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» Regardons autour de nous et nous reconnaîtrons les ennemis dont nous devons faire justice implacable; comptons-les, et au grand jour qu'ils tombent foudroyés.

» Frères, c'est au nom du salut de tous que nous vous adressons ce conseil. Songez d'ailleurs qu'en marchant à la conquête de la liberté il serait dangereux de laisser dans vos communes cette race lâche qui vous frapperait par derrière et immolerait vos femmes et vos enfants.

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Citoyens, si en février la correction eût été complète, si la réaction n'eût pas profité de la magnanimité du peuple pour organiser la trahison, vous ne seriez pas obligés de prendre demain les armes pour reconquérir vos droits et votre liberté, et depuis longtemps la prospérité régnerait sous la république démocratique et sociale.

>> Soyons énergiques!

» Que 1851 comble la lacune laissée en 1793.

» Et tout sera dit!

>> Salut et fraternité !

» Le comité central de résistance. »

Trois autres bulletins avaient paru à un jour de distance.

Le premier, émané d'un comité qui s'intitulait le Comité du Centre, parut assez pâle à côté du dixième bulletin : c'était cependant encore un appel à l'insurrection immédiate. Qu'on en juge:

<< Patriotes français !

» L'horizon politique se rembrunit, des projets pervers vont être présentés à l'Assemblée; nos gouvernants méditent encore l'assassinat des quelques vestiges de liberté qui nous restent ; notre Constitution, a demi mutilée, va l'être complétement. La sombre misère, loin de disparaitre, augmente d'une manière effrayante. Les aristocrates, au lieu d'en vouloir la destruction, ne font qu'attiser ce chancre rongeur des prolétaires. Leur lâche audace ne connaît plus de bornes, et ils continuent à conspirer contre la République et la révolution, malgré notre vigilance.

» Donc, point d'illusions! Il est certain que l'heure fatale arrive pour eux, et tout annonce une tempête terrible que nous n'aurons pas provoquée, mais que nous ne fuirons pas. Nous conserverons au milieu du prochain ouragan révolutionnaire qui se prépare l'énergie de nos pères du 10 août 1792 et la vigueur de ceux qui combattirent les cohortes royalistes dans les champs de l'Argonne et dans les plaines de la Vendée.

>> Que tout soit mis en œuvre pour combattre et terrasser définitivement les criminels ennemis du peuple. Le moment approche où les sacrifices seront nécessaires. Que chacun s'apprête à payer sa dette républicaine !

>> Que nous font, à nous patriotes, les projets liberticides du bilieux Faucher et du haineux Rouher! La révoltante apostasie des uns et la cynique témérité des autres nous disent assez que c'est le dernier ministère qui trahira la France. Ce ministère veut tuer la révolution, la révolution l'écrasera comme une immonde chenille.

>> Membres du Sénat, ministres de Bonaparte, réactionnaires de toutes les factions, sachez-le, vous n'aurez la paix qu'à une seule condition, la voici : c'est de rendre au peuple sans restriction le suffrage universel, la liberté de la presse, le droit de réunion, en un mot, de lui rendre sa véritable souveraineté. Si vous ne le faites pas, soyez-en sûrs, vous aurez la guerre, mais une guerre implȧcable, une guerre d'extermination. Vous l'aurez non-seulement à Paris, mais partout, dans les villes comme dans les villages. Toute la France républicaine se lèvera pour vous faire rentrer dans le néant d'où vous n'auriez jamais dá sortir.

» Et vous, craintifs et pusillanimes Montagnards, réveillez-vous ! Les démocrates qui vous ont délégués désirent que votre attitude dans le sein du parlement soit plus énergique, plus révolutionnaire, moins timide et moins pâle. Sachez qu'avec de l'audace et du dévouement vous pourriez jeter la terreur dans le camp de nos lâches ennemis. Une telle conduite électriserait les populations et leur ferait définitivement secouer le joug de leurs odieux oppresseurs. Ce n'est qu'à ce titre que vous pourrez effacer de l'histoire vos défaillances passées et montrer aux patriotes que vous n'êtes pas des endormeurs politiques.

>> En terminant ce bulletin, nous dirons encore aux républicains de veiller plus que jamais au salut de la république. Prêtons l'oreille aux événements : que chacun s'apprête à soutenir, le fusil à la main, la lutte que les amis de la liberté et de l'égalité vont enfin livrer aux satellites des despotes. Polignac-Faucher nous fournira bientôt l'occasion de mettre au service de la patrie tout ce que nous avons de vigueur et d'énergie.

» Vive la république démocratique !

» Le comité du centre. »

Suivait une proclamation signée de vingt-quatre membres de la Montagne, qui formaient, sous la présidence de M. Michel (de Bourges), une Montagne séparée, sous le nom de Nouvelle Montagne. Cette pièce, pacifique en apparence, faisait une réserve formelle en faveur du droit d'insurrection pur et simple, tout en invitant le peuple à se défier des insurrections inoppor

tunes.

« Citoyens,

» Une ère nouvelle s'ouvre devant nous.

>> Choisi par le peuple pour protéger la république, défendre les institutions démocratiques, créer et développer les intérêts de la révolution, le pouvoir exécutif, s'il fallait en croire ses organes semi-officiels, aurait conçu le dessein d'introduire dans la loi fondamentale, et par des moyens illégaux, des modifications dont le résultat serait de détruire la Constitution, tout en feignant d'en perfectionner certaines dispositions; et, sous prétexte d'ajouter à la durée, à la puissance, à la stabilité du pouvoir, de multiplier en réalité les chances de l'usurpation sur la souveraineté populaire.

>> Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas croire à ces criminelles pensées

où l'ingratitude occuperait encore plus de place que la démence. Toujours est-il que ces funestes projets, s'ils existaient, ne pourraient se faire jour qu'à l'aide de prétextes fournis par des émeutes, des rassemblements tumultueux formés par des impatiences aveugles, excités par des courages plus généreux que réfléchis, provoqués peut-être ou encouragés par la police. Gardez-vous des insurrections dout tout le monde sait le jour et l'heure, excepté le peuple, qui seul a le droit de manifester l'irrésistible majesté de sa puissance, où, quand et comme il lui plaît.

>> Dans les circonstances critiques et solennelles où nous place la folie de nos ennemis, nous avons tous des devoirs impérieux à remplir. Veiller au maintien de la loi, dévoiler les manœuvres de l'intrigue, déjouer les calculs de l'ambition, dénoncer au pays les tentatives contre-révolutionnaires, et, là où nos efforts seraient impuissants, faire appel au patriotisme de la France; tels sont le soin, le danger et l'honneur de la position officielle que la confiance du peuple nous a faite.

>> Si, par un malheur que nous voulons croire impossible, un pouvoir aveugle se jetait dans les aventures d'un coup d'Etat ou d'une violation flagrante de la Constitution, soyez-en sûrs, citoyens, il se rencontrerait au sein de l'Assemblée législative un nombre imposant de représentants du peuple qui, s'élevant à la hauteur des circonstances, et ne prenant conseil que de leur dévouement à la cause démocratique, signaleraient au pays les périls de la situation, et partageraient les dangers auxquels ils auraient convié le peuple pour le salut de la République.

» Au cri d'alarme poussé par vos mandataires, vous que le sentiment du devoir tient toujours en émoi, vous levant tous comme un seul homme, et, confondus parmi vos représentants fidèles, vous n'auriez qu'à vous montrer unis sous la bannière de la République pour faire rentrer dans le néant les ennemis du peuple.

» Jusque-là citoyens, soyez calmes, car vous êtes forts; soyez confiants, car la justice est de votre côté. Veillez avec sollicitude, mais sans agitation et sans secousses. Le repos dans la force n'est pas le sommeil dans l'indifférence. Otez au pouvoir tout prétexte de mal faire. Forcez-le, par la sagesse de votre conduite, au respect de la paix publique, comme nous le forcerons, nous, par la fermeté de nos actes, au respect de la Constitution.

» Salut fraternel.

» Baudin, Baune, Boysset, A. Bruys, Cholat, Colfavru, Combier, Dussoubs-Gaston, Duputz, Faure (du Rhône) Gastier, Gindriez, Greppo, Laboulaye, Lafon, Lamarque, Madier de Montjau, Félix Mathé, Michel (de Bourges), Nadaud, Racouchot, Richardet, Saint-Ferréol, Viguier. >>

Venait enfin un dernier manifeste, adressé au peuple et à l'armée. Celui-là était donné comme le vrai dixième bulletin du vrai comité central de résistance. Ce document, destiné en apparence à calmer et à contenir le peuple, dépassait par la férocité niaise du langage et par ses provocations atroces toutes les vio

lences du bulletin apocryphe. On y enveloppait dans la proscription commune toute la presse prétendue démocratique de Paris, et le National, qui déjà patronait la candidature du général Cavaignac à la présidence de la République, put comprendre une allusion à des candidatures que la conscience du peuple repousse avec horreur.

AU PEUPLE, A L'ARMÉE.
(Dixième bulletin.)

« Travailleurs qui vivifiez le pays, soldats qui en êtes les défenseurs, vous tous enfin qui supportez seuls le fardeau de la société, sans recueillir aucun des avantages qu'elle vous promet, vos souffrances auront bientôt un terme. Encore un an de patience, et vous serez vengés de tant d'injustices, et le baume de l'égalité cicatrisera vos plaies. Chaque jour qui s'écoule rapproche celui de la réparation.

>> Vos oppresseurs en frémissent. Ceux qui gouvernent sentent le pouvoir s'échapper de leurs mains coupables, et l'épouvante s'est emparée des exploiteurs de tout ordre. Comme des bêtes fauves auxquelles on veut enlever leur proie, ils exhalent leur fureur en rugissements. Ils voudraient pouvoir nous broyer tous sous leurs dents carnassières. Il est si doux pour ces âmes ulcérées par l'ambition, pétrifiées par l'égoïsme, de nous tenir sous le joug, de s'abreuver de nos larmes et de s'engraisser de nos sueurs, que les monstres semblent préférer la mort à l'idée de renoncer à ces jouissances.

>> Ils n'abandonneront pas le terrain, soyons-en sûrs, sans laisser derrière eux une traînée de sang. C'est ainsi qu'ils ont toujours fait ils ne voudront pas déroger. S'ils sont divisés maintenant, c'est que chacun d'eux prétend à une domination exclusive; le danger commun les réunira contre nous. Il faudra donc nous attendre d'avoir à lutter avec toute la vermine monarchique de l'Elysée, de Venise et de Claremont.

>> Ils redoutent trop le mouvement national de 1852 pour aller avec nous jusque-là: ils nous provoqueront avant. Prenons garde; tenons-nous plus que jamais sur le qui-vive, et attendons-les venir.

>> Ils annoncent niaisement une émeute pour le 4 mai. Qu'ils se tranquillisent. Le peuple, ce jour-là encore, les accablera par son calme et son attitude républicaine. Les émeutes! notre discipline les rend désormais impossibles.

>> Méfions-nous de la presse prétendue démocratique. Tout ce qui nous reste à Paris de journaux quotidiens préparent de longue main leur trahison. VoyezVous avec quel art ils cherchent à accoutumer leurs lecteurs à l'idée d'accepter la loi du 31 mai, insinuant que, malgré cette loi liberticide, nous serions assez forts pour triompher? Attendez encore un peu, et ils lèveront le masque, et les candidatures que votre conscience repousse avec horreur s'étaleront insolemment dans leurs colonnes.

>> Peuple!

»Tu ne peux compter que sur toi. N'attends rien que de ta propre énergie. » Soldats!

» Apprêtez-vous à seconder vos frères. L'ardeur que vous montrez dans la

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ligue des opprimés contre la tyrannie est d'un bou présage; votre gloire sera d'autant plus grande que vous aurez eu plus de périls à courir. Des ambitieux vous considerent comme leurs instruments; on veut vous faire servir de sibistres projets. Mais vous n'êtes ni de vils prétoriens ni de lâches bourreaux. Vos cœurs sont au peuple et vos balles à ses ennemis.

Vive la république sociale!

» Le comité central de résistance. »

Comment s'étonner qu'un tel langage et la perspective de tous les dangers réunis sur la date de mai 1852 fussent un sujet d'épouvante pour les honnêtes gens, d'encouragement pour les pervers? Comment s'étonner que les habiles cherchassent à exploiter ces terreurs de la société menacée? Les lignes qu'on va lire, et qui appartiennent à un spirituel pamphlet déjà cité par nous, le Spectre rouge, purent alors, aux yeux de beaucoup, échapper au reproche d'exagération :

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Il n'y a dans l'organisation de 1789, nul levier pour soutenir une société qui s'abat. Cette société de procureurs et de boutiquiers est à l'agonie et si elle peut se relever, c'est qu'un soldat se sera chargé de son salut. Le canon seul peut régler les questions de notre siècle, et il les réglera, dut-il arriver de Russie. Je conclus avec un commentateur de Tacite, que la multitude populaire est un monstre terrible, furieux, inconstant, léger, précipitatif, paresseux, désireux de nouveautés, ingrat, perfide, cruel, vindicatif, et en somme un mélange de toutes sortes de vices sans compagnie d'aucune vertu. Le terme où nous touchons, c'est le chaos social, c'est la barbarie.

>> L'Europe depuis 89, ressemble à un collége en révolte; on y a brisé les bancs, éteint les quinquets, battu les maîtres, et après ce désordre ridicule, accompli au nom d'un grief enfantin, qu'on nomme le progrès, on attend tout penaud et tout contrit l'arrivée de la force. Il est bien temps qu'elle apparaisse.

>> Il n'y a pas une femme qui accouche à l'heure qu'il est, qui n'accouche d'un socialiste, a dit M. Pelletan. La nation française n'existe plus, il n'y a sur le vieux sol des Gaules, que des riches inquiets et des pauvres avides. Il n'y á que cela; les pauvres dressés à la haine, à la soif du pillage, sont prêts à ravager par leurs millions de braš les appartements. Ce qui les retient à cette minute où j'écris, c'est l'armée. »

Ce cri d'effroi poussé dans l'intérêt d'un parti, une voix calme et sereine, peu habituée à mêler ses accents à ceux des colères ou des terreurs publiques, le répétait avec une autorité singulière. Dans un mandement admirable, monseigneur l'archevêque de Paris fit un triste et éloquent tableau de cette société qui chancelait sur sa base.

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