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LES FORÊTS PYRÉNÉENNES

ÉVOLUTION A TRAVERS LES AGES. ÉTAT ET RENDEMENT ACTUELS. AVENIR ÉCONOMIQUE

Tel est le titre d'un bel et instructif ouvrage de 192 pages grand in-8 que vient de m'adresser mon excellent camarade, M. Campagne, avec prière d'en rendre compte aux lecteurs de la Revue.

L'auteur est bien connu du public forestier. Déjà dans « la Vallée de Barèges et le Reboisement », où il décrivait les funestes effets du déboisement, il s'était révélé écrivain précis et vigoureux, autant qu'observateur perspicace et averti. Ces qualités maîtresses se retrouvent à un degré plus élevé encore dans ce nouvel ouvrage édité par la maison Laveur et où il a mis tout son cœur de forestier pyrénéen.

Au premier tableau brossé en noir, il en oppose un second qui ne comporte plus que des horizons bleus. Pourquoi faut-il que je le lise, ce livre qui chante l'espoir, par un temps gris et froid, dans un pauvre village de l'Oisans où tout est sombre, depuis le ciel livide jusqu'à la roche granitique qui se dresse si haute et si nue, jusqu'aux schistes du lias décapés, éventrés et dont les boues charriées par les eaux sauvages font de l'écumante et grondeuse Romanche comme une rivière sortie des Enfers? Saurais-je m'extérioriser suffisamment de ce milieu dantesque pour dire tout ce qu'il y a de réconfort et de talent dans l'œuvre de M. Campagne qui non seulement veut instruire, mais qui, visiblement, désire également persuader et convaincre. Sous sa plume facile et élégante, les chiffres perdent de leur aridité, les chartes ouvrent sans difficulté l'écrin de leurs richesses ignorées, et l'hosannah forestier monte, monte comme un chant très doux d'église, comme une fumée d'encens.

Je vais essayer de noter brièvement quelques strophes de ce chant mélodieux et de retenir quelques particules de cet encens si bon à respirer. Nous sommes dans les Pyrénées, c'est-à-dire dans un monde à part, célèbre par la beauté de son ciel, le charme de son climat et les opposi

1. Par A. Campagne, Inspecteur des Eaux et Forêts, lauréat de la Société nationale d'Agriculture. Un volume in-8 raisin de xu-192 pages, avec une carte. Broché, 5 fr. Paris, Lucien Laveur, éditeur.

(51 ANNÉE).- 1er NOVEMBRE 1912.

X. 41

tions pittoresques dues à son relief tourmenté. C'est plaisir que de suivre l'auteur qui nous promène, des plaines brûlées où les vents se chargent du parfum des plantes méridionales et où fleurit l'arbre cher à Mignon, aux basses et hautes montagnes alternativement peuplées de chêne, de hêtre, de pin sylvestre, de pin de montagne et de sapin. Notons cependant que la véritable forêt-type pyrénéenne est une forêt montagnarde de hêtre et de sapin, d'où sont bannis l'épicéa et le mélèze, et qui forme une large bande orientée est-ouest, comme la chaîne ellemême, depuis Quillan, dans l'Aude, jusqu'à Saint-Jean-Pied-de-Port, dans les Basses-Pyrénées.

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Mais si c'est là véritablement le drap qui couvre la montagne pyrénéenne d'un opulent manteau entre 1.000 et 2.300 mètres d'altitude, il convient de remarquer combien est large l'ourlet qui borde l'étoffe ; malheureusement la trame a beaucoup perdu de sa compacité. A cette zone élevée succède d'abord une zone moyenne (500 à 1.000 mètres) où le hêtre règne en despote, temporairement j'aime à le croire, puis une zone basse (200 à 500 mètres), qui est la région des gaves et des chênes, puis enfin une zone infra-pyrénéenne (200 mètres et au-dessous), où les chênes, les hêtres et les châtaigniers des climats tempérés voisinent avec le chêne vert et le pin maritime, hôtes des climats plus doux.

Ce serait singulièrement s'illusionner que de croire à la permanence dans le temps du type des forêts actuelles. Celles-ci ont évolué à travers les âges sous l'influence de l'homme et de ses troupeaux, aussi n'avons-nous sous les yeux qu'une image très affaiblie des peuplements primitifs. C'est ce que démontre admirablement M. Campagne dans la seconde partie de son ouvrage, tout entière consacrée à l'histoire des forêts pyrénéennes. Il est évident que la limite supérieure de la végétation forestière, qui ne dépasse guère 2.100 mètres pour le sapin, 1.900 mètres pour le hêtre et 2.300 mètres pour le pin de montagne, s'est considérablement abaissée. Et il serait curieux de savoir si, comme dans les Alpes du Dauphiné, la forêt poussait naguère ses sentinelles avancées jusqu'à 2.700 mètres d'altitude. Mes courses de cette année mettent ce fait hors de doute pour l'Oisans. Ainsi l'attestent des souches trouvées in situ. Ce qui tend à prouver que l'observation est commune aux Pyrénées et aux Alpes, c'est la remarque très juste de M. Campagne au sujet du pin de montagne dont l'extension serait relativement récente et dont la présence trahirait l'existence de forêts ruinées. Il en est ainsi pour le pin sylvestre dans toutes les Alpes du Dauphiné.

Les données de la préhistoire, représentées par des dessins grossiers, soulèvent un peu le voile du passé et nous font assister à une curieuse

résurrection de la faune et de la flore locales. A cette époque lointaine, la sapinière pyrénéenne était beaucoup plus étendue que de nos jours. Ne nous étonnons donc pas outre mesure de voir le sapin, respecté et protégé, s'efforcer maintenant de reconquérir son ancien domaine. La progression actuelle du sapin est principalement le fruit d'une culture forestière en progrès. Les longues révolutions de taillis, les martelages généreux, la suppression ou la diminution du pâturage y contribuent activement. Les faits sont très apparents dans le Beaujolais et le Lyonnais, où tant de foyers presque éteints se sont rallumés depuis peu.

Ni les hommes primitifs, ni même les Romains, friands du glaive, ne firent de profondes trouées dans la forêt obscure. Sans doute le refoulement dans la montagne des populations autochtones contribua pour un peu à étendre le régime pastoral dans les hauteurs ; mais l'espace était trop considérable pour qu'une population encore clairsemée ait pu étendre ses déprédations.

Dans les Pyrénées comme dans les Alpes, la déforestation commence réellement au moyen-âge. Elle ne s'arrêtera plus. Il s'est détruit davantage de forêts durant les xire et xe siècles que dans les onze siècles qui précèdent. Il faut aux seigneurs des hommes pour défendre leurs châteaux et étendre leurs conquêtes, de l'or pour entretenir leur faste et leur luxe. D'où la multiplication des chartes et des droits d'usage qui attirent, retiennent, attachent au sol que leur sueur féconde une population flottante et tourmentée par les soucis sans cesse renaissants de l'existence. Le cens, la taille, la dîme, la corvée sont les rançons coutumières de ces libéralités intéressées. L'exemple des seigneurs est imité par le clergé séculier et par les divers ordres religieux auxquels sont faites de vastes donations. La forêt fond sous la hache des émigrants et devant le feu des pasteurs. En telle commune reculée de l'Oisans, les archives patiemment interrogées livrent encore la date précise des incendies qui ont anéanti d'immenses forêts de mélèze. Dans l'histoire des forêts pyrénéennes, si magnifiquement écrite par M. Campagne, se reflète celle des forêts alpestres.

A toutes ces causes de destruction vinrent encore s'ajouter un peu plus tard les guerres fratricides de religion. Refoulés dans les vallées les plus sauvages, les vaincus, avec une héroïque constance, reconstituaient le foyer détruit au sein des forêts qui étaient leur protection et leur sauvegarde.

Gardiennes des marches frontières et pour cela traitées avec égard par les souverains qui avaient besoin de leurs bras pour repousser les incursions de voisins gênants, ou victimes de luttes intestines qui leur

avaient appris à ne compter que sur elles-mêmes, les populations de la haute montagne ont sucé un lait d'indépendance qui a rendu vaines toutes les tentatives de réglementation essayées dans les temps modernes, depuis Louis XI jusqu'à Louis XIV et Colbert. Le grand commissaire réformateur de Froidour fut lui-même impuissant à réprimer les abus criants qu'il avait constatés. Aussi, les forêts pyrénéennes continuèrent à décliner sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI. A la veille de la Révolution, la plupart des forêts communales des Pyrénées sont de nouveau livrées au pillage. Seules, les forêts des ecclésiastiques et des gens de mainmorte se maintiennent dans un état de conservation relative.

Vint alors la grande secousse révolutionnaire. La police des forêts, abandonnée aux municipalités, cessa brusquement d'exister. Aucun frein n'est plus apporté au désordre et au pillage. En vain l'ingénieur Lomet constate-t-il l'épuisement des forêts pyrénéennes. Ni la Convention, ni le Directoire n'apportent de remède au mal qui s'étend comme une lèpre. Ce remède, c'est la Loi du 16 nivôse an IX qui le donne enfin avec l'Administration forestière actuelle, à la tête de laquelle est placé un homme énergique et de grand talent, Dralet.

Le conservateur de la 13° se met immédiatement à l'œuvre. Il revise les titres de propriété et d'usage, raffermit le domaine chancelant de l'Etat, réprime les délits, réglemente un pâturage effréné, aménage les grands massifs selon les vues de l'époque et prépare le repeuplement de leurs vides et leurs clairières. Grâce à ces mesures de préservation, la France peut encore, aux heures critiques, tirer des forêts pyrénéennes les bois nécessaires à la défense nationale. L'industrie se réveille, elle aussi, et avec elle se rallument les forges à la Catalane, qui ont tôt fait de volatiliser les taillis particuliers de chêne et de hêtre de la région.

L'épreuve forestière n'est cependant pas encore terminée. Les économistes du XVIe siècle ont jeté le discrédit sur la forêt. De 1790 à 1820, on défriche sans trêve ni merci ; en haut, en bas, la sylve tombe, remplacée par des garrigues et des touyas. Les populations de la région basse souffrent du manque de combustibles ligneux.

Si dix-neuf siècles d'abus n'ont pas détruit les forêts pyrénéennes, ils en ont du moins considérablement réduit l'étendue et la richesse. Voyons ce que nos aînés et nous-mêmes, armés du Code de 1827, avons fait pour la chose publique sans bruit, sans vaine gloriole, le plus souvent par douceur et par persuasion, mais quelquefois aussi par force et en vertu de la loi.

C'est d'abord l'extinction de la question irritante des droits d'usage,

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