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et pour d'autres actes, les dispositions qu'il avait prises dix ans auparavant.

Mais ces dispositions frappaient d'une manière encore plus exorbitante les avocats et les avoués des Flandres, du Limbourg, de la province d'Anvers et des arrondissements de Bruxelles et de Louvain, puisqu'elles les obligeaient à n'employer que le flamand dans leurs. plaidoiries et dans leurs actes de procédure, et que le flamand n'était pas plus alors qu'aujourd'hui la langue du barreau. Le roi ne tarda pas à en avoir la preuve.

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Pour habituer le barreau à l'usage de cette langue, il avait inséré, à l'article 4 de son arrêté de 1819, une disposition transitoire ainsi conçue : « Il sera, dès à présent, loisible à tous juges de paix, tribunaux et offi<<ciers de justice dans lesdites provinces, de faire usage de la langue nationale dans toutes les informations judiciaires, interrogatoires, débats et jugements, sans que les parties puissent exiger une traduction des pièces et documents rédigés dans ladite langue; et sont les autorités ci-dessus mentionnées invitées < par le présent à employer de préférence la langue nationale, lorsque les juges, les parties et les témoins l'entendront. Le premier président de notre ancienne cour supérieure avait ensuite composé nos deux premières chambres de conseillers flamands, et il avait annoncé, par une ordonnance du 31 octobre 1820 (1), que les causes des tribunaux où la langue nationale était ou serait en vigueur durant l'année judiciaire,

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(1) Archives de la cour d'appel de Bruxelles.

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seraient par lui distribuées à l'une de ces deux chambres, où elles seraient mises au rôle et entendues saus traduction quelconque: Libre aux parties,» ajoutait le premier président, d'y faire plaider ces causes et « toutes autres dans l'idiome national; auquel cas l'ar❝rêt sera rendu dans la même langue. Il avait enfin ordonné que cette décision fût communiquée par le procureur général aux chambres des avocats et des avoués de la cour, et publiée partout ailleurs où besoin serait.

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Les deux Flandres et la province d'Anvers appartenaient, à cette époque, au ressort de Bruxelles, et l'usage facultatif de la langue flamande, inauguré par l'ordonnance du premier président et par l'article 4 de l'arrêté de 1819, a duré jusqu'au moment où cette langue est devenue obligatoire, c'est-à-dire, jusqu'au 1er janvier 1823. Les habitants de ces provinces, de même que ceux des arrondissements de Bruxelles et de Louvain, ont donc eu à leur disposition, depuis la fin de 1820 jusqu'au commencement de 1823, deux chambres où leurs avocats auraient pu se servir du flamand dans leurs plaidoiries et dans leurs actes de procédure.

Comment le barreau a-t-il répondu à ces avances du roi et de son premier président? Il suffit de consulter les feuilles d'audience des deux chambres flamandes pour se convaincre que les affaires des Flandres, de la province d'Anvers et des arrondissements de Bruxelles et de Louvain ont continué à se traiter en français, et que depuis la fin de 1820 jusqu'au commencement

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de 1823, il n'y en a pas une seule dans laquelle on ait fait usage du flamand : preuve évidente que le français était la langue du barreau et que le flamand ne l'était pas. Aussi le barreau de Gand avait-il pétitionné, au mois de juillet 1829, pour obtenir l'usage facultatif du français dans les plaidoiries et dans les actes de procédure. « Cet usage facultatif, disait-il (1), « est depuis longtemps réclamé par les meilleurs esprits. Presque << tous les députés, les publicistes et les jurisconsultes des provinces méridionales s'accordent tellement à << reconnaître que l'usage forcé de la langue hollandaise compromet le droit sacré de la défense, qu'il serait oiseux de reproduire les preuves et les argu<ments sur lesquels cette opinion est basée. » L'exemple du barreau de Gand avait, du reste, été suivi par le barreau de Bruxelles, par la ville de Hasselt et par les états provinciaux du Limbourg, du Brabant et de la Flandre occidentale (2). Nous pouvons ajouter que l'usage du français avait toujours été facultatif au conseil de Brabant et au conseil de Flandre, et qu'il formait la règle au grand conseil de Malines. «En cette <cour souveraine, » disait Guichardin (3),

" pour la commodité des forains et estrangers, on plaide or<dinairement en langue française : ce qui est une << sage, louable et bonne ordonnance. » Le grand conseil de Malines avait cependant son siége dans une

(1) Journal le Politique du 10 juillet 1829, no 163.

(2) Voir le Politique des 8, 17, 22, 26 juillet et 20 décembre 1829, nos 161, 169, 173, 177 et 299.

(3) Description de tous les Pays-Bas, édition de 1582, p. 240.

ville flamande, et il jugeait en dernier ressort les affaires des deux Flandres et celles du Luxembourg allemand. L'arrêté de 1819 faisait donc bon marché de nos traditions nationales, et il imposait au barreau une langue qui n'était pas la sienne.

Ce qui s'est passé depuis la révolution le prouve mieux encore.

Pour empêcher le retour de ces difficultés qu'un simple arrêté royal avait produites, le congrès a sagement décrété, à l'article 23 de la constitution, que l'emploi des langues usitées en Belgique serait désormais facultatif; qu'il ne pourrait être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires. Mais on n'a jamais fait de loi sur cet objet, sauf en dernier lieu pour la justice répressive. Les affaires civiles, au contraire, sont restées soumises, depuis quarante ans, au régime facultatif de l'article 23, et elles ont toujours été traitées, plaidées et jugées en français, depuis quarante ans, dans les tribunaux de Bruxelles, Louvain, Malines, Anvers, Tongres, Hasselt, Courtrai, Termonde et Gand. A Turnhout, au contraire, le flamand est la règle et le français l'exception; tandis qu'à Furnes, où les affaires civiles s'instruisent et se jugent le plus souvent en flamand, les plaidoiries n'ont presque jamais lieu qu'en français.

A Bruges enfin, à Ypres et à Audenarde, où l'on emploie indistinctement l'une et l'autre langue pour les jugements et pour les actes de procédure, c'est encore le français que l'on adopte de préférence pour les plai

doiries. Nous pouvons ajouter qu'à la cour d'appel de Gand, depuis son installation en 1832, on n'a jamais traité, plaidé et jugé qu'en français les affaires civiles des deux Flandres..

Quant aux affaires criminelles, on les a toujours traitées dans cette langue, depuis quarante ans, aux assises du Limbourg, du Brabant et de la province d'Anvers, et les accusés n'ont jamais réclamé contre cet usage, parce qu'il leur importe fort peu d'être acquittés en français ou en flamand, et que la langue la plus familière à leurs avocats est toujours celle qui leur offre le plus de chances d'impunité. Nous pensons même que cet usage continuera par la volonté des accusés, malgré la loi du 17 août 1873 qui a eu pour but de le proscrire.

A Gand et à Bruges, les affaires criminelles ont aussi presque toujours été plaidées en français. Le français est donc resté la langue du barreau, sous le régime facultatif de la constitution comme sous le régime facultatif de 1819. Mais on comprend l'irritation que devait lui causer chaque jour l'obligation de parler une langue qui n'était pas la sienne. Ce ne fut cependant que deux mois avant la révolution, et par un arrêté du 4 juin 1830, que le roi lui rendit à cet égard la liberté qu'il lui avait enlevée.

Il avait à peine redressé ce grief qu'il en souleva un autre en établissant à la Haye, par un arrêté du 21 juin, le siége de la haute cour. La Belgique, cependant, avait cinq fois plus de procès que la Hollande, puisque les cours de Bruxelles et de Liége, auxquelles ressor

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