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« Hélas! pourquoi vous le dissimulerions-nous? Aucun signe n'a paru sur l'horizon qui puisse rassurer notre cœur paternel et diminuer nos alarmes. Le sol tremble toujours sous nos pas. La sagesse humaine est à bout : elle se déclare vaincue, en présence de cet ébranlement universel. Les plus fermes empires, aux termes des livres saints, penchent; la société tout entière, comme un homme ivre, chancelle au bord de l'abîme; et les peuples effarés regardent âú ciel avec anxiété, dans l'attente de ce qui menace le monde.

› C'est, nos très-chers frères, l'impression commune et la préoccupation généfale. L'effroi trouble jusqu'aux plus fortes têtes; et devant cet épouvantable avenir, pas un courage qui ne défaille. « Les rois s'en vont, » s'écriaît, il y a quelques années, un sage de la politique humaine. Chacun répète aujourd'hui que c'est, hélas! toute la société qui s'en va : le vieil ordre social s'affaisse, tout tombe, tout se précipite. Mais, nous le demandons aux plus habiles, après cette dissolution du monde moral, lorsque le chaos se sera fait, qui dirà à la lumière Sois! et à l'ordre Reparais !

» Grand Dieu ! ne pourrons-nous donc pas conjurer la tempête qui mugit et s'avancé, ni détourner ce torrent de calamités prêt à fondre sur nous ? Est-il donc toujours nécessaire, selon le plan divin, de passer à travers les angoisses de la mort pour arriver à la vie? Le retour à l'ordre, à la paix, là rénovation dans la justice et dans le bien ne se font-ils qu'à ce prix ? Nous faudra-t-il les payer, sans aucune remise, par le bouleversement de la civilisation, par toutes tes horreurs de la misère ? »>

Mais le pasteur des âmes ne voyait pas, comme le publiciste, le remède unique de ces maux dans une dictature armée : il le plaçait dans la justice et la charité :

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<< Ecoutez, frères bien-aimés: Dieu nous fait répondre par son prophète qu'il a fait toutes les nations de la terre guérissables; et sanabiles fecit nationes orbis terrarum. Ah! il y a donc encore de l'espoir, si nous savons appliquer le remède au mal. Mais quel est le mal et quel est le remède?

» Le mal? C'est, au sein du christianisme, quelque chose de cette haine contre nature entre le riche et le pauvre, que le prophète comparait, dans les temps antiques, à l'inimitié sauvage entre l'hyène et le chien ; c'est, d'une part, l'égoïsme et l'avarice, c'est l'envie et la convoitise; de l'autre, c'est, dans tous, l'amour effréné des jouissances matérielles, au mépris de la loi de Dieu que nous foulons sans cesse aux pieds; c'est, au milieu de nos plaisirs, l'oubli des célestes destinées de l'homme; c'est le péché, en un mot: car le péché seul fait les peuples misérables, disent les oracles sacrés, miseros facit populosTM peccatum.

» Et le remède, alors? Ne le voyez-vous pas ! Il est dans la cessation du péche, dans le retour à la dignité de notre nature immortelle, dans la stricte observation de la loi divine, qui veut l'amour fraternel du riche et du pauvre, le dévouement réciproque, l'esprit de sacrifice, le respect de tous les droits, l'accomplissement enfin de toute justice : car si le péché rend les peuples misérables, la justice seule élève les nations, les fait grandes et prospères : Justitia elevat gentem, miseros autem facit populos peccatum. »

En face de ces inquiétudes croissantes, les partis monarchiques continuaient à jouer, comme aux époques parlementaires, le jeu dangereux des petites intrigues. On cherchait à se tromper mutuellement on se préoccupait peu de ce que le pays pouvait penser de ces combinaisons de salon ou de cabinet.

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Sans doute l'hérédité monarchique est une garantie de sécurité là où elle s'est solidement établie mais fallait-il persister à ne pas voir l'éloignement, bien ou mal fondé, que les populations ressentaient, sinon pour le principe, au moins pour les personnes? Fallait-il faire de princes bannis de leur pays par les malheurs du temps, autant de compétiteurs à un pouvoir déjà trop faible, trop précaire, trop incertain de l'avenir? Fallait-il préférer la mort de la société, si sa guérison ne pouvait être obtenue par tel ou tel remède exclusif?

Des deux partis monarchiques qui, rapprochés par leur chute commune, s'observaient mutuellement et réservaient les chances de l'avenir au milieu de leurs incurables défiances, celui qui pouvait, à juste titre, invoquer le plus hautement sa bonne foi, c'était sans doute le parti légitimiste. Jusqu'alors, il s'était laissé sacrifier en silence.

Il était impossible de ne pas reconnaître dans quelle situation d'infériorité avait été placé le parti légitimiste dans l'alliance provisoire dite la fusion. Sur 60 membres du comité électoral connu depuis sous le nom de Comité de la rue de Poitiers, dès l'origine, 45 appartenaient au parti orléaniste et 15 au parti légitimiste. Les chefs les plus accrédités du parti de l'ordre étaient partisans de la monarchie de juillet, et tel apôtre de la fusion avait contribué pour une grande part au renversement du trône de Charles X.

Un moment, pourtant, on crut à un rapprochement sérieux des deux branches de la maison de Bourbon et ceux qui, dans leurs transactions politiques, oubliaient toujours la condition suprême du consentement populaire, crurent à la réalisation de leurs

vœux.

M. le duc d'Aumale vint à Naples avec madame la duchesse d'Aumale; il y était amené par des arrangements de famille à prendre par suite de la mort du duc de Salerne, son beau-père.

Le duc passa par Bruxelles et Cologne, traversant une partie de l'Allemagne et de l'Italie. M. le comte de Chambord était alors à Venise, mais cette ville ne se trouvait pas sur la route des princes voyageurs. Peu après l'arrivée à Naples du duc d'Aumale, le duc et la duchesse de Parme s'y rendirent, peut-être pour rencontrer leur cousin et lui offrir leurs compliments de condoléance pour la mort du prince de Salerne. On assura que cette démarche avait eu l'approbation de M. le comte de Chambord.

M. le duc d'Aumale et madame la duchesse de Parme se rencontrèrent dans la loge du roi de Naples, au théâtre d'Il-Fundo, dans la soirée du 26 mai. Les rapports les plus courtois et les plus bienveillants eurent licu entre les deux parents, et, après quelque temps, leur conversation, qui prenait un caractère tout particulier d'intimité et de confiance, devint l'objet de la curiosité et de l'intérêt général. C'était la première fois, en effet, depuis 1830, qu'un prince de la maison d'Orléans se trouvait ainsi rapproché d'un membre de la branche aînée.

M. le duc d'Aumale ne chercha pas à cacher la satisfaction qu'il éprouvait dans cette circonstance. Il témoigna son bonheur d'avoir eu l'occasion de faire la connaissance de l'auguste fille de la duchesse de Berry, et il ne cessa de s'exprimer dans les termes les plus vifs sur la grâce et la vivacité de son intelligence.

C'en était fait dès lors la fusion était accomplie. Une simple rencontre avait assuré le bonheur de la France. Il n'y avait plus qu'à se porter à la frontière et à préparer des arcs de triomphe.

Tous ces enfantillages politiques tombèrent bientôt devant la réalité. La conduite habilement significative des princes de la maison d'Orléans ne laissa pas d'illusions bien durables aux utopistes de réconciliation. Un curieux petit volume qui parut à cette époque, avec ce titre : Abdication du roi Louis-Philippe racontée par lui-même, définit avec une impitoyable netteté la politique traditionnelle de cette maison.

« Le duc d'Orléans intriguer! y disait le vieux roi, les ducs d'Orléans conspirer! Ah! са n'a jamais été leur habitude, ni dans le présent, ni dans le passé, ni sous la première République, ni sous l'Empire, ni sous la Restauration.

>> Leur politique, à eux que le hasard de la naissance avait placés à deux pas du trône, a toujours été une politique expectante. Ce n'est pas qu'elle attende dans l'indifférence ou dans l'incurie; loin de là; elle est attentive aux péripéties du présent, et, le regard fixé sur l'avenir, elle s'efforce de n'être jamais au-dessous ou en dehors des circonstances. C'est cette politique que j'avais coutume de définir la politique d'idonéité.

>> On peut dire des d'Orléans qu'ils se sont appliqués à être toujours en mesure de donner à leur patrie, au jour et à l'heure voulus par l'intérêt général, leur dévouement, leur épée, leur intelligence et leur vie. Mais qu'on ne les accuse pas d'avoir jamais ni hâté ni devancé les événements, l'accusation porterait à faux. Seulement, quand les besoins et la volonté du pays réclament les services de la famille d'Orléans, elle est là. »>

Les hommes vraiment politiques du parti légitimiste ne s'arrêtaient pas à ces combinaisons puériles, à ces espérances sans cesse déçues. Ils envisageaient la situation de plus haut.

Une dernière séance des représentants de la droite eut lieu, rue de Rivoli, le 18 mai. M. de Falloux, avec toute l'autorité de son tąlent et de son caractère, s'expliqua ainsi au nom d'une importante fraction du parti légitimiste.

Nous ne devons pas, dit-il, avoir même l'apparence de faire de la politique de parti. Avant tout il faut nous placer dans le courant des idées monarchiques et nationales, et le diriger, en tenant compte des intérêts, des besoins, des souffrances, de tous les désirs du pays, nous identifier avec lui complétement et affectueusement, sans arrière-pensées personnelles. Ayons toujours devant nous l'exemple donné par le M. comte de Chambord dans sa lettre de Venise; là, il ne s'est pas présenté comme le roi d'un parti, mais comme la personnification vivante de tous les sentiments et de tous les intérêts de la nation entière.

Appliquant cette pensée à la question du jour, la révision, M. de Falloux montra que le pays ne comprendrait pas qu'en discutant la révision on ne passât pas immédiatement au vote. Les orateurs ne seraient plus à ses yeux que de brillants artistes dont les combinaisons ingénieuses et les phrases sonores n'arriveraient pas jusqu'aux masses, car le peuple ne sait pas ce qu'on dit, mais. ce qu'on fait pour lui. Le vote seul couronnerait la parole.

Répondant à une objection qui avait été faite, et qui était tirée de la crainte d'une pression exercée par le Président actuel de la République, M. de Falloux demanda si le refus de réviser ne ren

drait pas cette pression bien plus forte encore, plus irrésistible. Nous fournirions, ajouta l'orateur, nous fournirions au Président le thème le plus favorable pour nous déconsidérer aux yeux du pays. Il en appellerait contre nous, nous montrerait unissant nos votes à ceux des rouges que la nation redoute.

Allant ainsi au-devant de toutes les craintes émises, de tous les scrupules manifestés, l'éminent orateur cherchait à rassurer les esprits inquiets et irrésolus. Il fut bientôt amené à conclure que la prudence tendait, au contraire, à écarter aujourd'hui la pensée d'un ajournement.

« Vienne la discussion, s'écriait-il, M. Berryer nous a montré le roi et on a applaudi; que sera-ce donc quand on montrera la royauté? »

Parlerai-je d'habileté! ajoutait M. de Falloux, je ne connais que l'habileté du vrai, et ne puis conseiller d'autre politique; laissons le reste à la Providence. Répondant à cette pensée, que la Providence ne semble pas se mêler des affaires politiques de ce monde, M. de Falloux trouva une belle inspiration en rappelant tous les succès du parti de l'ordre, depuis 1848: la loi d'enseignement, l'expédition de Rome, le rapprochement de partis autrefois en lutte, l'ordre rétabli si miraculeusement, «< grâce surtout au concours énergique du digne chef qui commandait l'armée. »>

« En considérant cet ensemble de faits, disait-il encore, il me semble que la Providence n'a jamais mieux gouverné, et je serais presque tenté de dire qu'elle n'a guère fait autre chose depuis trois ans, que de la politique. >>

Puis, relevant quelques paroles à la fois aimables et éloquentes qui lui avaient été adressées par M. Berryer, M. de Falloux dit: << Tout le monde a applaudi à ces paroles, moi comme les autres, parce que ma modestie comme mon orgueil se trouvaient complétement désintéressés. Quel orgueil peut avoir un miroir qui ne fait que réfléter la lumière si pure qui brillait à Venise! » Ici M. de Falloux, en juge compétent, dont les appréciations perdaient tout caractère de banalité, s'exprima avec une profonde émotion sur les qualités et les vertus dont il avait été témoin dans personne de M. le comte de Chambord. L'illustre orateur impressionna vivement toute la réunion par le dernier trait de

la

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