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INTRODUCTION.

1. La loi du 24 août 1790 attribuait aux juges de paix la connaissance des injures verbales, rixes, et voies de fait, pour lesquelles les parties ne se seraient pas pourvues par la voie criminelle; cette compétence s'étendait, par conséquent, à toutes les injures publiques ou non publiques, à la diffamation de même qu'à l'injure simple, pourvu que l'expression injurieuse n'eût été proférée que verbalement; la réparation des injures par écrit restait seule dans le domaine des tribunaux ordinaires.

En reproduisant la disposition de la loi ancienne, notre article a étendu la compétence des juges de paix aux injures écrites, mais non point à la diffamation produite de cette manière; ils ne peuvent en connaître, comme d'après la loi de 1790, que lorsqu'elle est verbale; ce qui ne peut manquer de présenter des difficultés dans l'exécution, car il n'est pas toujours facile de saisir la nuance qui existe entre la simple injure et celle qui peut être qualifiée de diffamation.

De même que la loi ancienne, la loi nouvelle attribue aussi aux juges de paix la connaissance des actions civiles, pour rixes et voies de fait.

Enfin les injures et certaines voies de fait étant des délits ou des contraventions passibles de peines correctionnelles ou de simple police, notre article borne la compétence civile du juge de paix, au cas où les parties ne se seraient pas pourvues par la voie criminelle.

2. Cette disposition n'est que la conséquence des principes que nous avons développés, en traitant de la compétence des juges de paix en matière de police, savoir que tout délit ou contravention peut donner lieu à une double action, l'action publique tendant à la répression du delit, et l'action civile, qui ayant pour objet la réparation du dommage, peut être poursuivie par la personne lésée, devant les mêmes juges que l'action publique, ou devant les tribunaux civils.

Ici, c'est la justice de paix qui est compétente, pour eonnaître, au civil, des dommages-intérêts qui peuvent résulter,

soit des rixes et voies de fait, soit des injures écrites et de la diffamation verbale: mais si la personne lésée a pris la voie criminelle, elle ne peut plus saisir le juge de paix de la même action, comme juge civil. Electâ und vid, non datur recursus ad alteram.

Cependant il ne faut pas abuser de cette maxime; elle ne saurait être applicable que dans le cas où le tribunal de répression demeure saisi de la plainte; car si la partie civile y a renoncé, rien ne l'empêche alors de former son action devant la justice civile.

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• Lésé par un délit, dit M. Merlin, je puis poursuivre le ⚫ délinquant, ou par un simple exploit d'assignation devant le juge civil, ou par plainte devant le juge criminel, et si je prends la voie civile, celle de la plainte m'est fermée. Mais ⚫ comme il m'est permis de renoncer à mon propre avantage, » et que mon adversaire ne serait pas recevable à se plaindre ⚫ de ce que je n'use pas contre lui de toute la rigueur de mon droit, je peux, après avoir rendu plainte d'un délit qui m'a ⚫ causé du dommage, et avant qu'il y ait été statué, renoncer ⚫ à la voie criminelle et prendre la voie civile (1).

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C'est par suite de ce principe, que, sous l'empire de la loi de 1790, la Cour de cassation a décidé que le juge de paix était compétent pour connaître de l'action civile en réparation d'injure, dans une espèce où le demandeur ayant d'abord porté sa plainte devant le tribunal de police, ce tribunal s'était déclaré incompétent, et avait, ainsi que le juge d'appel, renvoyé le plaignant devant le tribunal correctionnel. Au lieu de suivre cette marche, il s'était pourvu devant le juge de paix comme juge civil; et la Cour a jugé, qu'en prenant la voie civile, il avait renoncé, par-là même, à la voie criminelle; le jugement qui avait décidé le contraire a été cassé (2).

En parlant de la voie criminelle, notre article, de même que la loi de 1790, a entendu désigner le cas où le demandeur se serait pourvu, soit devant le tribunal correctionnel, soit devant

(1) Questions de droit, vo Option, § 1, no 4.
(2) Arrêt du 21 novembre 1825, D., page 50 de 1826.

celui de simple police, qui sont les tribunaux de répression, en ce qui concerne les injures et les voies de fait.

Il est vrai que, d'après l'art. 5 de la loi du 8 octobre 1830, qui a remis en vigueur la disposition de l'art. 13 de la loi du 26 mai 1819, qu'avait abrogé celle du 25 mars 1822, c'est devant la Cour d'assises que doivent être poursuivis les outrages dont on se serait rendu coupable envers un fonctionnaire, soit par la voie de la presse, soit dans des lieux ou réunions publiques, mais cette attribution extraordinaire ne change point la nature du délit; les Cours d'assises sont seulement Chargées d'appliquer des peines correctionnelles, sur la déclaration du jury.

Terminons ce qui concerne la litispendance qui peut exister entre l'action civile et l'action criminelle, en observant que, si, malgré la renonciation de la partie lésée à la voie criminelle, le tribunal de répression restait saisi de l'action publique, alors le juge de paix, devant lequel serait portée l'action civile, devrait surseoir, jusqu'à ce qu'il eût été statué sur l'action publique, ainsi que le prescrit l'art. 3 du Code d'instruction criminelle. Le sursis doit être ordonné, lors même qu'il s'agit d'injures ou de simples voies de fait dont la répression, comme on va le voir, appartient au tribunal de simple police. Les fonctions exercées par le juge de paix comme juge de police, étant parfaitement distinctes de celles qu'il exerce comme juge civil, il ne peut les cumuler; saisi de l'action civile, il doit donc surseoir de statuer sur les dommages-intérêts, jusqu'à ce qu'il ait prononcé sur la plainte à lui déférée, comme juge criminel, par le ministère public.

Pour donner, à ce point important de la compétence des juges de paix, tous les développements qu'exige la matière, la discussion sera divisée en deux paragraphes.

Dans le premier, on examinera en quoi consistent la diffamation et les injures; et comme la juridiction du juge de paix, tenant le tribunal de police, est intimement liée avec la compétence civile qui lui est ici attribuée, nous préciserons quelle est, en matière d'injures, l'étendue des attributions de ce magistrat, soit comme juge civil, soit comme juge de police.

La même précision aura lieu pour ce qui concerne les rixes et voies de fait, qui seront l'objet du second paragraphe.

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De la diffamation et des injures.

5. Suivant la définition qu'en donne le Répertoire, l'injure, en général, est un outrage par paroles, ou par écrit, ou par voie de fait.

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L'outrage, par voie de fait, sera l'objet du paragraphe suivant, il ne s'agit ici que des injures par paroles ou par écrit. « Les injures, par paroles, se commettent, dit l'auteur, lorsqu'en présence de quelqu'un, ou en son absence, on tient contre lui des propos injurieux ; qu'on lui fait quelques » reproches outrageants; que l'on chante des chansons qui l'insultent, ou qu'on lui fait quelques menaces de lui faire » de la peine, soit en sa personne, ou en ses biens, ou en son » honneur (1).

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Les injures qui se commettent par écrit sont, lorsque l'on compose ou distribue des chansons et d'autres écrits ou li belles diffamatoires, contre quelqu'un.

› On peut mettre dans la même classe, les peintures inju>> rieuses, qui sont une autre manière de divulguer les faits > et, pour ainsi dire, de les écrire. Pline rapporte que le peintre Clexides ayant été peu favorablement reçu de la reine Stratonice, pour se venger d'elle, en partant de sa cour, y laissa un tableau dans lequel il la représentait couchée avec un pêcheur qu'elle était soupçonnée d'aimer : cette peinture était beaucoup plus offensante qu'un libelle qu'il aurait écrit contre » la reine. »

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4. La vie privée de l'homme doit être murée, disait un de nos

(1) Les menaces ne peuvent être rangées dans la classe des injures, à moins qu'elles ne soient accompagnées d'expressions outrageantes; car la menace peut n'avoir rien d'injurieux, et l'injure rien de menaçant. Aussi la menace n'est-elle point classée, par le Code pénal, au nombre des injures qui ne sont jamais qu'un délit, tandis que la menace est quelquefois regardée comme un crime (voy, les articles 305 et suiv., ainsi que l'art. 436).

profonds politiques. Dans tous les pays policés, la diffamation et l'injure doivent donc être sévèrement réprimées. Autrement l'injure deviendrait la source des plus graves excès; la vérité du fait ne peut même servir d'excuse à l'injuriant, car, s'il était permis de divulguer ce que l'on prétend savoir sur le compte d'autrui, ce prétexte donnerait lieu à des haines perpétuelles, à des discordes sans fin.

L'injure est plus ou moins grave, suivant la gravité des propos ou de l'écrit injurieux, suivant aussi le plus ou le moins de publicité que peut y avoir donné l'offenseur.

Le Code pénal (art. 367 et suiv) distingue trois sortes d'injures; la calomnie, qui consiste dans l'imputation d'un fait; les injures ou expressions outrageantes qui ne renferment l'imputation d'aucun fait précis, mais celle d'un vice déterminé ; enfin les propos injurieux qui ne renferment l'imputation, ni d'un fait précis, ni d'un vice déterminé, et ne sont que des invectives, des termes de mépris.

5. Mais la loi du 17 mai 1819, sur la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication, en donnant à ces délits une classification nouvelle, a parfaitement distingué la diffamation de l'injure.

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L'art. 13 porte: Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé, est une diffa

» mation.

> Toute expression outrageante, terme de mépris ou invec»tive qui ne renferme l'imputation d'aucun fait, est une injure. »

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Quoique placée dans une loi pénale, cette définition ne doit pas moins servir à fixer la compétence civile du juge de paix, attendu la distinction faite par notre article, de la diffamation dont le juge de paix ne peut connaître que lorsqu'elle est verbale, et des injures dont la connaissance lui est attribuée, qu'elles soient proférées verbalement, ou renfermées dans un écrit.

Avant de discuter ces deux points, il importe d'examiner, per transennam, quelle est, en matière d'injures, la compétence du juge de paix, tenant le tribunal de simple police.

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