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veuves sans enfans, une autre exception conçue en ces termes : sans préjudice aux droits que chaque citoyen né ou à naître des mariages actuellement contractés, suivant la coutume du lieu dans lequel les biens sont situés, si la féodalité n'avait pas été détruite. Cette seconde exception tendait visiblement à faire jouir du bienfait de la representation en cette matière, les enfans non mariés avant l'époque de la publication de la loi, dans le cas où leurs pères et mères alors mariés, seraient venus à décéder avant ceux à qui il s'agirait de succéder. Mais elle a été écartée par un il n'y a lieu à délibérer.

» Un autre amendement très-analogue à celui-ci, a essuyé le même sort. Il avait pour objet de faire excepter du décret les successions de tous les propriétaires actuels; et, comme l'on voit, il ne faisait que rédiger avec beaucoup de simplicité, le système que les deux filles de Georges Levallois voudraient faire revivre sous les couleurs de la représentation.

» Ce système a donc été condamné d'avance par le decret du 15 mars 1790; et quoiqu'il ne l'ait été alors que pour les biens ci-devant féodaux ou sujets au partage noble, on n'en doit pas moins porter le même jugement à l'égard des autres biens, puisque les exceptions contenues dans le décret du 15 mars 1790, sont rappelées dans celui du 8 avril 1791, et sont conséquemment censées avoir été décrétées de nouveau le 8 avril 1791, dans le même esprit qu'elles l'avaient été le 15 mars 1790.

» Il est donc bien clair que les deux filles de Georges Levallois ne peuvent pas prétendre au partage par moitié de la succession

de Jean-Pierre Levallois.

» Mais ne peuvent-elles pas au moins demander que ce partage soit fait par tiers entre elles, leur oncle Jean, et leur tante non mariée? Ou, en d'autres termes, ne peuventelles pas repousser leurs cinq tantes, qui ayant été mariées avant 1790, semblent, àce titre, être exclues par la coutume de Normandie?

» Elles ne le peuvent pas, si l'on s'en tient à la lettre de l'art. 1 de la loi du 13 avril 1791, intervenue sur le décret du 8 du même mois. Par cet article, toute inégalité ci-devant résultante entre les héritiers ab intestat, des qualités d'aînés ou puínés, de la distinction des sexes OU DES EXCLUSIONS COUTUMIÈRES, soit en ligne directe, soit en ligne collatérale, est abolie. Il est évident, en effet, que c'était par une des exclusions coutumières proscrites par cet article, que les filles ma

riées en Normandie étaient regardées comme incapables de concourir au partage des successions avec leurs sœurs non mariées et leurs frères.

» Mais on prétend que la disposition de cet article a été modifiée par un décret négatif, c'est-à-dire, par le rejet que l'assemblée nationale a fait d'un article par lequel les comités de constitution et d'aliénation proposaient de déclarer que le mariage d'un des enfans, ni les dispositions contractuelles faites en le mariant, ne pourraient lui étre opposées pour l'exclure du partage égal établi par le présent décret, à la charge par lui de rapporter ce qui lui aura été donné ou payé lors de son mariage.

» Si le fait est vrai, c'est-à-dire, si cet article a réellement été rejeté par l'assemblée nationale, dans le dessein d'établir une disposition contraire, que doit-on en conclure? Rien autre chose, si ce n'est que l'intention de l'assemblée nationale était de maintenir les exclusions coutumières établies au préjudice des personnes qui se trouveraient mariées à l'époque de la publication de son décret. Mais cette intention, il ne suffit pas qu'elle ait été dans l'esprit des membres de l'assemblée nationale: pour qu'elle eût force de loi, et surtout pour qu'elle pût modifier une loi aussi formelle que l'est la disposition de l'art. 1, il faudrait qu'elle eût été rédigée en forme de décret positif, que ce décret eût été présenté à la sanction du roi, que le roi l'eût effectivement sanctionné, et que, devenu ainsi loi, il eût été publié avec toutes les formes légales et constitutionnelles.

» Or, rien de tout cela n'a été fait. La disposition de l'art. 1 a été sanctionnée et publiée dans toute sa pureté ; elle seule est donc obligatoire; et on ne peut pas chercher hors de la loi dont elle fait partie, un moyen de la corriger ou de la restreindre.

» Mais au surplus, est-il bien constant que l'assemblée nationale a eu l'intention, en écartant, par la question préalable, l'art. 21 du projet des comités, de conserver, à l'égard des filles normandes mariées avant la publication de la loi dont il s'agit, le régime d'après lequel les mâles et les filles non mariées les excluaient absolument?

» La preuve légale de cette intention ne pourrait exister que dans le procès-verbal de l'assemblée nationale elle-même, et il est impossible de l'y apercevoir.

» Nous y voyons bien qu'à la séance du 1er avril 1791, le rapporteur du projet des comités de constitution et d'aliénation, ayant fait lecture de l'art. 21 de ce projet, un

membre a demandé la question préalable sur l'article et le renvoi aux comités ; qu'après quelques débats, on a proposé de continuer la discussion au lendemain, (et que) cette proposition mise aux voix, a été adoptée.

» Nous y voyons bien encore qu'à la séance du lendemain 2 avril, la discussion de l'art. 21 du projet de décret des comités de constitution et d'aliénation, a été reprise; que plusieurs membres ayant parlé pour et contre les dispositions de cet article, on a demandé que la discussion fut fermée ; que l'assemblée fermé la discussion; que la question préalable a été invoquée; qu'elle a été mise aux voix, et que l'assemblée a décrété qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur l'art. 21.

a

» Mais que résulte-t-il de tout cela? Que l'assemblée nationale n'a pas cru devoir délibérer sur l'article proposé par les comités. Or, ne pas délibérer sur un article, déclarer même qu'il n'y a pas lieu d'en faire objet d'une délibération, ce n'est pas adopter une disposition contraire à cet article; c'est seulement déclarer qu'on ne décrétera pas ce qui est proposé : et, suivant les premières notions de la logique, de l'une à l'autre décision la distance est infinie.

» Rien d'ailleurs de plus équivoque, rien de plus incertain, que le sens dans lequel une assemblée délibérante déclare qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur une proposition; et l'expérience le prouve tous les jours. Une pareille déclaration peut être, et très-souvent est, en effet, motivée par des considérations diametralement opposées.

» Les uns veulent qu'il n'y ait pas lieu à délibérer, parcequ'ils blâment le fond de la proposition; les autres veulent la même chose, quoique la proposition leur plaise, mais ceux-ci parcequ'ils la trouvent intempestive, ceux-là parcequ'elle leur paraît inutile, soit que déjà elle soit renfermée dans d'autres propositions précédemment adoptées, soit que la chose soit trop simple pour avoir besoin d'une décision expresse.

» Dans ce concours de motifs possibles, quel est l'homme qui peut assigner au juste celui qui a prévalu?

» Or, dans le cas actuel, parmi ceux même des membres de l'assemblée nationale qui adoptaient au fond l'art. 21, tous ont dû le regarder comme inutile sous un rappport; quel ques uns ont pu, sous un autre rapport, le considérer également comme tel; et tous par conséquent ont eu des motifs justes ou apparens pour l'écarter par la question préalable.

» En effet, cet article, en déclarant que le mariage d'un des enfans ne pourrait lui être

opposé pour l'exclure du partage égal établi par le présent décret, ne disait rien de plus que l'art. 1, qui abolit indéfiniment les exclusions coutumieres, ni que l'art. 4 par lequel est ordonnée l'exécution de l'art. 1er dans toutes les successions qui s'ouvriront à l'avenir.

» Et quelques uns ont pu croire qu'en déclarant que les dispositions contractuelles faites en mariant un enfant, ne pourraient pas non plus lui être opposées, pour l'exclure du partage égal, le même article ne faisait que répéter explicitement ce que l'art. 4 de la loi dit implicitement, ou, en d'autres termes, ne maintenir les dispositions contractuelles qui blessent l'égalité ordonnée par l'art. 1er, qu'autant qu'elles sont en faveur des personnes mariées ; et que par conséquent il était censé abolir les renonciations coutractuelles dans les coutumes où ni le mariage ni la dotation n'emportaient pas exclusion de plein droit (1).

» Ainsi, la question préalable proposée contre l'art. 21 du projet des comités, a dû, ou du moins a pu être appuyée même par les partisans les plus chauds de la disposition qu'il présentait; et d'après cela, quelle conséquence peut-on tirer du décret qui a déclaré qu'il n'y avait pas lieu à délibérer?

>> Ce qui prouve, après tout, que c'est vraiment dans cet esprit qu'a été décrétée la question préalable invoquée contre l'art. 21 du projet, c'est qu'à la séance précédente, à celle du 1er avril 1791, la question préalable avait également écarté un amendement à l'art. 16 du projet (formant l'art. 4 de la loi), par lequel on proposait d'ajouter à ces mots, ou autres clauses qui ont été légitimement stipulées par contrat de mariage, ceux-ci : ou qui y sont suppléés de droit. On voit nettement que le but de cette addition était de faire maintenir les exclusions coutumieres, qui, sous l'ancien régime, étaient opérées par le seul fait du mariage ou de la dotation. Or, si l'assemblée nationale n'a pas voulu, le 1er avril, maintenir les exclusions coutu. mières prononcées par les anciennes lois contre les personnes mariées, comment aurait-elle pu avoir, le 2 avril, l'intention de leur laisser tout leur effet? On doit convenir du moins que la question préalable décrétée le 2 avril, n'est pas plus décisive que la question préalable décrétée le premier du même mois; et certainement c'est une raison sans

(1) C'est, en effet, ce qui a été soutenu depuis, mais condamné par la loi du 18 pluviôse an 5. V. le

no suivant.

réplique pour qu'on s'attache uniquement au texte de la loi, tel qu'il a été sanctionné, tel qu'il a été publié, tel, en un mot, qu'il est devenu loi ».

J'ignore ce qui a été jugé dans cette affaire; mais les principes établis dans ma réponse, ont été adoptés par un grand nombre de jugemens intérvenus sur des contestations sembla

bles; et j'ai appris notamment d'un magistrat aussi recommandable par sa rigide intégrité que par la profondeur de ses connaissances (M. Riolz), qui a siégé depuis 1791 jusqu'en 1804, dans la cour de cassation, qu'il y avait plusieurs fois vu juger que, nonobstant le décret de Il n'y a lieu à délibérer, du 2 avril les filles normandes mariées avant la révolution, devaient succéder par portions égales avec leurs frères et sœurs.

1791,

II. En est-il, à cet égard, de la coutume de Béarn, comme de celle de Normandie?

Voici de quelle manière je me suis expliqué sur cette question, à l'audience de la section des requêtes de la cour de cassation, du 24 brumaire an 9:

« La veuve Sus demande la cassation d'un

jugement du tribunal civil du département des Landes, du 26 germinal an 8, confirmatif de celui du département des Basses-Pyrénées, du 3 nivôse an 7, par lequel il est jugé qu'au moyen de la dot qui lui avait été constituée par son père en 1769, elle n'a plus rien à réclamer dans la succession de celui-ci, décédé le 3 juin 1793.

» Ce jugement est fondé, d'une part, sur l'art. 6 du for du Béarn, titre des Testamens et Successions, aux termes duquel les enfans aportionnés ou dotés par le père, soit entrevifs, soit par testament, ne peuvent plus rien demander à titre de supplément ou autre ment; de l'autre, sur ce que cet article, s'il en faut croire les juges de première instance et d'appel, n'a été abrogé par aucune loi antérieure à l'ouverture de la succession du père commun des parties.

» La demanderesse, en convenant qu'elle serait effectivement non-recevable à exiger le partage de l'hérédité de son père, si la coutume de Béarn eût encore été en vigueur le 3 juin 1793, soutient qu'antérieurement à cette époque, il était intervenu une loi expresse, celle du 8-13 avril 1791, d'après laquelle les biens du père commun devaient être partagés également entre son fils et ses deux filles; et c'est pour avoir violé cette loi, c'est surtout pour avoir méprisé l'interprétation que le législateur lui-même en a faite le 18 pluTOME VII.

viôse an 5, que le jugement du 26 germinal an 8 doit, suivant elle, être cassé.

» Ainsi, la question qui vous est soumise, se réduit à savoir si, à l'époque du décès du père commun des parties, c'était par la coutume de Béarn, ou par la loi du 8-13 avril 1791, que sa succession devait être régie.

» Et comme, d'une part, il est reconnu que la loi du 8-13 avril 1791 avait été publiée plus de deux ans avant le décès du père; que, de l'autre, il y est dit expressément, art 4, que sa disposition abrogative de toutes les inégalités de partages entre héritiers du même degré, aura son effet dans toutes les successions qui s'ouvriront après la publication de cette loi; il est clair que c'est par cette loi même que doit être réglé le partage des biens dont il s'agit, à moins qu'elle ne soit limitée ou modifiée par une exception qui ait conservé à la coutume de Béarn son ancien empire.

>> Cette exception existe-t-elle? Voilà le seul point à examiner. Si elle existe, le jugement du 26 germinal an 8 est inattaquable; si elle n'existe pas, ce jugement ne peut manquer d'être cassé.

>> Cette exception existerait incontestablement, si les choses étaient restées au point où la loi du 8-13 avril 1791 les avait placées; car l'art. 5 de cette loi maintenait l'ancien ordre de succéder en faveur des aînés qui se trouvaient alors mariés; et le frère de la demanderesse l'était depuis long-temps. Mais cet article a été abrogé par la loi du 4 janvier 1793. » Ainsi, à l'époque de l'ouverture de la succession, c'est-à-dire, quatre mois après la publication de cette dernière loi, le mariage du frère de la demanderesse n'a pas pu lui servir de titre pour exclure sa sœur du partage égal.

» Mais à défaut d'exception résultant du mariage du frère, le tribunal du département des Landes en a fait résulter une du mariage de la sœur avec constitution de dot; et c'est dans la loi même du 8-13 avril 1791, qu'il a prétendu la puiser.

» Voici comment il a raisonné à cet égard: La loi du 8-13 avril 1791 est intitulée, Loi relative aux successions ab intestat; elle ne peut donc être invoquée que dans les successions ab intestat, et par les héritiers ab intestat. Or, la veuve Sus a été dotée par son père en 1769; dès-lors, elle a perdu, aux termes de la coutume, tout droit à la succession de son père; elle n'était donc pas, au moment de l'ouverture de la succession, heritière de son père ab intestat; la loi du 8-13 avril 1791 ne lui est donc pas applicable. D'ailleurs cette loi maintient, art. 4, l'effet

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des renonciations contractuelles des enfans aux successions à venir de leurs pères et mères; or, la veuve Sus avait, en acceptant la dot qui lui avait été constituée en 1769, renoncé à la succession de son père : elle est donc exclue par la loi même qu'elle invoque.

» Tels sont les deux raisonnemens à l'aide desquels le jugement attaqué a fait sortir de la loi du 8-13 avril 1791, une exception à l'article de cette loi qui abolit, pour l'avenir, toutes les inégalités de partages et toutes les exclusions coutumieres.

» Nous commencerons par observer que le premier est bien mal à propos fondé sur l'intitulé de la loi du 8-13 avril 1791. Le tribunal des Landes a supposé que l'intitulé des lois était l'ouvrage du législateur; et c'est une étrange méprise. Depuis 1789, les lois ont été décrétées sans intitulé; et le titre que chacune d'elles porte, n'y a été mis que par le directeur de l'imprimerie nationale. Aussi voyonsnous que, malgré l'attention du ministre de la justice, chargé, par état, de surveiller toutes les opérations de cette imprimerie, il s'est souvent glissé, dans l'intitulé des lois, des inexactitudes assez choquantes.

» Et au surplus, il suffit de lire la loi du 8.13 avril 1791, pour voir que ce n'est pas seulement des successions ab intestat qu'elle s'occupe, puisqu'elle parle des contrats de mariage et des institutions d'héritier stipulées par ces sortes d'actes.

» Il est cependant vrai de dire, dans un sens, que la loi du 8-13 avril 1791 ne règle que les successions ab intestat; car elle ne dispose que pour le cas où l'homme n'aura pas disposé lui-même valablement; elle trace un ordre de succéder, mais elle laisse à chaque individu la liberté de l'intervertir par toutes les voies autorisées à cette époque. En un mot, elle appelle tous les héritiers ab intestat à un partage égal; mais, par cette seule expression ab intestat, elle manifeste son intention de faire cesser le partage égal, lorsque le propriétaire a disposé, soit par un testament ordinaire, soit par un testament irrévocable, c'est-à-dire, par une institution contractuelle.

» De là que résulte-t-il pour notre espèce? C'est que, si le père commun des parties a disposé légalement de sa succession d'une manière incompatible avec le partage égal ordonné par la loi, sa disposition doit avoir tout son effet.

» Mais le père a-t-il effectivement disposé de cette manière? Il n'aurait pu le faire que par institution contractuelle ou par testa

ment.

>> D'institution contractuelle, il n'en existe

point de sa part. Il avait, à la vérité, marie son fils avant 1789; mais il ne lui avait rien promis, rien assuré sur sa succession, par le contrat de mariage.

» Et quant au testament qu'il avait fait avant sa mort, il est devenu caduc par l'effet de la loi du 7 mars 1793, qui a défendu` toute espèce d'avantages, soit par testament, soit par donation entre-vifs, soit même par contrat de mariage, en ligne directe; car tout testament tombe nécessairement par l'incapacité de tester dont son auteur se trouve frappé au moment de son décès.

» Mais s'il n'existe, de la part du père, ni testament ni institution contractuelle qui déroge au partage égal ordonné par la loi du 8-13 avril 1791, quel serait donc l'acte par lequel il aurait disposé d'une manière incompatible avec l'exécution de cette loi?

» C'est, répond le tribunal des Landes, la dotation de sa fille. En dotant sa fille, le père l'a placée dans le cas prévu par l'article de la coutume de Béarn qui óte à la fille dotée toute espèce de droit ultérieur à la succession paternelle; il a par conséquent disposé de manière à ce qu'elle ne pût, par la suite, réclamer le partage égal.

» Mais en raisonnant ainsi, le tribunal des Landes fait dire au père ce qu'il n'a pas dit réellement. Le père a doté sa fille, et rien de plus. Si, par l'effet de cette dotation, la fille s'est trouvée exclue de sa succession, c'est la coutume et la coutume seule qui l'a voulu : le père n'a pas joint l'expression de sa volonté à celle de la coutume; il a laissé, il est vrai, agir la loi coutumière, mais il n'a pas agi luimême; or, en s'en rapportant, par son silence, à la loi coutumiere, il a su, il a dû savoir, que la loi coutumière était à la disposition du legislateur; il a su, il a dû savoir, qu'elle pouvait être modifiée, abrogée même, avant sa mort; et puisqu'il n'a rien fait pour prévenir ce cas, il est clair qu'il a voulu que, ce cas arrivant, sa fille fût rappelée à sa succession.

» Aussi la loi du 8-13 avril 1791 l'y a-t-elle rappelée en effet, nonobstant l'exclusion dont l'avait frappée la coutume du Béarn. C'est ce qui résulte évidemment de la combinaison des art. 1 et 4 de cette loi.

L'art. 1er abolit toute inégalité ci-devant résultante entre héritiers ab intestat, des qualités d'aînés ou puínés, de la distinction des sexes ou des EXCLUSIONS COUTUMIÈRES; il ordonne que, sans y avoir égard à l'avenir, le partage égal aura lieu indistinctement; et l'art. 4 veut que cette disposition ait son effet dans toutes les successions qui s'ouvriront après la publication de la loi.

» C'est dire bien clairement que les exclu

sions coutumières dont se trouve aujourd'hui frappée une certaine classe d'héritiers ab intestat, ne pourront pas empêcher le partage égal dans les successions qui s'ouvriront à l'avenir; c'est dire par conséquent que les exclusions coutumières précédemment encourues par cette classe d'héritiers, seront sans effet dans ces successions.

» Et qu'entendait-on, dans l'ancien droit par exclusions coutumières ? Rien autre chose si ce n'est les dispositions des coutumes qui faisaient résulter, soit du mariage seulement, soit de la dotation des filles, un titre d'incapacité à succéder au père qui les avait mariées ou dotées.

» Ouvrez tous les auteurs qui ont parlé des exclusions coutumières, tels que Lebrun, dans son Traité des successions, Rousseaud de Lacombe, dans sa Jurisprudence civile, le président Bouhier, dans ses Observations sur la coutume de Bourgogne, vous n'y trouverez pas d'autre sens attaché à ces mots;

» Et cela seul suffirait pour prouver à nos yeux, quand même nous n'aurions pas été à portée d'en acquérir personnellement la conviction intime, que c'est aussi dans ce sens, dans ce seul et unique sens, qu'ils ont été employés dans la rédaction de la loi du 8-13 avril 1791.

» L'art. 1er de la loi du 8-13 avril 1791 a donc dit, en termes équipollens, que les dispositions des coutumes qui excluaient les filles de la succession de leur père, par cela seul qu'elles avaient été mariées ou dotées, cesseraient d'avoir lieu à l'avenir; mais l'art. 4 a fait plus : dans la crainte qu'on ne cherchât à restreindre cette disposition aux filles qui seraient dorénavant mariées ou dotées, il l'a expressément déclarée commune aux filles mariées ou dotées avant la publication de la loi; et c'est ce qu'il a exprimé par ces termes : les dispositions de l'art. 1 auront leur effet dans toutes les successions qui s'ouvriront après la publication du présent décret.

» Nous ne craignons pas de le dire, ou l'évidence n'est qu'un mot vide de sens, ou il est démontré jusqu'à l'évidence même, que la loi du 8-13 avril 1791 a voulu rappeler à partage, et, qui plus est, à partage égal, les filles qui précédemment avaient été mariées ou dotées, dans les coutumes qui faisaient, de leur mariage ou de leur dotation, un titre d'exclusion du surplus de la succession de leurs parens.

» Et combien cette vérité devient - elle encore plus irrefragable, lorsque de la loi du S-13 avril 1791, on descend jusqu'à celle du 18 pluviose an 5! Lorsqu'on y lit, que l'art. 4 du décret du 8 avril 1791, relatif à

l'abolition des exclusions coutumières, por tant que les dispositions de l'art. 1 auront leur effet en faveur des filles ou de leurs descendans dans toutes les successions qui s'ouvriront après la publication du présent décret, est applicable aux filles ci-devant exclues par les statuts locaux, quoiqu'elles fussent mariées avant ce décret, et qu'elles eussent fait une renonciation surérogatoire! » Quoi! si le père de la veuve Sus lui avait fait déclarer expressément, par son contrat de mariage, qu'au moyen de la dot qu'elle recevait de lui, elle ne pourrait plus rien prétendre à sa succession, la loi ne l'en rappellerait pas moins à la succession de son père; et l'on voudrait qu'elle en demeurât exclue, quoiqu'elle n'y ait pas renoncé, quoique son père n'ait rien dit, rien stipulé, pour l'en exclure lui-même, quoique tout soit resté à son égard dans les termes de la coutume, quoique enfin la loi déclare formellement que la disposition de l'art. 4 du décret du 8 avril 1791 est applicable aux filles mariées auparavant, dans les coutumes où leur mariage était un titre d'exclusion!

» Et voilà cependant ce qu'a jugé le tribunal des Landes, en confirmant le jugement du tribunal des Basses-Pyrénées.

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Déjà nous avons pulvérisé son premier motif; voyons si le deuxième est mieux fondé. » Vous vous rappelez en quoi consiste ce second motif. L'art. 4 de la loi du 8 avril 1791 conserve l'effet des renonciations contractuelles; or, la veuve Sus avait, en acceptant la dot qui lui avait été constituée en 1769, renoncé contractuellement à la succession de son père; la veuve Sus est donc exclue par la loi du 8 avril 1791 elle-même.

» Ainsi a raisonné le tribunal des Landes, et comme vous le voyez, son raisonnement est déjà détruit par ce que nous venons de dire.

» Mais le tribunal des Landes l'a entouré de plusieurs argumens accessoires, qui exigent quelques détails.

» La seconde partie de l'art. 4 de la loi du 8-13 avril 1791, dit ce tribunal, déclare expressément qu'il n'est point préjudicié par la première, aux institutions contractuelles ou autres clauses qui ont été légitimement slipulées, soit par contrat de mariage, soit par articles de mariage, dans les pays où ils avaient force de contrat, lesquelles seront exécutées conformément aux anciennes lois. » Ainsi, loin d'altérer les clauses qui avaient été légitimement stipulées dans les contrats de mariage, cette loi conservait toute leur autorité; et ce qui manifeste bien, à cet égard, l'intention de l'assemblée constituante,

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