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acte solennel ou authentique. Et le testament serait nul, si c'était le second qu'il eût choisi! L'incapacité de celui-ci devancerait l'incapacité de celui-là! Non, cela n'est pas possible, parceque cela serait souverainement deraisonnable.

Disons donc que les incapacités établies tant par l'art. 3 de la loi du 28 fructidor an 7 que par l'art. 28 du Code pénal, ne commencent qu'au moment où s'exécutent les jugemens auxquels ils les attachent.

Disons, par conséquent, que si des lettres de Grâce viennent empêcher l'exécution de ces jugemens, il ne naît de ces jugemens aucune incapacité.

Et par une conséquence ultérieure, disons que le grâcié n'a aucun besoin, dans ce cas, de recourir aux lettres de réhabilitation.

III. Notre seconde question paraît, à la première vue, devoir être résolue autrement qu'elle ne l'est par l'avis cité.

En effet, les incapacités dont il s'agit, ne sont que l'accessoire, que l'effet d'une peine afflictive ou infamante. Or, il est de principe que l'anéantissement du principal emporte l'anéantissement de l'accessoire, et que l'anéantissement de la cause emporte l'anéantissement de l'effet cùm principalis causa non subsistit, nec ea quæ sequuntur locum habere debent, dit la loi 129, §. 1, D. de Regulis juris. Il semblerait donc que ces incapacités dussent cesser de plein droit dès le moment où est remise la peine qui les a produites.

Il n'y aurait effectivement aucune raison pour ne pas le décider ainsi, comme je le prouverai au no suivant, s'il s'agissait de lettres de Grâce qui abolissent, soit le jugement, soit le commencement d'exécution qu'il a reçu. Mais ce n'est point là l'objet de notre seconde question: elle ne porte que sur les lettres de Grâce pure et simple, c'est-à-dire, sur celles qui, en laissant subsister le jugement et le commencement d'exécution qu'il a reçu, se bornent à remettre au condamné ce qu'il lui reste à subir de sa peine. Bien certainement de pareilles lettres placent le condamné dans le même état que s'il avait subi sa peine entière. Or, s'il ne lui restait plus rien à subir de sa peine, s'il l'avait subie tout entière, serait-il, de plein droit, relevé des incapacités que sa condamnation lui a fait encourir? L'art. 633 du Code d'instruction criminelle décide nettement que non. Il en doit donc être de même des lettres de Grâce pure et simple qui ne font qu'abréger le temps de la peine, que le supposer entièrement rempli.

à

Inutile d'opposer à cette conséquence la règle de droit qui fait périr le principal avec l'accessoire et la cause avec l'effet. Quel est, l'égard du condamné qui n'a subi sa peine que partiellement, comme à l'égard du condamné qui l'a subie tout entière, le principal dont les incapacités écrites dans la loi du 27 fructidor an 7 et dans le Code pénal, sont l'accessoire? Quelle est, à l'égard de l'un comme à l'égard de l'autre, la cause dont ces incapacités sont l'effet? C'est l'exécution que la condamnation a reçue. Mais encore une fois, cette exécution n'est pas plus abolie par les lettres de Grâce pure et simple, qu'elle ne l'est par le laps du temps fixé par le jugement à la durée de la peine; elle survit donc aux lettres de Grâce pure et simple, comme à l'expiration de ce temps; et par conséqnent rien ne s'oppose à ce qu'elle continue, nonobstant les lettres de Gráce, comme elle continue nonobstant l'expiration de ce temps, de produire les incapacités qui en sont l'accessoire et

l'effet.

C'est ainsi, au surplus, que l'a jugé un arrêt tout récent de la cour de cassation.

Le nommé Jacquin, accusé, devant la cour d'assises du département du Jura, du crime d'homicide volontaire, avait fait assigner, comme témoin à décharge, un individu qui avait été précédemment condamné à une peine afflictive de laquelle il avait été relevé par des lettres de Grâce.

Ce témoin a comparu, mais le président de la cour d'assises, le considérant comme encore frappé des incapacités écrites dans l'art. 28 du Code penal, ne lui a pas fait prêter le serment prescrit, à peine de nullité, par l'art. 317 du Code d'instruction criminelle, et ne l'a en conséquence, admis à déposer, que pour donner de simples renseig

nemens.

Déclaré coupable par le jury, et condamné par la cour d'assises à la peine des travaux forcés à perpétuité, Jacquin s'est pourvu en cassation, et a soutenu que le témoin à décharge à qui il avait été refusé de prêter serment, ayant été libéré de sa peine par les lettres de Grâce qu'il avait obtenues, avait été, par cela seul, relevé de toutes les incapacités que sa condamnation lui avait fait encourir; et qu'ainsi, en refusant de l'admettre à la prestation du serment, le président de la cour d'assises avait contrevenu à l'art. 317 du Code d'instruction criminelle.

Mais par arrêt du 6 juillet 1827, au rapport de M. Ollivier, et sur les conclusions de M. l'avocat général Fréteau de Pény,

« Attendu que les lettres de Grâce qui ne

portent que la remise de la peine et ne contiennent pas la réintégration de l'individu grácié dans la jouissance de ses droits civils, ne delient pas celui à qui elles sont accordées, de l'incapacité de temoigner en justice qu'a encourue cet individu par sa condamnation....;

» La cour rejette le pourvoi.... (1) ».

L'avis des comités de législation, des finances et de la guerre, du conseil d'état, approuvé par le roi le 8 janvier 1823, n'est donc pas plus susceptible de critique dans la solution qu'il donne à notre seconde question, qu'il ne l'est dans la manière dont il répond à la première.

IV. Peut-on en dire autant de la réponse qu'il fait à la troisième, c'est à dire, à celle de savoir quelle serait, dans les lettres de Grace accordées après l'exécution du jugement, l'effet d'une clause qui releverait expressément le condamné des incapacités qu'il

a encourues?

Suivant les trois comités, les lettres de Grace accordées après l'exécution du jugement, NE PEUVENT contenir aucune clause qui dispense des formalités prescrites par le Code d'instruction criminelle pour la réhabilitation; ce qui signifie très-clairement que l'on doit regarder comme nulle et sans effet la clause qui, dans des lettres de Grâce accordées après l'exécution du jugement, réinté grerait expressément le condamné dans tous ses droits civils et, par là, le placerait dans le même état que s'il avait obtenu des lettres de réhabilitation.

Et comment justifient-ils cette décision? En disant que la prérogative royale ne s'é» tend pas jusqu'à dispenser les citoyens des » obligations qui leur sont imposées en vertu » des lois maintenues par la charte, et dont ils >> ne pourraient être relevés que par la puis»sance législative ».

Ce motif est un peu obscur par lui-même; mais la pensée qu'il exprime, est clairement développée par ceux qui, sur la question précédente, déterminent l'avis des trois comités. Ils consistent à dire

«Que l'art. 68 de la charte a maintenu les lois qui n'y sont pas contraires; que la nécessité de la réhabilitation imposée par le Code d'instruction criminelle au condamné pour qu'il soit relevé des incapacités légales encourues par l'exécution du jugement, n'a rien de contraire à l'art. 67 de la charte, qui

(1) Journal des audiences de la cour de cassation, année 1827, partie 2, page 442.

donne au roi le droit de faire Grâce et de commuer la peine;

» Qu'en effet, la Gráce et la réhabilitation different essentiellement, soit dans leur prin cipe, soit dans leurs effets ;

» Que la Gráce dérive de la clémence du roi; la réhabilitation, de sa justice;

» Que l'effet de la Gráce n'est pas d'abolir le jugement, mais seulement de faire cesser la peine;

» Qu'aux termes du Code d'instruction criminelle, le droit de réhabilitation ne commence qu'après que le condamné a subi sa peine;

» Que l'effet de la réhabilitation est de relever le condamne de toutes les incapacités, soit politiques, soit civiles, qu'il a encourues; » Que ces incapacités sont des garanties donnees par la loi, soit à la société, soit aux tiers, et que la Grâce accordée au condamné ne peut pas plus relever de ces incapacités que de toutes les autres dispositions du jugement qui auraient été rendues en faveur des tiers ».

Ainsi, suivant les trois comités, le droit de faire Grace est restreint au pouvoir de remettre la peine; et les lettres accordées en vertu de ce droit, ne peuvent jamais, quels qu'en soient les termes, équipoller à des lettres de réhabilitation.

Mais ce qui doit nous mettre singulièrement en garde contre cette doctrine, c'est qu'elle est formellement rejetée par la manière dont est motivé l'arrêt de la Cour de cassation, du 6 juillet 1827, qui est rapporté au no précédent. Reprenons d'ailleurs les choses de plus haut, et nous verrons bientot qu'elle ne repose que sur de fausses bases.

Sous l'ancienne monarchie, on entendait par le droit de faire Gráce, conformément aux lois romaines (1), non seulement celui de remettre la peine à laquelle un coupable était condamné, mais encore celui d'abolir son crime, de rendre comme non avenu le jugement de sa condamnation, et de le réintégrer dans tous ses honneurs, dans tous ses droits civils. C'est ce que font entendre clairement les nouveaux éditeurs de Denisart, au mot Gráce, no 2, lorsqu'ils disent : «< notre objet » n'est point de traiter ici de la forme des » différentes espèces de lettres de Grâce que » le roi accorde aux coupables, telles que les

(1) V. les lois citées dans les conclusions du 22 novembre 1810, rapportées dans le Répertoire de jurisprudence, aux mots Révision de procès, §. 3, art. 4.

» lettres d'abolition, de rémission, de pardon, » de commutation de peine » ; et c'est ce que prouve plus clairement encore la rubrique du tit. 16 de l'ordonnance criminelle de 1670, qui place sur la même ligne, comme des branches parallèles de l'exercice du droit de faire Gráce, les lettres d'abolition, rémission, pardon, pour ester à droit, rappel de ban ou de galères, commutation de peine et réhabili

tation.

De ces différentes manières de faire cesser les effets des condamnations à des peines afflic tives ou infamantes, le tit. 7 de la première partie du Code pénal du 25 septembre 1791 ne conserva que la réhabilitation; encore la plaça-t-il tout entière dans les attributions du pouvoir municipal et des tribunaux criminels; et il abolit expressément, art. 13, « l'u»sage de tous actes tendant à empêcher ou à > suspendre l'exercice de la justice crimi»nelle, l'usage des lettres de Grâce, de ré» mission, d'abolition, de pardon et de com» mutation de peine:

Mais l'art. 86 du sénatusconsulte du 14 thermidor an 10 fit un grand pas vers le retour aux anciens principes sur toute cette matière: sans toucher au droit de réhabilitation que le Code pénal de 1791 avait attribué aux municipalités et aux tribunaux, il rendit au chef du gouvernement le droit de faire Gráce.

Le Code penal de 1810 alla plus loin : en conservant au chef du gouvernement le droit de faire Grâce, comme le prouve l'art. 595, il lui réserva, par les art. 619 et suivans, le droit exclusif de réhabiliter, de l'avis des cours d'appel, les condamnés qui, ayant subi leur peine, donneraient, pendant cinq ans, des preuves non équivoques de résipiscence.

Tel était l'état des choses, lorsqu'arriva la restauration de 1814, et comme l'on voit, le chef du gouvernement était, à cette époque, investi à la fois, et du droit de faire Grace, et du droit de réhabiliter les condamnés à qui il ne restait plus rien à remettre de leur peine, parcequ'ils l'avaient entièrement subie.

Assurément en acquérant le second de ces droits par le Code pénal de 1810, le chef du gouvernement n'avait rien perdu du premier, et il l'avait conserve tel qu'il l'avait acquis par le sénatusconsulte du 14 thermidor an 10: c'était la conséquence nécessaire du principe enseigné par tous les jurisconsultes, et notamment par Brunnemann, sur la loi 4, C. de testamento militis, no 6, que privilegia nova non mutart ea quæ anteà in favorem personæ statuta erant; ou, comme le dit Voet, sur le Digeste, liv. 1, tit. 4, no 18, d'après la loi 2, C. de præpositis agentium in re

bus (à laquelle on peut ajouter la loi 3, C. de dignitatibus), non adeò in arctum coangustanda sunt per interpretationem privilegia, ut.... per posterius privilegium tolleretur prius; cùm potiùs in dubio ità posterius indultum accipiendum sit, ut prioris additamentum ac augmentum magis quàm ademptionem comprehendere intelligatur.

Or, qu'avait fait le sénatusconsulte du 14 thermidor an 10, en disant que le chef du gouvernement avait le droit de faire Gráce, et en le disant en termes généraux, sans exception ni réserve? Bien évidemment, il avait conféré au chef du gouvernement le droit de faire Grâce avec toute la latitude que ce droit avait sous l'ancienne monarchie; il ne l'avait donc pas restreint au pouvoir de remettre ou commuer les peines infligées par des jugemens déjà rendus.

Aussi le chef du gouvernement, quoiqu'il se fût fait une habitude d'user sobrement, comme il le devait, de cette grande prérogative, et que, presque toujours, il en bornât l'exercice à de simples remises ou commutations de peines, ne s'en regardait-il pas moins comme investi d'un pouvoir plus étendu, et comme possédant toute la plénitude du droit de faire Grace; et ce qui le prouve d'une manière sans réplique, c'est que, dans plusieurs occasions, il a exercé l'attribut le plus éminent de ce droit, celui d'amnistier les délits et les crimes, c'est-à-dire, d'ordonner qu'ils ne seraient pas poursuivis et que s'ils l'étaient actuellement, ils cesseraient de l'être.

C'est ainsi que, par l'art. 2 d'un décret du 25 mars `1810, il a ordonné que seraient mis en liberté tous les individus détenus pour délits forestiers, et que, quant aux affaires pour les mêmes délits sur lesquels les jugemens n'étaient pas rendus, les poursuites cesseraient aussi du jour de la publication du présent décret.

C'est ainsi que, par l'art. 8 du même décret, il a accordé amnistie à tous sous-officiers et soldats des troupes de terre et de mer et à tous gens de mer qui étaient en état de désertion, soit qu'ils eussent été condamnés ou non (1).

C'est ainsi que, par l'article premier d'un décret du 24 avril de la même année, il a déclaré que les français coupables du crime de port-d'armes contre leur patrie, obtiendraient une amnistie, en se conformant, avant le premier janvier 1811, à des conditions qui supposaient manifestement qu'ils n'étaient

(1) Bulletin des lois, 4e série, no 277.

pas encore arrêtés et encore moins condamnés à raison de ce crime; et qu'il a ensuite prorogé ce délai, par un premier décret du 9 décembre suivant, jusqu'au 1er juillet 1811; par un second décret du 15 juillet 1811, jusqu'au 1er septembre alors prochain; et par un troisième décret du 16 août de la même année, jusqu'au 1er janvier 1812 (1).

C'est ainsi que, par l'art. 1er d'un décret du 13 juin 1813, il a accordé « amnistie aux » officiers mariniers et marins faisant partie » des 4o, 5o et 17e équipages de flottilles, ou » employes à bord des bâtimens de l'État » dans les ports et rades: de la 32o division » militaire, qui seraient en état de déser» tion »; et que par l'art. 10 du même décret, il a ordonné que « les marins déserteurs » des corps et bâtimens ci-dessus, qui se» raient détenus et non jugés, seraient admis » à jouir de l'amnistie ».

Il résulte bien clairement de ces divers décrets qu'avant la restauration de 1814, le droit de faire Grâce emportait, pour le chef du gouvernement, celui d'aller au devant des condamnations.

Il en résulte par conséquent qu'il emportait aussi le droit d'abolir les condamnations elles-mêmes. lorsqu'elles étaient prononcées.

Et par conséquent encore il en résulte qu'il emportait également le droit de faire cesser, en laissant subsister les condamnations et en remettant seulement les peines qu'elles avaient infligées, les incapacités qui en avaient été l'accessoire.

On sent, en effet, que, si le droit de faire Gráce, n'eût été, dans le sens du senatusconsulte du 14 thermidor an 10, que le pouvoir de remettre et de commuer les peines, il n'aurait pas renfermé celui d'amnistier les délits et les crimes non encore suivis de condamnations; qu'il ne pouvait renfermer ce pouvoir, que parceque le sénatusconsulte l'avait conféré au chef du gouvernement dans toute sa plénitude; et que, dès lors, il n'y avait pas plus de prétexte pour en retrancher le pouvoir d'abolir les jugemens, ou seulement leurs accessoires, que pour en retrancher le pouvoir d'interdire et d'éteindre la simple poursuite des crimes et des délits.

Il est donc bien clair qu'avant la restauration de 1814, le concours, dans la personne du chef du gouvernement, du droit de réhabiliter, de l'avis de cours d'appel, les con

(1) Builetin des lois, 4e série, nos 180, 330, 379 et 387.

damnés qui avaient subi leur peine, avec le droit de faire Grâce, n'empêchait pas qu'en usant du second de ces droits, le chef da gouvernement ne l'exerçát avec toute la latitude qu'il tenait du sénatusconsulte du thermidor an 10, et par conséquent qu'il ne rendit aux condamnés qu'il graciait, tous leurs honneurs, tous leurs droits civils, sans qu'il fût besoin de recourir aux formalités de la réhabilitation.

La charte constitutionnelle du 4 juin 1814 a-t-elle changé quelque chose à cet état de la législation ? Non, et c'est une vérité facile à

saisir.

En effet, si l'art. 68 de cette loi fondamentale maintient implicitement le titre de la réhabilitation du Code d'instruction criminelle, l'art. 67 de la même loi renouvelle aussi, même expressément, la disposition du senatusconsulte du 15 thermidor an 10 qui con férait au chef du gouvernement le droit de faire Gráce. Ces deux articles placent donc'le roi, relativement au droit de faire Grâce et au droit de réhabiliter les condamnés, dans la même position que le sénatusconsulte du 14 thermidor an 10 et le Code d'instruction criminelle avaient placé l'ancien chef du gou vernement. Le roi peut donc exercer le droit de faire Grâce avec la même latitude que le chef de l'ancien gouvernement l'avait fait ou pu faire. Il peut donc, comme celui-ci, par le seul exercice de ce droit, non seulement remettre les peines déjà prononcées, mais encore empêcher qu'aucun jugement ne les prononce, mais encore abolir les jugemens qui les ont prononcées, mais encore, et à plus forte raison, éteindre, en laissant subsister ces jugemens, les incapacités qu'ils ont produites.

Et dans le fait, comment expliquerait-on, si le droit de faire Grâce n'était, d'après la charte, que le droit de remettre et de commuer des peines déjà prononcées, les ordonnances du roi des 11 juillet et 5 août 1814,3 et 17 décembre 1823, 28 et 29 mai 1825, qui, en amnistiant divers délits et crimes, en ont interdit la poursuite et le jugement (1)? On serait donc réduit à dire que ces ordonnances n'ont été que des empiétemens sur le pouvoir législatif. Mais le moyen de les considerer comme tels, lorsqu'on lit dans l'arrêt de la cour de cassation du 14 avril 1815, rapporté au mot Amnistie, §. 6, que le droit de faire

(2) Jurisprudence de la cour de cassation, partie 2, no 463. Bulletin des Lois, 7e série, nos 34, 642 et 645. Même Bulletin, 8e série, no 41, pages 400 et 401.

Gráce ou d'accorder amnistie, n'appartient qu'au roi? Assurément la cour de cassation n'a pas pu s'exprimer ainsi, sans décider que le droit d'accorder amnistie, c'est-à-dire, dans le véritable sens de ces mots, d'interdire ou d'éteindre la poursuite de certains crimes ou délits, est essentiellement compris dans le droit de faire Grâce. Or, encore une fois, dès que le droit de faire Grâce renferme celui d'accorder amnistie, il faut de toute nécessité qu'il renferme aussi le droit de faire cesser les incapacités qui résultent des condamnations.

Que deviennent, d'après cela, les motifs sur lesquels se sont fondés les comités de législation, des finances et de la guerre, du conseil d'état, pour décider, par leur avis du 21 décembre 1822, que l'on devrait regarder comme non écrite la clause par laquelle, dans des lettres de Grâce accordées après l'exécution du jugement, le roi réintégrerait le condamné dans tous ses droits civils?

Sans doute l'art. 67 de la charte qui réserve au roi le droit de faire Grâce, n'est pas contraire aux dispositions du Code d'instruction criminelle qui lui réserve également le droit de réhabiliter les condamnés d'après l'avis des cours royales; sans doute, le second de ces droits n'est pas paralysé par le pre mier; sans doute, ils existent tous deux à la fois; mais ils existent parallellement, et l'un n'est ni exclusif ni restrictif de l'autre.

Est-il vrai d'ailleurs que, comme l'avancent les trois comités, la Gráce et la réhabilitation DIFFERENT ESSENTIELLEMRNT dans leur principe et dans leurs effets?

Et d'abord, quel est le principe de la Grâce, quel est celui de la réhabilitation? C'est évidemment la clémence du roi. Elles ont donc le même principe; elles ne different donc pas essentiellement l'une de l'autre à cet égard.

Point du tout, disent les trois comités : si la Gráce dérive de la clémence du roi, il n'en est pas de même de la réhabilitation; celle-ci ne dérive que de sa justice.

Mais que faudrait-il pour que la réhabilitation fût, de la part du roi, non un acte de clémence, mais un acte de justice? Bien évidemment il faudrait que les lettres de réha bilitation ne fussent que l'homologation forcée de l'avis de la cour royale qui a estimé que la demande en réhabilitation pouvait être admise. Mais les art. 630 et 631 du Code d'instruction criminelle prouvent manifestement que le roi peut les refuser; et sans doute le refus peut en être motivé, non seulement sur le défaut de preuve que le demandeur TOME VII.

en réhabilitation ait rempli toutes les conditions nécessaires pour les obtenir, mais encore sur des considérations purement politiques qui présenteraient un inconvénient ou un danger quelconque à les lui accorder. Ce n'est donc pas précisément de la justice du roi que dérive la réhabilitation; car jamais la justice, en prenant ce mot dans son veritable sens, ne peut se refuser à une chose légitimement due, quels qu'en puissent être les inconvéniens. La réhabilitation a donc le même principe que la Grâce, c'est-à-dire, la clémence du roi; et ce qui fait bien voir que le Code d'instruction criminelle l'a ainsi entendu, c'est qu'il a expressément assujéti, art. 630, la concession des lettres de réhabilitation aux mêmes formalités que la concession des lettres de Grâce.

elle

En second lieu, quels sont les effets de la Grâce, quels sont ceux de la réhabilitation? Le plus souvent la Grâce ne remet que la peine et laisse subsister les incapacités ; la réhabilitation, au contraire, efface toujours les incapacités, et loin de remettre la peine, la suppose entièrement subie. Mais est-ce à dire pour cela qu'elles diffèrent essentiellement l'une de l'autre quant à leurs effets?. Est-ce à dire pour cela que la Grâce ne peut jamais avoir l'effet qu'a toujours la réhabilitation, de réintégrer le condamné dans tous ses droits civils? C'est demander en d'autres termes, si le droit de faire Grâce est essentiellement restreint au pouvoir de remettre la peine, et déjà nous avons démontré qu'il ne l'est pas.

Concluons donc qu'aucun principe ne serait violé, qu'aucune loi ne serait enfreinte, par l'insertion qui serait faite dans des lettres de Grâce accordées à un condamné qui a subi partiellement sa peine, d'une clause qui le réintégrerait dans tous ses droits civils.

V. Mais cette clause ne doit-elle pas toujours être sous-entendue dans les lettres de Grâce obtenues, soit par le condamné à une peine afflictive temporaire qu'il a entièrement subie, soit par le condamné à la dégradation civique?

Cette question (qui serait évidemment sans objet si l'on devait s'en tenir à l'avis que nous avons discuté dans le no précédent) paraît ne pouvoir être résolue dans ses deux branches que pour l'affirmative.

1o Que servirait-il à un condamné qui a subi toute sa peine, d'obtenir des lettres de Grâce, si, quoique pures et simples, elles ne le relevaient pas des incapacités, sous le poids desquelles il se trouve? Elles lui seraient

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