Page images
PDF
EPUB

on doit respecter la liberté des esprits et la liberté chrétienne.

Un général despotique ou monarchique, si l'on veut, n'est nullement comparable aux généraux des ordres où il y a des délibérations et des assemblées capitulaires : l'obéissance des autres religieux n'a rien de commun avec l'obéissance que doivent les Jésuites à leur général. Le secret des constitutions et de l'administration, n'a pas évidemment les mêmes dangers; les révélations et les délations n'y sont point de précepte et d'usage. L'espionnage n'y est pas également en honneur.

Cependant, à l'abri de quelques déclamations, on se flatte d'insinuer que des comparaisons qui ne sont qu'artificieuses, sont des ressemblances parfaites, des identités. On hasarde une définition métaphysique d'un être moral (c'est la société): de cette définition de nom, comme si c'était un axiome de géométrie ou une définition de chose, on déduit des corollaires par lesquels on prétend éblouir.

Les assemblées capitulaires seraient, dit-on, nuisibles chez les Jésuites, par rapport à l'administration du temporel de la société. Elles seraient nuisibles par rapport à la nomination des supérieurs. L'uniformité de doctrine est indispensable pour obvier aux innovations, et empêcher les nouveaux systèmes. On ajoute que la monarchie du général est nécessaire

pour

le bien de la société, pour la sûreté et l'exécution des vœux ; et que cette prérogative du général n'a indisposé que par une secrète opposition au gouvernement monarchique même.

Je ne répéterai point ce que cet anonyme a l'audace de dire et d'imprimer sur cette dernière imputation: aveugle qui ne voit pas, Ou qui feint de ne pas voir que c'est par amour pour le vrai monarque, que des sujets fidèles repoussent un usurpateur étranger; que c'est par attachement pour le gouvernement monarchique français, qui est fondé sur l'amour réciproque des sujets et du maître, qu'on fait tous ses efforts pour empêcher que sa monarchie ne soit partagée et démembrée par un moine.

C'est un grand crime que de chercher à rendre suspect au roi le moindre de ses sujets; c'est un crime atroce, que de chercher à lui rendre suspects tous les corps de la magistrature!

Eh, qu'importe à l'état que le temporel d'un ordre religieux soit plus ou moins bien administré, pourvu que les contrats soient assurés, que les créances soient établies, et que les dettes soient acquittées? Qu'importe à l'état qu'il y ait des brigues et des cabales pour obtenir des supériorités monastiques, ou qu'on les obtienne par flatterie, espionnage et dé

lation; que le crédit et les protections sécu¬ lières disposent d'une place de général, ou que ce soit le fanatisme qui en décide? Qu'importe à l'état la forme des voeux des Jésuites, pourvu que la société civile et les familles aient des assurances fixes et stables.des engagemens contractés ? Qu'importe quelle opinion théologique soutiennent des religieux, pourvu 'ils n'enseignent pas des sentimens contraires à la foi de l'église, et préjudiciables à l'état; pourvu qu'ils n'excitent pas des guerres intes

qu

tines pour des opinions?

Je ne considère l'institut, le régime, les constitutions des Jésuites et de tous les autres ordres, que par rapport au bien et à la sûreté des états, à l'ordre et à l'enseignement public. S'ils étaient tous concentrés dans leurs cloîtres; s'intéressant peu pour le public, le public s'intéresserait peu pour eux. Ce seraient des reclus peu utiles dans le monde, qu'on ne distinguerait que par une police et une discipline monastique plus ou moins régulière, plus ou moins utile à l'ordre, c'est-à-dire, à une famille peu considérable de l'état, que l'état ferait rentrer dans les bornes du devoir, si elle s'en écartait. Mais dès qu'un ordre religieux sort de son cloître pour entreprendre le gouvernement des familles, la direction des consciences, pour se charger de l'enseignement public; quand on le voit tendre manifeste

ment à la domination, l'état doit y donner une attention particulière.

Il importe au monarque qu'il n'y ait pas chez lui une monarchie étrangère; il importe à la nation que ce ne soient pas des moines qui gouvernent l'état et l'église. Il lui importe de ne pas nourrir l'inquisition dans son sein; d'avoir une bonne institution qui dépende de l'état, et de citoyens de l'état, non d'un ultramontain, fauteur de l'inquisition, et prévenu de sentimens contraires au bien et aux lois du royaume. Il importe à l'état et à la religion, que les institutions de Jésus-Christ soient plus respectées que celles des hommes; qu'il y ait des ministres de la religion instruits; qu'ils soient suffisamment dotés; qu'ils soient citoyens; qu'ils apprennent sous les ordres de leurs évêques la manière d'instruire, l'administration des sacremens, la conduite des âmes; que les fidèles soient attachés à leurs pasteurs, et qu'ils reçoivent ordinairement les instructions dans les lieux où ils ont été faits chrétiens, afin que, comme dit saint Cyprien, l'église composée de l'évêque, du clergé et de tous les fidèles, soit un peuple uni à son évêque, un seul troupeau attaché à son pasteur: plebs sacerdoti adunata, et pastori suo grex adherens. Il importe aux nations que le fanatisme soit, s'il se peut, déraciné de l'univers; qu'il n'y ait pas dans le centre de la religion

un prétendu monarque moine, dont la domination s'étend en tous lieux par les principes dépravés qu'il peut inspirer, et que vingt mille de ses sujets s'efforcent et se flattent de sanctifier par la religion; et, pour me servir d'une comparaison attribuée à un prélat respectable, il importe qu'il n'y ait pas, dans un cabinet impénétrable, un instrument à plusieurs touches, dont un maître intéressé puisse, par des ressorts sacrés et invisibles, faire retentir le son aux deux bouts de l'univers.

Voilà quels sont les intérêts de la religion et de l'état, les intérêts des nations et de l'humanité entière.

Les Jésuites, frappés eux-mêmes de l'abus des bulles et de l'énormité de leurs priviléges, disent qu'ils ont renoncé à en faire usage; qu'ils l'ont fait dès 1561, par un acte déposé au parlement de Paris; qu'ayant accepté leur retour en France en 1603, conformément à l'édit de Henri IV, c'est une renonciation formelle et une preuve sans réplique qu'ils se regardent comme soumis aux lois du royaume : ces allégations ne méritent pas une grande discus

sion.

Je leur dirai d'abord, que suivant les principes de tous les canonistes étrangers, et même de plusieurs canonistes français, qui se sont appuyés sur une multitude de textes du droit canonique, les particuliers ecclésiastiques ne peuvent

« PreviousContinue »