gagerie dont la connaissance est dévolue aux justices de paix; il peut et doit agir par la voie de saisie-exécution; la saisie-gagerie, qui nécessite une demande en validité, serait une procédure inutile et frustratoire de la part de celui qui, muni d'un titre paré, peut, sans l'intervention du juge, saisir et faire vendre les meubles de son débiteur (1).

Le propriétaire qui a un bail authentique ou sous seing privé, et même en vertu de l'ordonnance du juge, si le bail n'est que verbal, peut aussi, en vertu des articles 557 et suivants du Code de procédure, faire procéder à une saisie-arrêt entre les mains d'un tiers, sur les sommes et effets appartenant au locataire ou fermier, saisie qui, de même que la saisie-gagerie, doit être suivie d'une demande en validité. Mais le juge de paix ne serait pas non plus compétent pour statuer sur cette demande à laquelle

(1) Voir ce qui a été dit sur les titres exécutoires, part. 1, sect. 3, n° 4.

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un tiers se trouve intéressé. « La saisie-arrêt, dit M. le gardedes-sceaux, à la différence de la saisie-gagerie, met toujours en cause une troisième partie, outre le saisissant et le débiteur; » la suite de cette procédure nécessite une distribution entre » plusieurs intéressés, lorsqu'il survient des oppositions. Statuer

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sur ces oppositions, prononcer sur la déclaration du tiers » saisi contre lequel est formée une demande véritablement » indéterminée, ce seraient là autant d'attributions qui entraî» neraient le magistrat hors des limites ordinaires de sa compétence, et qui l'appelleraient à décider des questions d'une > solution souvent trop difficile (1). ›

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67. Revenons à la saisie-gagerie : les dispositions du Code de procédure sur ce point sont aussi claires que positives; bornonsnous à quelques explications.

1° Quelque important que puisse être le mobilier saisi, le juge de paix n'est pas moins compétent pour statuer sur la demande en validité, parce qu'en matière de saisie, ce ne sont point les meubles saisis, c'est le bail en vertu duquel la saisie a été faite, qui détermine la compétence. Il en serait autrement, si ces meubles étaient revendiqués par un tiers, comme on le verra plus loin. 68. 2o La saisie étant attributive de juridiction, le juge de paix compétent, pour statuer sur sa validité, est celui du lieu où elle a été faite. (Arg. des art. 608 et 825, C. P. ) C'est d'ailleurs ce qui résulte de l'art. 10 de la loi nouvelle.

69. 3° La saisie-gagerie peut être exercée, non-seulement sur les objets mobiliers qui existent dans la maison louée ou la ferme, mais aussi sur ceux qui en auraient été déplacés, sans le consentement du propriétaire. Si ces meubles sont en la possession d'un tiers, alors il faut agir par la voie de saisie-revendication. Dans le cas, au contraire, où les meubles, quoique déplacés, restent dans la possession du fermier ou locataire, ce n'est qu'une simple saisie-gagerie, lors même que le fermier ou locataire aurait enlevé les meubles de la maison qui lui avait été louée, pour les transporter dans une autre par lui acquise, ou qu'il aurait prise à bail : « Attendu, porte un arrêt de la Cour de Rennes, du

(1) Discours de présentation à la chambre des députés, séance du 6 janvier 1837.

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. 17 mars 1816, qu'il résulte du rapprochement des art. 819, 826 et 827 du Code de procédure, qu'il ne s'agit point, en ce cas, d'une saisie-revendication, mais bien d'une saisie› gagerie; qu'ainsi, le propriétaire d'une maison que le locataire a quittée, en emportant ses meubles dans une autre, est réputé les trouver en la possession de son débiteur, et peut se › borner à saisir-gager, sans exercer la saisie-revendication; ⚫ qu'il a fait tout ce qu'il devait, en se conformant à l'art. 819, › et en agissant dans le délai voulu par l'art. 2102 du Code civil, etc. (1). »

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Ce dernier considérant ne nous paraît pas exact, car le délai de 40 jours ou de quinzaine n'est fixé par l'art. 2102, que pour la revendication, sur un tiers, des meubles qui garnissaient la maison ou la ferme, et non lorsqu'ils restent, malgré le déplacement, dans la possession du débiteur. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il importe alors de signaler clairement les meubles saisis, afin d'éviter les contestations qu'un second propriétaire ou toute autre partie intéressée pourrait élever sur le point de savoir si les meubles qui se trouvent hors de la ferme, sont identiquement les mêmes que ceux qui ont été déplacés de la maison ou de la ferme appartenant au saisissant.

70. 4° On a vu que le privilége du propriétaire ayant un bail authentique ou d'une date certaine, avait lieu non-seulement pour les termes échus, mais pour tous ceux à échoir. La saisiegagerie peut-elle être exercée pour avoir paiement des termes non encore échus? La Cour de Bourges décide la négative, d'après les termes de l'art. 819 du Code de procédure, qui semblerait, en effet, n'accorder le droit de faire saisir-gager que pour loyers et fermages échus (2). Mais la décision, à ce qu'il nous semble, doit dépendre des circonstances. En thèse générale, la saisie-gagerie, pour des termes à échoir, peut être considérée comme vexatoire. Mais s'il était démontré que, par un dépla

(1) Cet arrêt et rapporté dans le Juge de paix, tom. 8, 4e livraison, pag. 89.

(2) Voyez dans le recueil de Dalloz, part. 2, pag. 88, l'arrêt du 16 décembre 1837.

cement frauduleux, le fermier cherche à soustraire peu à peu son mobilier aux poursuites du propriétaire, alors on ne voit pas pourquoi il serait interdit à celui-ci d'assurer, au moyen d'une saisie-gagerie, l'exercice de son privilège pour les termes à échoir. (Carré, lois de la procédure, no 2799.) Il en serait de même, si, comme je l'ai vu arriver, le fermier venait à quitter la ferme, après avoir vendu ses récoltes à un tiers. L'objet de la saisie-gagerie étant, comme on vient de le dire, de conserver le privilége du bailleur, il courrait le danger de perdre son gage, si, dans ces cas et autres semblables, il ne pouvait mettre, sous la main de la justice, les meubles et les fruits pendants, pour sûreté d'un terme non encore échu, mais qui est prêt à échoir.

71. 5° Plusieurs arrêts ont décidé aussi, qu'une saisie-gagerie ne pouvait être motivée sur des dommages-intérêts non liquidės, que le propriétaire prétendrait lui être dus, aux termes de l'article 2102, § 4, à raison de contraventions commises par le fermier pour ce qui concerne l'exécution du bail. On ne saurait adopter cette jurisprudence. La saisie-gagerie n'est qu'une mesure conservatoire que le bailleur a droit d'employer pour assurer l'exercice de son privilége. Dès l'instant donc que la loi applique ce privilége aux réparations locatives et à tout ce qui concerne l'exécution du bail, pourquoi le propriétaire ne pourrait-il pas saisir-gager pour cet objet, sauf à faire liquider la créance qui lui en résulte, sur la demande en validité de la saisie-gagerie?

72.6° Le propriétaire a sur les meubles des sous-fermiers le même privilége que sur ceux du locataire principal, dès l'instant qu'ils garnissent la maison. Cependant la mesure des droits du propriétaire ne se règle pas ici en vertu du bail principal; le locataire ne peut être poursuivi que jusqu'à concurrence de la sous-location; et il doit lui être donné main-levée de la saisie, s'il justifie qu'il a payé le locataire principal, sans que les paiements faits par anticipation puissent être opposés. L'article 1753 du Code regarde, comme ayant été fait par anticipation, tout paiement effectué contre les clauses du bail ou contre l'usage des lieux.

73. Venons aux formalités à observer pour procéder à la saisie et à la vente des objets saisis.

Tout propriétaire ou principal locataire, soit qu'il y ait bail,

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