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le feu aux poudres, nous aurions attendu plus longtemps la libération du territoire belge.

Après des sommations infructueuses adressées au roi des Pays-Bas, l'embargo fut mis sur les vaisseaux hollandais, et une armée française, commandée par le maréchal Gérard, vint assiéger la citadelle. Pour épargner cependant aux Anversois de nouveaux désastres, le maréchal eut soin de ne pas l'attaquer du côté de la ville, mais seulement en dehors de son enceinte. Les travaux du siége commencèrent le 30 novembre, et la citadelle, après une défense héroïque, fut obligée de capituler le 23 décembre. Elle fut, aux termes de cette capitulation (1), remise à l'armée française avec la Têtede-Flandre et les forts de Burcht, Zwyndrecht et Austruweel; mais les Hollandais restèrent en possession des forts Lillo et Liefkenshoeck, situés sur l'Escaut, à quelques lieues en dessous d'Anvers. Il fut donc convenu, entre le général Chassé et le maréchal Gérard, qu'un officier français se rendrait immédiatement à La Haye pour demander l'évacuation de ces deux forts; que, si elle était accordée, la garnison de la citadelle serait ramenée en Hollande, mais qu'elle serait conduite en France, comme prisonnière de guerre, si les deux forts n'étaient pas évacués. Informé de ces conditions par le général Chassé, le roi lui fit répondre par le directeur général de la guerre, qu'il considérait l'attaque d'un territoire occupé par ses troupes, alors que la France ne se trouvait pas en

(1) Recueil de La Haye, tome 1II, page 365.

guerre avec la Hollande, comme un acte d'injuste violence, et l'exécuteur de cet acte comme ayant plus d'affinité avec le chef d'une bande de brigands, « eener rooverbende, » qu'avec celui d'une armée belligégérante; que sa dignité, enfin, ne lui permettait pas de discuter l'alternative du maréchal (1). La garnison de la citadelle fut donc conduite en France et internée à Saint-Omer et dans les environs.

Quoique la convention du 22 octobre eût été pleinement exécutée par l'occupation de la citadelle, la France et l'Angleterre crurent devoir maintenir l'embargo sur les vaisseaux hollandais, pour obliger le roi à respecter le statu quo, et pour empêcher la reprise d'hostilités dont il menaçait périodiquement la conférence (2). Cette mesure, jointe à la captivité du général Chassé et de ses troupes, amena bientôt le résultat que la France et l'Angleterre voulaient atteindre. Il fut convenu en effet entre le roi des Pays-Bas, la France et l'Angleterre, par un traité signé à Londres le 21 mai 1833 (3), que l'embargo serait levé et que la garnison de la citadelle retournerait dans son pays avec armes et bagages, aux conditions suivantes :

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"Tant que les relations entre la Hollande et la Belgique ne seront pas réglées par un traité définitif,

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portait l'article 3 de la convention du 21 mai, « Sa Majesté néerlandaise s'engage à ne pas recommencer les

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(1) Bosscha, p. 781.

(2) Recueil de La Haye, tome III, pages 121, 192, 193 et 256. (3) Staatsblad de 1833, no 22.

<hostilités avec la Belgique et à laisser la navigation de l'Escaut entièremeut libre.

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<< Immédiatement après l'échange des ratifications << de la présente convention,» ajoutait l'article 4, « la navigation de la Meuse sera ouverte au commerce; et jusqu'à ce qu'un règlement définitif soit arrêté à « ce sujet, elle sera soumise aux dispositions de la convention signée à Mayence le 31 mars 1831 pour <la navigation du Rhin, en tant que ces dispositions pourront s'appliquer à ladite rivière. »

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Le traité du 21 mai se terminait par un article explicatif ainsi conçu :

Il est convenu entre les hautes parties contrac<tantes que la stipulation relative à la cessation complète des hostilités, renfermée dans l'article 3 de la <convention de ce jour, comprend le grand-duché de

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Luxembourg et la partie du Limbourg occupée provisoirement par les troupes belges. Il est également « entendu que jusqu'à la conclusion du traité définitif "dont il est fait mention dans ledit article 3 de la con❝vention de ce jour, la navigation de l'Escaut aura lieu telle qu'elle existait avant le 1er novembre “1832. »

Cet acte, le premier qui ait arraché des concessions au roi Guillaume, nous assurait donc, jusqu'au traité définitif, la liberté de l'Escaut, celle de la navigation de la Meuse, au prix du tarif de Mayence, et le maintien du statu quo dans le Limbourg et le Luxembourg, c'est-à-dire, la possession provisoire des parties du Limbourg et du Luxembourg assignées à la Hollande

par les 24 articles, tandis que le roi ne retenait à notre préjudice que les petits forts de Lillo et de Liefkenshoeck. C'était, comme on le voit, un immense résultat pour la Belgique, résultat d'autant plus important qu'il lui donnait tous les avantages de la possession, en laissant peser exclusivement sur la Hollande le service de la dette commune. Le traité du 21 mai nous garantissait enfin contre toute reprise d'hostilités de sa part, et le roi, sous ce rapport, n'avait rien à craindre de la Belgique, puisqu'elle n'avait plus rien à lui demander; que le provisoire lui était même plus avantageux que le définitif. Il aurait donc pu réduire immédiatement son état militaire, et épargner ainsi à son peuple de nouveaux sacrifices. Mais il comptait évidemment sur la conspiration permanente qu'il entretenait en Belgique, et sur les agitations révolutionnaires de la France, qui pouvaient amener tous les jours des complications européennes, provoquer une guerre générale, et lui offrir peut-être la chance de regagner ce qu'il avait perdu. Paris avait été agité pendant deux ans, à partir de 1830, par la Société républicaine des Amis du Peuple, qui avait envoyé des émissaires à Bruxelles pour y faire éclater la révolution dans la nuit du 25 au 26 août, et qui nous avait expédié ensuite un corps de volontaires parisiens. pour la soutenir. C'était cette Société qui'avait organisé les sanglantes journées des 5 et 6 juin 1832, dans lesquelles on avait dû employer le canon pour chasser les insurgés du cloître Saint-Méry, leur dernier refuge. Lyon avait déjà été, en 1831, le théâtre d'un autre

mouvement révolutionnaire qui s'était emparé de la ville, et qui avait forcé les autorités à capituler; et le coup de pistolet du Pont-Royal avait failli coûter la vie à Louis-Philippe en 1832 (1). Le roi, en signant la convention de 1833 avec la France et l'Angleterre, pouvait donc s'attendre à de nouveaux événements de cette nature; aussi ne fut-ce que quatorze mois plus tard, lorsque la formidable insurrection du mois d'avril 1834 eut été réprimée à Paris, à Lyon et à Saint-Étienne, qu'il se décida à modifier son état militaire par le renvoi dans leurs foyers des gardes communaux mobilisés (2) : Preuve évidente qu'il avait compté sur une révolution en France.

Mais les états généraux étaient loin de partager à cet égard les idées de Guillaume Ier. Ils voulaient en finir le plus tôt possible avec la question belge. Ils avaient même fait au mois de mars 1832, comme on vient de le voir, une démarche auprès du roi pour l'engager à accepter les propositions du comte Orloff, et ils étaient appelés chaque année à voter des millions pour payer, à notre décharge, la part qui nous incombait dans la dette, et pour maintenir un état militaire qui ruinait la Hollande. Si, en effet, après le retour des gardes communaux dans leurs foyers, le budget de la guerre ne s'élevait plus qu'à 11 millions de florins, les dépenses militaires absorbaient en réalité des sommes beaucoup plus considérables, que le roi comptait récupérer sur une dette de 140 millions imposée aux

(1) De La Hodde, Histoire des sociétés secrètes.

(2) Arrêté royal du 25 juillet 1834. Staatsblad, no 24.

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