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offres, & prit le parti que lui offrirent le Grand-Vicaire & le Docteur, d'aller fe loger dans le Grand-Vicariat qu'on leur abandonneroit.

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Avant de fortir de l'Eglife, elles dirent Vêpres toutes enfemble: enfuite s'étant mifes en marche de proceffion, comme elles avoient fait en arrivant, elles fe rendirent au Grand- Vicariat. Toute la ville accourut à ce fpectacle. On les regardoit en filence : quelquesuns même fe mettoient à genoux par refpe&t. Lorfqu'elles furent arrivées, des perfonnes charitables de la ville semprefferent de leur envoyer des lits, & de la vaiffelle; en forte que dès le jour même elles fe trouverent fournies de tout le néceflaire. On fit auffi préfent à la Mere de quelques fommes d'argent, qu'elle reçut en s'eftimant heureufe de recevoir quelque affiftance en qualité de pauvre. Elle penfa fur-lechamp à difpofer tout pour établir la clôture, & pour former des lieux réguliers, afin que fon petit troupeau ne fe dérangeât point. La chofe fut exécutée promptement. Mais elles n'y furent pas long-temps; car au bout de trois jours, le Parlement, à la equête de l'Abbé de Cîreaux, ayant

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donné un Arrêt pour renfermer de nouveau Madame d'Eftrées, le Prévôt de l'Ifle fut envoyé avec main - forte pour le faifir de l'Abbeffe, du Confeffeur, & de la Religieufe ancienne qui étoit de leur cabale. L'Abbeffe qui étoit fur fes gardes, fut avertie qu'on voyoit arriver du côté de Paris quelques compagnies : elle s'enfuit par une porte du jardin avec fon frere & les Gentilshommes de fa compagnie. La Religieufe qui l'avoit fait entrer fe cacha dans une armoire pleine de hardes: & le Confeffeur ayant fauté pardeffus les murs, alla fe réfugier chez les Jéfuites de Pontoife.

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L'Officier arriva à l'Abbaye fur les cinq heures du foir, efcorté de deux cents Archers. Ayant fait la vifite dans toute la maison fans rien trouver, laiffa cent Archers pour garder l'Abbaye, & s'en alla à Pontoife avec le refte. Il annonça à la Mere Angélique les ordres qu'il avoit, en lui difant avec politeffe que Sa Majefté defiroit qu'elle retournât à Maubuiffon & qu'elle reprît le gouvernement de la maison."

La Mere donna ordre fur-le-champ de fe difpofer à partir. On fe mit en marche. Il étoit cependant dix heures

du foir. Mais la nuit fut convertie en jour par la quantité de flambeaux qui fe raffemblerent de tous côtés de la ville pour voir la cérémonie. Tous les Eccléfiaftiques de la ville voulurent accompagner les Religieufes jufqu'à Maubuiffon. Elles marchoient fur deux lignes, accompagnées de deux haies d'Archers à cheval, qui marchoient à côté chacun un Hambeau à la main. Les Religieufes arriverent ainsi à l'Abbaye. Le lendemain la Religieuse, amie de Madame d'Eftrées, fut trouvée dans l'armoire aux hardes. Quelque temps après elle fut enlevée avec une autre Religieufe, & enfermée dans un autre Couvent. La Dame d'Eftrées fut découverte & renfermée de nouveau aux Filles-Pénitentes. La Mere Angélique alors demeura paifible dans Maubuiffon, & y continua fa fainte miflion pendant cinq ans.

Le 29 Décembre de cette année 1619, la Mere Angélique perdit fon pere, qui mourut à 61 ans. L'année d'après elle apprit avec fatisfaction l'arrivée des bulles de la Coadjutorerie de PortRoyal pour fa fœur Agnès. Il y avoit long-temps qu'elle follicitoit pour être déchargée de fon Abbaye; mais fa

famille ne jugea pas à propos de demander fa démillion, mais feulement une compagne de fes foins & de fes travaux. La Mere Agnès, auffi hunible & auffi détachée que fa four, apprit fon élévation avec douleur. La Mere Angélique fir un voyage à Port-Royal pour mettre fa fœur en poffeflion, &, elle la trouva auffi trifte qu'elle étoit joyeufe elle-même. Les cérémonies qui fe font dans l'inftallation font de faire toucher le livre des Regles à la perfonne, de lui faire fonner la cloche, de lui faire ouvrir les livres du chœur, &c. Quand la Mere Agnès ouvrit l'Antipho nier qui étoit fur le pupitre, l'Antienne qui fe préfenta à l'ouverture du livre, fut celle-ci : Voici les deux oliviers & les deux chandeliers qui luifent devant le Seigneur. La Mere Agnès faifit ces deux mots : duæ olive, & dit à la Mere Angélique avec joie : Nous ferons deux, ma fœur : pour lui donner à entendre qu'elle ne devoit pas penfer à quitter l'Abbaye, & qu'ellemême ne devoit que l'aider à porter un fardeau qu'elle croyoit être au deffus de fes forces.

Après cinq ans de travail à Maubuiflon, la Mere Angélique fe trouva

déchargée du foin de cette Abbaye, par la nomination que le Roi avoit faite d'une autre Al beffe en la place de Madame d'Eftrées. Elle réfolut d'aller retrouver fa chere Communauté de Port-Royal. Elle en obtint la permiffion de l'Abbé de Cîteaux; & en reçut auffi des obédiences pour neuf Religieufes qui avoient fait profession entre fes mains. Lorfqu'elle fut prête à partir, vingt-une Novices lui firent tant d'inftances pour avoir le bonheur de la fuivre, qu'elle ne put fe refufer à leurs empreffemens & à leurs larmes. Elle fe contenta d'en écrire à la Mere Agnès, qui confentir à les recevoir. Ces trente filles de Maubuiffon n'avoient à elles toutes que cinq cents livres de penfion viagere. La Mere Angélique les fit partir quelques jours. avant elle. Ces pauvres filles n'abor doient qu'en tremblant une maison qu'elles alloient, pour ainfi dire, af famer; mais elles y furent reçues avec NA une joie qui leur fit bien voin que la chanté de la Mere s'étoit auffi communiquée à toute la Communauté.

En 1620, M. d'Andilly avoit fait connoillar ce, avec M. Jean du Verger e Hauanne, Abbé de Saint-Cyran,

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