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gouvernements étaient donc loin de s'entendre sur la démarcation des limites.

Ils ne s'entendirent pas mieux sur la question du Luxembourg. Sans persister à revendiquer cette province, le plénipotentiaire belge offrit de la racheter sur le pied d'une loi du 26 mai 1826, qui avait prévu la cession éventuelle de la souveraineté et de la propriété du grand-duché mais les plénipotentiaires hollandais rejetèrent cette offre en déclarant que « le roi ne se

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prêterait à une cession dans le Luxembourg qu'en échange de complètes indemnités territoriales (1); » et, dans le fait, il n'appartenait à personne de l'exproprier à prix d'argent. La conférence déclara donc, par un protocole du 26 septembre (2), qu'« elle se trouvait obligée de puiser, dans les informations qu'elle pos« sédait maintenant, les moyens d'arrêter une série d'articles qui pourraient servir de base à un traité définitif, et satisfaire à l'équité, aux intérêts des deux pays et à ceux de l'Europe; elle déclara, en d'autres termes, qu'elle trancherait elle-même les questions pendantes; et c'est ce qu'elle fit en arrêtant, le 14 octobre, un traité qu'elle imposa à la Belgique et à la Hollande, et qui se composait de 24 articles (3).

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Quoique le Luxembourg eût appartenu pendant des siècles aux provinces belges, et qu'il fût même, sous l'ancien régime, justiciable en dernier ressort du grand conseil de Malines, il était devenu en 1815, par l'effet

(1) Recueil de La Haye, tome II, pages 45 et 51.
(2) Recueil de La Haye, tome II, page 74.
(3) Recueil de La Haye, tome II, page 96.

de la conquête et du traité de Vienne, une terre allemande, un État de la Confédération germanique. L'article 67 de ce traité portait en effet :

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« La partie de l'ancien duché de Luxembourg comprise dans les limites ci-après spécifiées est également « cédée au prince souverain des Pays-Bas pour être possédée à perpétuité par lui et ses successeurs en <toute propriété et souveraineté; et la faculté est ré"servée à Sa Majesté de faire, relativement à la suc<cession dans le grand-duché de Luxembourg, tel

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arrangement de famille entre les princes ses fils qu'elle jugera conforme aux intérêts de sa monarchie "et à ses intentions paternelles.

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« Le grand - duché de Luxemboug, ajoutait le même article, « servant de compensation pour les princi< pautés de Nassau-Dillenbourg, Sirgen, Hadamar et Dietz, formera un État de la Confédération germa

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nique, et le prince, roi des Pays-Bas, entrera dans « le système de cette Confédération comme grand-duc « de Luxembourg, avec toutes les prérogatives et priviléges dont jouissent les autres princes allemands. La ville de Luxembourg sera considérée, sous le rapport militaire, comme forteresse de la Confédéra» tion. "

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Le Luxembourg était donc devenu en 1815 une terre allemande, "un État de la Confédération germanique; et ce n'était pas comme souverain de la Hollande et des provinces belges, mais à un autre titre, comme grand« duc de Luxembourg, » que le roi possédait ce territoire avec toutes les prérogatives et priviléges dont

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jouissaient les autres princes allemands. » On le lui avait même assigné en compensation » des principautés de Nassau-Dillenbourg, Sirgen, Hadamar et Dietz, c'est-à-dire, à titre onéreux; et le traité de Vienne l'autorisait en conséquence à disposer du Luxembourg entre ses fils de la manière qu'il jugerait la plus conforme aux intérêts de sa monarchie et à ses inten<tions paternelles.

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Notre comité diplomatique avait soutenu, il est vrai, dans une note verbale du 3 janvier 1831, en réponse au protocole du 20 décembre (1), que l'on concevrait difficilement quelles obligations pourraient dériver pour la Belgique de traités auxquels elle n'était pas intervenue. Mais il est évident, comme le disait un protocole explicatif du 19 février (2), que « les événements qui « font naître en Europe un État nouveau ne lui don

nent pas plus le droit d'altérer le système général « dans lequel il entre, que les changements survenus dans la condition d'un État ancien ne l'autorisent à « se croire délié de ses engagements antérieurs : << maxime de tous les peuples civilisés, ajoutait la "conférence; maxime qui se rattache au principe d'après lequel les États survivent à leurs gouvernements, et les obligations imprescriptibles des traités « à ceux qui les contractent; maxime enfin qu'on n'ou<< blierait pas sans faire rétrograder la civilisation, dont <la morale et la foi publique sont les premières con

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séquences et les premières garanties. » Le Luxem

(1) Recueil de La Haye, tome Ier, page 55. (2) Recueil de La Haye, tome Ier, page 143.

bourg était donc évidemment étranger à la Belgique au moment de la révolution, bien que le roi, sous le rapport administratif, l'eût assimilé pendant quinze ans aux provinces belges; et la conférence n'aurait pu nous attribuer son territoire sans fouler aux pieds le traité de Vienne, les droits de la Confédération germanique, et le droit non moins respectable d'une propriété acquise à titre onéreux.

Que devait-elle faire maintenant pour le Limbourg? On a vu (1) que la Hollande ne possédait en 1790, dans cette province, que Venloo, la moitié de Maestricht, dont l'autre moitié appartenait au prince-évêque de Liége, et 53 villages situés en partie sur la rive droite de la Meuse, en partie sur la rive gauche, et connus sous le nom de villages de la Généralité. Mais tout cela ne représentait que 58,861 habitants, c'est-àdire, le sixième de la population totale du Limbourg qui en comprenait 338,095 (2). Il en restait donc 279,234 pour la partie belge de cette province.

On a vu également qu'après les événements de 1830, la possession indivise de Maestricht par les Belges et les Hollandais serait devenue une source perpétuelle de contestations; qu'il en aurait été de même pour les villages belges et hollandais enclavés les uns dans les autres; qu'il fallait donc attribuer la possession exclusive de Maestricht à l'un des deux pays, et les séparer, dans le Limbourg, par une frontière qui leur assurât

(1) Page 252.

(2) Note remise au congrès le 28 mai 1831 par MM. J.-B. Nothomb, Henri de Brouckere et Vilain XIIII. — Courrier du 31 mai, no 151.

une entière contiguïté de possession, aussi indispensable à l'un qu'à l'autre. Cela était d'autant plus facile à effectuer que la Meuse offrait à la conférence une frontière naturelle, puisqu'elle divise le Limbourg en deux parties, et qu'elle coule, à peu près en ligne droite, de Maestricht à Venloo. Le traité des 24 articles nous attribua donc, sauf Maestricht, la partie du Limbourg située sur la rive gauche de la Meuse, et donna à la Hollande le reste de cette province avec Maestricht et un rayon de 1,200 toises à partir du glacis extérieur de la place. Il en résulta que la population belge du Limbourg se trouva réduite à 160,090 habitants (1); qu'elle en perdit donc 119,144, puisqu'elle en comptait précédemment 279,234. Cela exigeait évidemment une compensation territoriale. Le traité des 24 articles nous assigna, à ce titre, la partie du Luxembourg que nous possédons aujourd'hui et qui avait, en 1831, 160,762 habitants, tandis que nous n'en perdions que 119,144 dans le Limbourg. Mais la possession exclusive de Maestricht par la Hollande et la plus-value du territoire limbourgeois devaient entrer en ligne de compte pour établir cette compensation.

La conférence avait ainsi résolu les deux premières questions posées dans sa dépêche du 3 septembre, et cette solution, comme on le voit, était parfaitement équitable.

Mais la conférence n'avait pas montré le même esprit de justice pour la question financière. Se fondant sur la

(1) Statistique officielle publiée en 1842 par le gouvernement belge.

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