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Le 12 mai 1828, ARRÊT de la section civile, M. Brisson président, M. Cassaigne rapporteur, MM. MandarouxVertamy et Rochelle avocats, par lequel:

. LA COUR, Après en avoir délibéré en la chambre du conseil; Sur les conclusions contraires de M. Cahier, avocat général; — Atendu, sur le premier moyen, qu'il est constant, en fait, d'après la sentence dont il s'agit et l'arrêt attaqué qui la confirme, 1o que, par l'arrêt lu14 av.1821, il était jugé que la sentence, qui avait liquidé le premier compte et indiqué jour pour la présentation du second, était valable, quoique rendue depuis l'expiration de trois mois du jour de la nomination des arbitres; 2o que les parties ont poursuivi contradictoirement la liquidation du deuxième compte devant les mêmes arbitres, dans leurs différentes séances, notamment dans celles des 26 juin et 10 juil: 1825, et qu'ils ont rendụ, le 8 août suivant, la sentence dont il s'agit, qui le liquide, et que l'arrêt attaqué confirme; qu'il suit de ces faits dûment constatés, qu'il y a eu prorogation tacite du pouvoir des arbitres, et qu'ils ont compétemment rendu cette sentence;

» Attendu, sur le deuxième moyen, qu'il résulte des mêmes sentence et arrêt que la visite des lieux de la carrière en question a été faite par l'arbitre de Leclaire, à ces fins délégué par les deux arbitres, et que Leclaire y a concouru par le ministère de son avoué qui était en même temps son procureur fondé, et qui y a assisté en cette double qualité; que, par ce concours, Leclaire a implicitement accepté la délégation: que dès lors il est nou recevable à s'en plaindre; Attendu enfin que, sans qu'il besoin d'examiner d'ailleurs le mérite des motifs de l'arrêt attaqué, son dispositif se soutient par ceux ci-dessus exprimés; REJETTE. »

et

S.

COUR DE CASSATION.

La disposition de la coutume de Normandie, qui prohibait les avantages entre époux, formait-elle un statut réel? (Rés. aff. par la cour de Rouen.)

En conséquence, des individus mariés sous le régime d'une autre coutume qui permettait ces avantages, pouvaientils les stipuler par rapport à ceux de leurs immeubles situés en Normandie? (Rés. nég. par la même cour.) La donation mutuelle de propres entre époux, qui, dans le principe, était frappée de nullité par la coutume de Normandie, a-t-elle pu produire son effet, si ces époux existaient encore après la promulgation de la loi du 17 niv. an 2? (Rés. aff.)

En serait-il de même si les époux étaient morts sous l'empire du code civil? (Rés, aff.) Art. 1094.

HÉRITIERS BERTRE, C. LES ENFANTS BALLOT.,

Les deux premières questions ont été résolues seulement par la cour de Rouen. La 5o et la 4o ont été soulevées, pour la première fois, dans la cause, devant la cour régulatrice, et leur solution a rendu superflu l'examen des précédentes.

Eu 1774, contrat de mariage passé à Paris entre le sieur Bertre et la demoiselle Rubé. Les futurs époux stipulent 1° qu'ils seront communs en tous biens suivant la coutume de Paris; 2o que tout ce qui leur adviendra durant leur mariage restera propre à chacun d'eux; 50 donation entrevifs et réciproque au survivant de tous les biens qui appartiendront au premier mourant. Quelques temps après, les époux allèrent se fixer à Rouen. Le mari ayant recueilli dans la succession de son père une maison sise à Honfleur, la vendit en 1784, et en acheta deux autres: la première à Rouen, la deuxième aux Andelys.—En 1814, il légua l'usufruit de ces maisons à sa femme, et mourut laissant pour héritiers son frère et sa soeur. Sa veuve décéda en 1822, après avoir légué tous ses biens aux enfants Ballot.

Le 23 août 1822, les héritiers Bertre assignent les enfants Ballot devant le tribunal des Andelys, pour voir dire qu'il leur sera délivré des acquêts jusqu'à concurrence des proprès du sieur Bertre, qui avaient été aliénés; que le restant des conquêts, après le remploi de ces propres, sera partagé entre les héritiers du sieur Bertre et ceux de sa veuve.

Voici comment les héritiers Bertre établissaient leur demande. D'après la coutume de Normandie, le mari ne peut donner que la moitié de ses acquêts en bourgage, et lorsque ces acquêts remplacent un propre aliéné, il faut prélever la valeur du propre sur les acquêts, dont la moitié, restaute après cette déduction, peut seule être donnée à la femme (1).

-Or, dans l'espèce, le sieur Bertre a recueilli, comme propre dans la succession de son père, une maison à Honfleur, qu'ensuite il a vendue. Avec le prix de cette vente, il a acheté en

(1) Voy. art. 329, 410, 422, 427, 408 de la coutume, et 65 et 107 des placités.

remplacement du propre, deux maisons, l'une à Rouen, l'antre aux Andelys. Ces deux maisons sont d'une valeur iðférieure à celle de Honfleur; par conséquent, le sieur Bertre n'a pu même donner à sa femme la moitié de celles qu'il a acquises en remplacement.-Vainement dira-t-on que les époux Bertre, s'étant mariés sous le régime de la coutume de Paris, la donation dont s'agit est valable. Le statut normand est réel, et régit les immeubles possédés en Normandie par des époux qui résident dans une autre province.

A ces prétentions le tuteur des enfants Ballot oppose que la libéralité faite à la dame Bertre par son mari ne devait produire ses effets qu'à la mort de celui-ci, que partant c'était d'après le code civil, seul en vigueur à l'époque de ce décès, qu'on devait en déterminer la validité.

La cause, ainsi réduite au point de savoir si l'effet de la donation attaquée doit être réglé par la coutume de Normandie, pour les biens normands, ou par le code civil, le tribunal des Andelys statue en faveur des héritiers Bertre, par jugement du 3 mars 1823. - Il se fonde sur ce que la donation, quel que soit son caractère (entre vifs ou à cause de mort), est irrévocable; que, comme telle, elle est réglée, quant à sa validité et à la disponibilité des biens, par la législation de l'époque de sa confection; que la coutume de Normandie, prohibant l'aliénation des propres, prescrivant le prélévement de ceux aliénés sur les acquêts, et défendant aux époux de se donner plus que la part qui leur revenait dans la communauté, la donation ne pouvait avoir effet sur les biens situés en Normandie; qu'il fallait donc commencer par prélever le prix du propre aliéné sur les acquêts, et que le surplus, s'il s'en trouvait, devait être partagé en deux parts égales. Sur l'appel, arrêt confirmatif de la cour de Rouen, du 16 août 1824.

Pourvoi en cassation par les enfants Ballot. Ils présentent trois moyens: 1° Fausse application de la coutume de Normandie, en ce qui concerne la prohibition des avantages entre époux.-Les époux Bertre, disait-on, s'étaient mariés à Paris, et soumis à la coutume de Paris : d'où la conséquence que le statut prohibitif de la coutume de Normandie ne leur était point applicable, et la donation qu'ils s'étaient faite devait recevoir son effet.

Tome IIIe de 1828.

Feuille 18.

2o Violation de l'art. 13 de la loi du 17 niv. an 2. (Ce moyen est le seul sur lequel la cour suprême a statué). Lors même que le statut normand, disaient les demandeurs, eût été applicable à la donation mutuelle des époux Bertre, cette donation n'en serait pas moins valable. En effet, l'art. 15 de la loi de niv. an 2 porte que les avantages singuliers ou réciproques, faits entre époux encore existants, soit par leur contrat de mariage, soit par actes postérieurs, recevront leur plein et entier effet. Donc, si la donation dont s'agit était nulle d'après la coutume de Normandie, elle a été validée par la loi de l'an 2. En cela il n'y a point d'effet rétroactif. Les époux, encore vivants, et ne manifestant point une volonté contraire à celle exprimée dans leur contrat de mariage, sont réputés persévérer dans cette volonté, et réitérer la donation qu'elle renferme. C'est ce que la cour de cassation a déjà jugé. (Voy. arrêt du 28 germ. an. 11; nouv. édit., t. 3, p. 395.

Le 3e moyen des enfants Ballot avait pour objet de démontrer que la valeur des acquêts, faits par Bertre, était supérieure à celle de ses propres. Inutile d'entrer dans le développement de ce moyen, dont la cour ne s'est pas occupé.

Me Garnier, avocat des défendeurs, a réfuté le premier moyen, en démontrant que les dispositions des coutumes qui permettaient ou prohibaient des avantages entre époux formaient des statuts réels. Il a invoqué à cet égard la doctrine des auteurs et la jurisprudence des tribunaux (1).

Le 2o moyen, a dit Me Garnier, est tout nouveau devant la cour. Il n'a été présenté ni en première instance ni en cause d'appel. Les demandeurs sont donc non recevables à le présenter. D'ailleurs, il n'est pas fondé. En validant les donations faites entre époux existants, la loi de niv. an 2 suppose que ces donations étaient légalement faites; autrement il faudrait dire que des donations nulles comme celles faites par des mineurs, des interdits, ou sans aucune formalité, sont validées par cette loi.- La preuve que la légalité de ces donations est exigée par la loi de nivôse est écrite dans la

(1) Voy. arrêt de cassation, du 7 fév. 1817, t. 1er 1817, p. 549; et nouv. éd., t. 19, p. 186, et M. Merlin, au mot Convention matrimo

loi du 22 vent. au 2. Car la réponse à la 7a question insérée dans cette loi porte que, « quand la loi a validé certaines dispositions, elle n'a eu pour objet que celles qui se trouvaient légalement faites. S'il en était autrement, la loi rétroa-. girait, elle exercerait sa puissance sur un acte antérieur, et enlèverait le droit acquis de le faire annuler. D'ailleurs, si tel devait être l'effet de la loi de niv. an 2, il ne pouvait avoir lieu lors du décès du sicur Bertre, c'est-à-dire sous l'empire du code civil, auquel elle a fait place, de même qu'aux lois des 9 fruct. an 3 et 3 vend. an 4.

Quant au 3e moyen, il a prétendu qu'il était foudé sur une erreur de faits, dont la cour ne pouvait s'occuper.

Du 11 mars 1828, ARRÊT de la chambre civile, M. Brisson président, M. Zangiacomi rapporteur, MM. Guichard fils et Garnier avocats, par lequel :

LA COUR, - Sur les conclusions de M. Joubert, premier avocatgénéral; — Vu l'art. 13 de la loi du 17 niv. an 2, ainsi conçu : « Les avantages singuliers ou réciproques stipulés entre les époux encore existants, soit par leur contrat de mariage, soit par des actes posté»rieurs ou qui se trouveraient établies dans certains lieux par les coutu»mes, statuts ou usages, auront leur plein et entier effet, nonobstant les dispositions de l'art. 1o auquel il est fait exception en ce point. » ;— Vu également la réponse à la 35o question contenue en la loi du 9 fruct, an 2, laquelle réponse est faite à la question suivante: A ce qu'il soit » statué sur le sort des dispositions entre époux, lorsque, faites avant le 14 juil. 1789, elles excédaient le point indiqué soit par les conven⚫tions, soit par les lois d'alors», laquelle réponse est ainsi conçue: Considérant que, s'il s'agit de dispositions dont l'effet ait été ouvert avant le 14 juil. 1789, elles doivent être ramenées à ce terme; mais qu'à l'égard des dispositions dont l'effet s'est ouvert depuis, elles n'ont d'autres règles que les art. 13 et 14 de la loi du 17 niv. » ;

Considérant que les époux Bertre étaient encore existants lors de la publication de la loi du 17 niv. an 2; qu'il résulte de l'art. 13 de cette loi et du n° 35 de celle du 9 fruct. suivant, que tous les avantages entre époux existants à cette époque doivent sortir leur plein et entier effet, alors même qu'ils ne seraient pas valables aux termes des anciennes lois; Que cette disposition n'a pas été révoquée par les lois qui ont rapporté l'effet rétroactif de celle du 17 niv., parce que cette disposition, en validant, entre époux encore existants, des avantages qui devenaient généralement permis à tous les époux avant qu'aucun droit sur iceux eussent été acquis à des tiers, n'opérait en réalité aucun effet rétroactif; Qu'il suit de là que, si la donation mutuelle les que époux

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