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Les prévenus étaient-ils au moins coupables du dernier fait que leur imputait l'accusation? avaient-ils, comme elle le disait, commis un acte contraire au bon ordre en abusant de la lettre de l'évêque? avaient-ils, en abusant de cette lettre, répandu des bruits, des annonces ou des nouvelles tendant à alarmer ou à troubler le public? avaient-ils cherché enfin, par ce moyen, à susciter de la défiance, de la désunion ou des querelles entre les habitants? Mais comment la simple défense de convoquer un chapitre aurait-elle pu alarmer le public, troubler le bon ordre, susciter de la défiance, de la désunion, des querelles dans le pays? Cette accusation était évidemment absurde; et ce n'était pas, à coup sûr, en ne faisant connaître à personne la lettre incriminée, que les accusés auraient pu inquiéter les esprits. Or, ils n'avaient pas même communiqué cette lettre au curé d'Ostende, qui s'était rendu à l'évêché dans le courant du mois d'octobre (1), et qui était cependant intéressé à la connaître, puisqu'elle contenait un blâme à son adresse.

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La poursuite que nous venons de résumer constituait une véritable iniquité judiciaire, et elle avait été requise ab irato, pour faire coffrer des hommes que l'on visait depuis longtemps, » et pour forcer indirectement l'évêque à rompre toute communication avec eux et avec son diocèse. Aussi l'avait-on poursuivi tout à la fois dans la personne de ses grands vicaires et dans celle des vingt et un curés des Flandres, nom

(1) Voir sa déposition, no 41 du dossier.

més par lui, sans l'intervention du gouvernement, dans les années 1814 et 1815. Ceux-ci furent, en effet, chassés de leurs églises à la fin de 1820 (1), quoique l'État les eût implicitement agréés en leur payant depuis plusieurs années le salaire attaché à leurs fonctions (2), et ils se trouvèrent tout à coup sans feu ni lieu; mais la charité catholique vint à leur secours et leur procura des ressources qui dépassèrent toutes leurs espérances (3).

Les grands vicaires avaient été défendus par maîtres De Burck et Beyens, deux sommités du barreau de Bruxelles, et par un jeune avocat du même barreau, maître Pierre Théodore Verhaegen, qui fut plus tard le fondateur de l'université libre de Bruxelles. Verhaegen fut même censuré par l'arrêt de mise en accusation pour avoir employé « des expressions déplacées dans un mémoire adressé à la cour, et pour y avoir inséré des imputations inconvenantes et peu respec<< tueuses envers les magistrats qui avaient instruit la <cause. Mais il en fut dédommagé par une clientèle catholique des plus brillantes, et par un siége au conseil de fabrique de sa paroisse (4). Il fut appelé, en

(1) Le Journal de Bruxelles du 29 novembre 1820 rapporte le texte d'un arrêté d'interdiction du 18, rendu par le gouverneur de la Flandre orientale contre dix curés de cette province, et le no 68 du même journal mentionne un arrêté identique, porté par le gouverneur de Bruges, contre onze curés de la Flandre occidentale.

(2) Déposition du curé de Saint-Gilles à Bruges dans l'affaire des vicaires généraux. Pièce 41 du dossier.

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(4) L'église de Saint-Jean-Baptiste au Béguinage.

effet, à ce siége le 4 avril 1824, après être devenu franc-maçon en 1817 (1), et il a fait partie du conseil de fabrique jusqu'au 4 avril 1842. Cela prouverait, quoi qu'en disent les détracteurs de la maçonnerie, qu'elle n'est pas hostile au catholicisme, et que l'on peut appartenir tout à la fois à la loge et à la fabrique de sa paroisse.

Les accusés étaient à peine rendus à la liberté, que leur évêque mourut à Paris le 20 juillet 1821 (2). Comme il était l'âme de cette agitation religieuse, sa mort causa une véritable satisfaction au gouvernement. On en jugera par les lignes suivantes, que le ministre de la justice Van Maanen s'empressa d'écrire au procureur général à Bruxelles (3):

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« Je crois vous donner, mon très-honoré ami, une <bonne nouvelle pour les affaires publiques, en vous annonçant le décès du prince Maurice de Broglie, « ci-devant évêque de Gand. Mon collègue, M. de Nagel, vient de la recevoir, et l'a communiquée de suite à M. le directeur général baron Goubau (4). J'espère que cela va nous délivrer de beaucoup << de tracasseries et de difficultés parmi le clergé des « Flandres. Et, dans le fait, le chapitre était à peine débarrassé de son évêque, qu'il proposa à l'agréation du gouvernement les chanoines Goethals et De Muele

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(1) Neut, Histoire de la franc-maçonnerie, tome Ier, p. 146. Discours de Verhaegen à la réinstallation de la loge de l'Espérance, le 26 novembre 1848.

(2) Journal de Bruxelles du 24 juillet 1821, n° 205.

(3) Archives du parquet.

(4) Directeur général du culte catholique.

naere, pour administrer le diocèse en qualité de vicaires généraux. Cette proposition fut accueillie par un arrêté royal du 7 août, et les grands vicaires prêtèrent le 10, entre les mains du gouverneur de la Flandre orientale, le serment prescrit par les articles 6 et 7 du concordat (1). Il n'avait donc fallu que vingt et un jours depuis la mort de l'évêque, pour mettre un terme à six années de lutte, et pour réconcilier l'évêché avec le gouvernement. Quelques jours plus tard, les vicaires généraux allèrent présenter leurs hommages au roi (2). La réconciliation, comme on le voit, était complète; aussi le curé Corselis, repoussé de son église en 1818 par la force armée, de même que ses vingt et un confrères des Flandres, dépossédés en 1820, s'empressèrent-ils de demander leur agréation et de prêter à leur tour le serment prescrit par le concordat (3). Il en fut de même de dix-huit autres curés des Flandres, nommés par les vicaires généraux en 1821, et qui n'hésitèrent pas à reconnaître au gouvernement le droit d'intervenir dans la nomination et l'installation des ministres du culte (4). Cette question fut ainsi résolue par l'initiative du chapitre, et le roi répondit aux avances des vicaires généraux en leur faisant écrire le 21 août 1821, par le

(1) Journal de Bruxelles des 31 juillet et 14 août 1821, nos 212 et 226.

(2) Journal de Bruxelles du 5 septembre 1821, no 248.

(3) Journal de Bruxelles des 12 et 15 septembre 1821, nos 255 et 258.

(4) Journal de Bruxelles des 29 et 30 septembre, 6 et 23 octobre, 11 et 15 novembre et 21 décembre 1821, nos 272, 273, 279, 296, 305, 319 et

directeur général du culte catholique, la lettre que nous avons citée plus haut et qui mit un terme à la question du serment.

Le roi aurait dû profiter de sa réconciliation avec le clergé pour faire oublier aux catholiques la promulgation arbitraire d'une constitution repoussée par les notables et condamnée par le saint-siége; pour leur faire oublier les refus de sacrements dont il était la première cause, et qui avaient jeté, pendant cinq ans, le trouble dans les consciences et dans les familles; pour leur faire oublier la violence faite à la magistrature par son arrêté du 25 février, et la désorganisation judiciaire qui en avait été la conséquence; pour leur faire oublier la dépossession des vingt et un curés des Flandres, après une agréation tacite de plusieurs années, celle du curé de Bruges, par un déploiement ridicule de forces militaires, - et l'enlèvement d'une bulle inoffensive par les ordres d'un roi protestant; pour leur faire oublier enfin l'exposition en effigie d'un évêque entre deux voleurs, et l'arrestation de ses vicaires généraux, poursuivis pour des crimes imaginaires. La révolution belge ne devait éclater que neuf ans plus tard, et elle n'aurait pas été soutenue par les catholiques, s'ils n'avaient pas eu de nouveaux griefs contre le gouvernement. En Hollande, où l'on ne songe plus à les molester aujourd'hui, Thorbecke, le chef du parti libéral, a obtenu en 1853, dans les arrondissements de Breda et de Maestricht, une double élection aux états généraux, quoique la grande majorité de ces arrondissements fût catholique, et que Thorbecke lui-même fût

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